Riposte graduée, surveillance des titres

Offre légale, lutte contre le téléchargement illicite, détails sur la riposte graduée, l’intéressé nous donne par ailleurs des pistes sur les autres modèles économiques dans les tiroirs de la SACEM.
Page 1 : Riposte graduée, surveillance des titres
Page 2 : Un plan B en cas d'échec de la loi Création et Internet ?
Page 3 : Des difficultés avec les nouvelles offres ?
Page 4 : Rémunération pour copie privée et valeur de la musique
Bonjour Bernard Miyet, parlons d’abord de la proche actualité et l’avant-projet Hadopi (notre dossier). Les FAI sont montés au créneau et ont vertement critiqué la pauvreté du volet de l’offre légal issu des accords de l’Élysée (levée des DRM, raccourcissement de la fenêtre VOD)…
Les FAI n’ont jamais été habitués à payer pour les contenus qui leur ont permis de se développer ! Quand eux-mêmes se lancent sur les offres légales, je ne suis pas sûr qu’ils envisagent une valorisation de la création qui permette aux créateurs de vivre. Les fenêtres VOD, c’est un problème qui intéresse surtout le cinéma.
Ce dossier est un pari. Il s’agit de mettre un peu de pédagogie et de responsabilisation chez l’abonné, plus que l’internaute, en espérant qu’après deux avertissements, il soit incité à revenir à des pratiques vertueuses. Aujourd’hui la situation de l’industrie et des créateurs de musique est très difficile. Dans tout pari, il y a un risque et il faudra vite voir si ce projet est porteur de résultats ou pas. Il faudra voir dans quel état la loi va sortir du Parlement, ensuite, s’il y a ou non recours devant le conseil constitutionnel, et au-delà, quels seront les moyens notamment techniques de l’HADOPI, enfin, quel sera le comportement des internautes, spécialement si on assistera à une course-poursuite avec la technique, etc.
On ne sait donc pas si la peur du gendarme via des avertissements sera suffisante pour contraindre les gens à consommer de la musique ?
On pense, du fait de ce que disent les sondages et un certain nombre d’expériences à l’étranger, que l'on peut espérer que cela va aller dans ce sens, mais moi, je n’ai aucune certitude.
Concrètement, comment va se passer la surveillance des internautes ?
Ce n’est pas une surveillance des internautes. Avec le projet de loi, on ne va suivre que les fichiers et sans doute les 10 000 fichiers qui comptent, dont 5 000 de « back catalogue » et 5 000 qui vont être renouvelables. Des chiffres qui ne sont rien par rapport à ce qu’on a en base de données, soit 32 millions d’œuvres. On sait que le téléchargement a tendance à se concentrer sur un nombre de titres relativement limité.
La procédure sera automatisée et permettra d’aller jusqu’à l’adresse IP ou des éléments de l’adresse IP. Il appartiendra à l’HADOPI de saisir le FAI pour trouver l’abonné derrière ces éléments d’information et envoyer le message d’avertissement.
À condition que l’adresse IP suffise à démontrer qu’il y à défaut de sécurisation…
On est dans un système où il faut tenir compte de ce qu’avait été la réponse graduée dans le cadre de la loi DADVSI. Cette initiative avait « sauté » pour une raison toute simple : à partir du même délit, le délit de contrefaçon, il y avait deux sanctions différentes. La sanction traditionnelle (3 ans et 300 000 euros d’amende). Or, juridiquement, on ne peut avoir deux sanctions différentes pour un même délit.
Un plan B en cas d'échec de la loi Création et Internet ?
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Page 4 : Rémunération pour copie privée et valeur de la musique
En tenant compte de cet aspect des choses, on se trouve aujourd’hui avec un projet de loi qui ne remet pas en cause la contrefaçon, mais qui, sur la base de l’autre délit potentiel, la non-sécurisation du poste, permet d’aller vers des avertissements et des suspensions. On peut espérer que les parents ou la famille en tiennent compte.
L’HADOPI doit dresser une liste d’outils pour sécuriser la ligne. Comment l’abonné démontrera qu’il a bien utilisé tel outil ?
Je ne peux pas vous le dire en l’état, je ne suis pas technicien en la matière. La Haute Autorité va sans doute valider un certain nombre d’outils ou de logiciels pour les internautes et c’est depuis cette boite qu’ils devront en mettre un en place.
En cas d’échec de la riposte graduée ou d’un texte profondément amendé, j’ai lu que la SACEM avait un plan B… (voir l'article de l'Express)
Nous ne sommes pas aujourd'hui dans une logique de plan B. C’est vrai que, depuis longtemps, nous estimons qu’une contribution des FAI serait légitime. il ne s'agit pas de la licence globale, mais on le dit depuis toujours : quand vous êtes câblodistributeur comme Numericable et que vous transportez des programmes, vous payez une redevance pour les droits d'auteurs. Quand vous êtes plateforme satellitaire, c’est la même chose. Sur la partie Internet, les FAI sont arrivés à échapper à toute responsabilité juridique et financière alors qu’on sait bien que c’est sur la musique qu’ils ont fait tout leur développement. Ils ont accepté que, sur le triple play, ils payent comme sur les réseaux câblés, une rémunération, mais uniquement sur la partie transport de programme de télévision, non sur la partie Internet. Le principe de base du droit d’auteur, c’est que toute personne qui exploite des œuvres protégées et en tire un bénéfice direct ou indirect doit contribuer à la rémunération des créateurs.
