Rédigées par Philippe Aigrain, co-fondateur de l’association, avec l’appui des contributions de Lionel Maurel et Silvère Mercier, ces propositions sont disponibles en intégralité sur Internet, aussi bien en langue française qu’en anglais. D’après ces auteurs, « la culture numérique est le laboratoire vivant de la création » dans de nombreux domaines. Ainsi, « elle donne lieu à de nouveaux processus sociaux et permet le partage de ses produits. (...) L'objectif d'une réforme raisonnable du droit d'auteur / copyright et des politiques culturelles ou des médias est de créer un meilleur environnement pour la réalisation de cette promesse », est il expliqué. Pour ce faire, ils préconisent une action en deux temps : « arrêter de nuire au développement de la culture numérique et, si possible, la servir utilement ».
Au total, LQDN formule quatorze propositions destinées aux auteurs des futures réformes en ce secteur. Elles sont réparties selon quatre pôles :
Tout d’abord, La Quadrature réclame une reconnaissance du partage non-marchand des œuvres numériques, un de ses chevaux de bataille depuis de nombreuses années. Sur le plan du droit, l’association préconise d’adopter une posture relative à l’épuisement des droits, c’est-à-dire à « la doctrine juridique (dont l'équivalent anglo-saxon est la doctrine de la première vente) qui fait que lorsqu'on entre en possession d'une œuvre sur support, certains droits exclusifs qui portaient sur cette œuvre n'existent plus. Il devient possible de la prêter, donner, vendre, louer dans certains cas ».
Liens et liberté d'expression
Dans sa seconde proposition, l’association insiste sur le fait que « référencer à travers des liens des contenus accessibles est une condition primordiale de la liberté d'expression et de communication », et mérite d’être légitimement reconnu. Les auteurs notent ainsi que « le fait de référencer à travers des liens des contenus accessibles est une condition primordiale de la liberté d’expression et de communication. Ainsi, les prétentions de certains sites d’empêcher les usagers du Web de créer des liens profonds pointant directement sur un contenu qui est accessible lorsqu’on connaît son URL, constituent des atteintes inacceptables au droit de référence et à la liberté d’expression ». Un exemple ? Dans les actuelles CGU de M6 Web, on peut lire : « Il est par ailleurs rappelé qu’aucun lien hypertexte ne peut renvoyer sur les Sites M6 WEB sans l’autorisation préalable et exprès de M6 WEB. A défaut d’autorisation, un tel lien pourra être considéré comme constitutif du délit de contrefaçon ». Lorsque le site Jaimeslesartistes.fr était encore dans les mains de la Rue de Valois, ses mentions légales spécifiaient : « L'établissement de lien vers le site jaimelesartistes.fr est possible sous réserve d'en informer au préalable et par écrit le ministère de la culture et de la communication ». Etc.
Une fois ce champ des pratiques non-marchandes balayé, LQDN en vient à demander la création d’exceptions « solides et obligatoires pour les pratiques éducatives et de recherche », mais également pour les aveugles et les malvoyants. Toujours dans le même esprit, l’association en appelle à des évolutions législatives en faveur d’une mise à disposition des œuvres orphelines par des institutions comme les bibliothèques, et ce, sans frais pour les usagers. D’après les auteurs du texte, il faudrait instituer « un régime de licence collective étendue qui donne aux bibliothèques et archives, mais aussi à tout type d'acteur qui se le donne pour mission, la liberté de les rendre accessibles à tous ». D’une manière plus générale, LQDN milite pour une liberté des usages collectifs non marchands. Cela concerne les usages recouvrant « la représentation gratuite d’œuvres protégées dans des lieux accessibles au public ; l’usage d’œuvres protégées en ligne par des personnes morales sans but lucratif ; la fourniture de moyens de reproduction à des usagers par des institutions hors cadre commercial ; et l’accès à des ressources numérisées détenues par les bibliothèques et archives ».
Également des sources de financement
Le troisième volet de proposition se situe sur un plan économique, et met en exergue des pistes de financement. LQDN a ainsi conçu un tableau pour comparer les avantages et inconvénients de plusieurs mécanismes (voir ci-dessous). Il est également question d'une « contribution créative », dont les sommes collectées seraient destinées à la fois « au soutien de projets (production d'œuvres ou montage de projets) et organisations (coopératives, acteurs de médiation culturelle) », ainsi qu’à « la rémunération des contributeurs aux œuvres ayant fait l'objet d'un partage non marchand ».
Toujours un plan économique, les auteurs militent pour « une législation imposant des termes équitables dans les contrats d'édition et de distribution ». Plus précisément, ils expliquent qu’à l’ère numérique, « il est nécessaire d'imposer des conditions d'équité à l'égard des auteurs et contributeurs comme à l'égard du public non seulement pour l'édition commerciale mais également pour la distribution commerciale ». Déplorant de nombreuses situations de monopoles de distribution, par exemple dans le secteur des livres numériques, LQDN en appelle à une « politique préventive de concurrence pour prévenir les monopoles de distribution et leurs abus ».
À propos des financements publics dont bénéficie le secteur numérique et culturel, La Quadrature en appelle à une réforme fiscale. D’après ses propositions, il faut notamment « renoncer à des gesticulations inefficaces du type "taxe Google" et agir sur les paramètres clés des ressources fiscales en général », puis « définir les domaines où les financements publics culturels jouent un rôle clé et doivent être maintenus ou amplifiés ».
Il est enfin question de réformer la gestion collective, dont la récente proposition de directive européenne suscite décidément de nombreuses critiques, mais aussi de limiter la « pollution publicitaire ». La LQDN ne veut pas interdire le recours à la publicité en ligne, mais prétend vouloir « maîtriser ses méfaits, par exemple par l'autorisation sans condition des logiciels destinés aux usagers qui visent à retirer la publicité des contenus numériques ou par l'obligation d'un signalement approprié de tout contenu publicitaire ».
Neutralité du net, droit d'auteur... pour une évolution substantielle des normes juridiques
Autre cheval de bataille de La Quadrature : la neutralité du net, pour laquelle l’association réclame des « normes effectives », de même que pour « l'ouverture des appareils ». Pour les auteurs du texte, « la neutralité du net doit maintenant être comprise comme une exigence sur toute la chaîne qui va d'un dispositif mobile comme un smartphone ou une liseuse jusqu'à un serveur opéré par un usager ou sous son contrôle ».
S’agissant du droit d’auteur au sens strict, la proposition n°12 soulève les avantages et inconvénients de deux mécanismes, l’enregistrement dit « obligatoire » et le « copyright 2.0 ». Ce premier dispositif « consisterait à rendre le bénéfice de la partie économique du copyright (et non les droits moraux comme l'attribution ou la divulgation) dépendant d'un enregistrement volontaire des œuvres par leurs auteurs », lequel « s'effectuerait pour une durée limitée (quelques années) reconductible ». Avec le copyright 2.0 de Marco Ricolfi, « les œuvres seraient placées par défaut sous un régime similaire à une licence Creative Commons, sauf dans le cas où leur auteur déciderait d'opter pour l'ancien modèle de copyright ».
Enfin, afin de « renverser ou tout au moins de rééquilibrer le rapport inégal qui fait que le domaine public est considéré au mieux comme un résidu ou un échec du marché », LQDN sollicite « une reconnaissance par un statut positif du domaine public », mais également « des communs volontaires et des prérogatives essentielles des usagers (y compris les créateurs) à l'égard des œuvres ».