Normalement, quand un ayant droit notifie dans les formes un contenu démontré comme illicite, l’hébergeur doit retirer promptement ces données (vidéos, images, etc.). Dans plusieurs affaires jugées par la Cour d’appel de Paris, les magistrats avaient poussé nettement plus loin cette obligation : ils reprochaient par exemple à Google de ne pas avoir accompli les diligences nécessaires afin de rendre impossible la remise en ligne du film « L’affaire Clearstream » déjà signalée comme illicite sur YouTube. Google était alors tenu pour responsable de cette contrefaçon, alors même que le moteur ignore tout de l’origine et de la localisation de la remise en ligne (qui ? URL ?) . Dans une autre affaire, les juges de la Cour d’appel retenaient la même solution à l’égard cette fois de Google Image.
On devine sans mal l’effet d’une telle obligation : rendre impossible un fait futur, c’est anticiper, c’est du contrôle a priori, c’est donc filtrer et donc constituer une base d’empreinte de l’intégralité des œuvres présentes et futures, bref une surveillance générale des flux entrants sur YouTube ou Google Image.
LCEN : pas d'obligation générale de surveillance
La Cour de cassation a stoppé l’hémorragie. Elle a considéré que la Cour d’appel avait violé la loi sur la confiance dans l’économie numérique laquelle définit les obligations des hébergeurs.
« Attendu qu’en se prononçant ainsi, quand la prévention imposée aux sociétés Google pour empêcher toute nouvelle mise en ligne des vidéos contrefaisantes, sans même qu’elles en aient été avisées par une autre notification régulière pourtant requise pour qu’elles aient effectivement connaissance de son caractère illicite et de sa localisation et soient alors tenues d’agir promptement pour la retirer ou en rendre l’accès impossible, aboutit à les soumettre, au-delà de la seule faculté d’ordonner une mesure propre à prévenir ou à faire cesser le dommage lié au contenu actuel du site en cause, à une obligation générale de surveillance des images qu’elles stockent et de recherche des mises en ligne illicites et à leur prescrire, de manière disproportionnée par rapport au but poursuivi, la mise en place d’un dispositif de blocage sans limitation dans le temps, la cour d’appel a violé les dispositions susvisées »
En clair, la Cour de cassation considère que pour faire retirer un contenu, l’ayant droit doit aviser la plateforme par une notification régulière qui lui permet d’avoir connaissance 1) du caractère illicite du contenu et 2) de sa localisation exacte (URL). Si on ne respecte pas ces règles, on impose une obligation générale de surveillance, disproportionnée et interdite par le droit européen.
La mesure vient d’être applaudie par l’ASIC, l’association des acteurs du web 2.0. « La Cour de cassation vient écarter le risque de voir se développer en France, sans contrôle judiciaire, un filtrage généralisé des contenus publiés par les internautes sur Internet. Les juges ont ainsi garanti une responsabilité a posteriori et non généralisée les intermédiaires de l’internet. C’est une date très importante pour le web communautaire français ».
Le Notice & Stay Down version loi HADOPI
Toutefois, les ayants droit ne sont pas en reste. Dans un autre dossier en cours, et engagé contre plusieurs sites d’Allostreaming, ils tentent justement d’industrialiser le Notice & Stay Down. Sauf que la stratégie ne repose plus sur le droit de l’hébergement (LCEN) mais sur le droit de la propriété intellectuelle : le fameux article 336-2 du CPI inventé par la loi Hadopi et qui permet à l’ayant droit de réclamer toute mesure à l’égard de toute personne pour faire cesser ou empêcher la violation de leurs droits.
Sur la base de cet article très flou, les ayants droit estiment que les FAI et moteurs doivent empêcher la réapparition et le référencement des clones d’un site déjà dénoncé. Plusieurs représentants de l’industrie de l’audiovisuel ont à ce titre conçu un logiciel avec l’ALPA et TMG pour notifier automatiquement les réapparitions qu’ils jugent illicites. Mieux, ils veulent étendre leur machine à notifier aux simples noms de domaine (sans contenu). 105 sont d’ores et déjà dans le viseur.