Le plan B dont on parle consiste plutôt en un système qui permettrait à la SACEM de décompter à l'unité les titres téléchargés, pour permettre une meilleure rétribution des artistes ?
C’est un autre élément. Pour ce qui nous concerne, notre logique est toujours d’essayer de savoir aussi précisément que possible, sur tous les supports, toutes les exploitations, ce qui est effectivement diffusé de manière à être certain que nous rémunérons ceux dont les œuvres ont été diffusées.
On rejette par-dessus tout dans cette maison ce qui pourrait faciliter le copinage, l’arbitraire ou l’opacité. Cela nous vaut parfois des critiques puisqu’on vient nous dire : « vous ne financez que les gros ! » On ne finance pas que les gros, on n’est que le reflet, l’image de ce qu’est la diffusion. Souvent j’ai des radios qui viennent me voir pour me faire de tels reproches. Je leur dis : si vous voulez que je change et que je puisse financer les petits, vous n’avez qu’à changer votre programmation radio !
En clair, vous voulez mettre en place un système de repérage ?
On peut toujours trouver un certain nombre de systèmes. Ce qui va se mettre en place pour repérer les œuvres est un moyen de savoir ce qui circule et à quel niveau. De la même manière, quand vous êtes sur YouTube, vous savez le nombre de téléchargements, de lectures de chaque œuvre. Il y a des repères qui peuvent permettre de se fixer. On n’ira pas « au poil » près, ce serait trop couteux, mais on peut trouver des moyens pour avoir une répartition des droits d’auteurs aussi fine et précise que possible.
Des difficultés avec les nouvelles offres ?
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La contrepartie pour l’internaute, c’est quoi ? La copie privée ?
Ce ne peut pas être de la copie privée, car vous avez des services viables à côté, qui peuvent rémunérer. Il faut donc trouver une espèce de logique qui ne tue pas la capacité de mettre en place des services commerciaux. On sait que la répression tous azimuts de l’internaute est impossible et est inacceptable sociologiquement - on en a toujours été relativement conscient. Face aux flux illicites qui existent et créent un préjudice majeur - nous avons perdu 54 millions d’euros en 4 ans – comment faire en sorte à la fois d’avoir une rémunération qui tient compte du préjudice porté par ces échanges, tout en évitant que tout soit illicite et permettre un certain nombre de services viables de se développer ? On n’a pas de réponse qui soit faite aujourd’hui ; l’une d’elles, la contribution des FAI, devrait déjà exister pour nous, mais on peut réfléchir à d’autres formes aussi.
À propos de Deezer, le site ne vous aurait rapporté que 70 000 euros en 6 mois.
Je n’ai pas exactement les données exactes là-dessus. Les chiffres aujourd’hui du développement de l’ensemble des services internet sont aujourd’hui réduits. Sur le marché CD on est passé, en répartition, de 115 millions à 60 millions entre 2003 et 2007, alors qu’on est passé de 2 à un peu moins de 6 sur Internet. On a donc une dégringolade de 54 millions d’un côté quand seuls 4 millions ont été récupérés sur Internet.
Qu’est-ce qui a cloché avec Deezer ?
Il faut demander à Deezer ce que sont leurs chiffres d’affaires publicitaires. C’est surtout cela. Pour l’instant, le marché est balbutiant dans tous les secteurs, d’ailleurs. Deuxième aspect, négatif, tous les services qui se mettent en place tendent à vous dire « pour lutter contre la piraterie, il faut proposer des tarifs qui ne rapportent plus rien aux auteurs ». Tout le monde est perdant : les auteurs, car c’est la musique qui a dynamisé le développement du Net. Et là, ensuite, on nous dit pour concurrencer la piraterie et la gratuité, la rémunération doit être ridicule.
Quand on regarde ce qu’est la rémunération des auteurs, on mélange tout. Sur un téléchargement iTunes, sur 99 cts, le droit d’auteur c’est 7 centimes d’euro minimum à partager en trois parties : l’auteur, le compositeur et l’éditeur. Qu’on vienne me dire que c’est le droit d’auteur qui coûte cher sur 99 centimes…
Pourquoi le fromage n’est pas mieux réparti avec ceux qui sont à l’origine de cette richesse culturelle là ?
Il ya des secteurs qui sont balbutiants, des systèmes qui se mettent en place, des références aux anciens marchés… Nous sommes dans une économie qui se cherche. En période de lancement, ce sont des chiffres qui peuvent paraitre acceptables, après, il faut décomposer ces données, le coût véritable de la distribution, la part de la TVA ou de la carte bancaire, les coûts techniques, la marge d’iTunes, etc. Voilà pourquoi nos contrats sont des contrats limités. Sur ce minimum de 7 cts d’euro, c’est pour nous un élément qui doit être la référence. Plus on avance dans les systèmes et plus les offres qui sont faites sont à des rémunérations qui peuvent être de plus en plus pénalisantes pour l’auteur. Le minimum pour l’auteur est un minimum qui doit être incontournable parce qu’on ne peut s’asseoir sur la valeur d’une œuvre et la rémunération du créateur.
Rémunération pour copie privée et valeur de la musique
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Je glisse sur un autre sujet… L’Europe veut combattre les différences de taux entre les SACEM...
La Commission européenne n’a aucun pouvoir en matière de taux, pour tout vous dire.
Elle veut un marché unique…
C’est le problème et une autre discussion beaucoup plus compliquée : savoir comment les droits doivent être gérés, est-ce qu’il y a de la concurrence, qu'est-ce que de la concurrence, et comment on fait pour faciliter des licences multi territoriales. Le principe fondamental qui a marché jusqu’à présent et que tous les exploitants demandent : avoir affaire à une seule société pour obtenir une seule autorisation concernant le répertoire mondial. Ils ne veulent pas négocier avec des centaines de milliers de personnes des bouts de répertoires. C’est le beurre.
Dans le même temps, certains voudraient aussi l’argent du beurre : « ne pourrait-on pas obtenir n’importe où et auprès de n'importe qui tout le répertoire mondial ? ». Or, il y a des gens qui ont un répertoire important, d’autres non, comme pour les maisons de disques. Comment pourrais-je expliquer à tous les auteurs et compositeurs français que demain leur répertoire va être géré par une société étrangère, sous un droit étranger, où ils n’auraient aucun droit de regard et de décision ? Je suis sûr qu’ils refuseraient.
Quant aux exploitants, ils iraient où le droit est le plus avantageux, la jurisprudence la plus mauvaise, la société la plus fragile, si possible sans répertoire qui ait une valeur au niveau européen. Comment accepter qu'ils puissent obtenir ainsi tout le répertoire US, allemand, anglais, sans que les ayants droit respectifs, ou éditeurs, aient un droit de regard. Cela ne peut pas marcher, car on aboutit à quoi ? Une société d’auteurs, c’est une coopérative pour les auteurs. C’est totalement transparent. Si vous réduisez la rémunération de la SACEM, ce n’est pas la SACEM qui va souffrir, mais chaque auteur et compositeur qui est derrière. Nous, on ne fait pas de bénéfices, on n’a pas de stock-options, on est salariés et tout ce qui n’est pas frais de gestion va vers les auteurs.
Le Conseil d’État, via son commissaire du gouvernement, s’est montré très critique vis-à-vis du calcul de la rémunération pour copie privée. Quel va être votre axe de défense ?
Dans cette affaire, on nous dit qu’il y a une double peine. Moi ce dont je me rends compte c’est qu’il y a une double peine pour les créateurs, et le double profit pour l’ensemble des consommateurs d’un côté, mais aussi pour tous ceux qui ont profité du développement des échanges illicites sur Internet. Tout devrait être dans le nez des créateurs, piégés des deux côtés ? Est-ce que le créateur doit être doublement pénalisé, sur les réseaux et derrière sur le matériel ?
Démultiplication des offres forfaitaires, une musique dématérialisée… n’y a-t-il pas un risque de voir la musique dévalorisée ? Que faire pour redonner de la valeur à la musique ?
C’est une évidence pour nous dans cette affaire. La revalorisation passe par des mécanismes de financement de la création d’une manière ou d’une autre. Je comprends qu’on ait envie de stocker ce que l’on aime dans un lecteur MP3 ou un téléphone de dernière génération, je trouve cela formidable. Dans le même temps, il faut que sur la rémunération minimale pour chaque œuvre téléchargée, écoutée, il y ait un revenu minimal décent qui revient à l’auteur ou au créateur. Il ne faut jamais oublier que nos auteurs n’ont pas d’autres rémunérations que ce que la SACEM perçoit pour eux : ils ne sont pas intermittents du spectacle. Nous, on n’a pas les chanteurs, nous avons que les paroliers et les compositeurs de musique ; ceux-là ne touchent pas de cachet. Quand un chanteur va dans une salle de spectacle, il touche un cachet, l’auteur-compositeur perçoit, lui, par l’intermédiaire de la SACEM. S’il n’y a qu’une seule de ses œuvres qui a été jouée, il n’y aura qu’un pourcentage. On est dans des situations différentes, ils ne sont pas intermittents du spectacle et n’ont pas d’assurance chômage.
Merci Bernard Miyet pour cet entretien