Au ministère, on a testé la transparence de la copie privée

Brouillard, brouillard, vous avez dit brouillard ?

Et du côté de la SACEM ? Dans une des pages de ses rapports pour 2012, celle-ci a enregistré pas moins de 13,280 millions d’euros au titre de la copie privée sonore et audiovisuelle perçue sur les supports vendus en France auxquels s’ajoutent plus de 10 millions de droits irrépartissables et de report de l’exercice précédent. Soit la coquette somme de 24,366 millions d’euros. Un chiffre record depuis 2009.

 

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Le fonds franco-américain et la Sacem

Parmi les dépenses, la SACEM a mis de côté près de 7,5 millions d’euros qui seront reportés sur 2013. Avec son pactole, en 2012, elle a par exemple dépensé 1,8 million d’euros pour le fonds d’Action Sacem et le Fonds franco-américain. Ce fonds a pour mission « d’encourager une meilleure diffusion du cinéma français aux États-Unis », d’aider à la restauration « des films français et américains » mais aussi d’ « initier des rencontres professionnelles tant en France qu'aux États-Unis ». Comme le décrit la page de présentation, ce fonds « conduit également des actions permettant de susciter et renforcer les occasions de rencontres entre les professionnels français et américains, autour de leurs films respectifs et de leurs préoccupations souvent communes, qu'elles soient techniques, artistiques, politiques ou culturelles. »

 

Cette somme de 1,8 million d’euros américano-française est nettement plus importante que « le fonds de formation continue des auteurs » qui a perçu un peu moins de 500 000 euros en 2012.

 

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Des frais de gestion non neutres

La gestion des 25 % n’est pas neutre. Entre les murs de la SACEM, pour administrer ces affectations, les tableaux montrent que la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de musique garde dans sa poche chaque année près d’un million d’euros (ligne « retenue de gestion des 25 % copie privée, net des produits financiers » ). En 2012, ces frais de gestion ont même frôlé 1,25 million d’euros (voir chiffres, ci-dessus).

 

Pour sa part, la Société des auteurs des arts visuels et de l'image fixe (SAIF) a perçu en 2012 160 235 euros au titre des 25 %. Elle a alors prélevé 24 035 euros au titre des frais de gestion, soit 15 %. « Le montant net à répartir s’établit donc à 136 200 euros » écrit-elle dans son rapport annuel (ci-dessous).

 

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Et du côté de la SACD ? Pour les frais de gestion de l’action culturelle, le coût d’exploitation a été chiffré en 2012 à 1,025 million d’euros. 70 % de ces charges (717 500 euros) ont été imputées sur les ressources légales définies par l’article L321-9 du CPI (dont les 25 % des sommes provenant de la rémunération pour copie privée). Une autre partie a été financé par les ressources générales d’exploitation de la société.

 

Aurélie Filippetti également dans le brouillard

Les informations présentées ici sont cependant très parcellaires puisqu’il est difficile en trois heures d’engloutir une telle masse d’information. Remarquons cependant que nous ne sommes pas les seuls à déambuler dans un épais brouillard, même lorsqu'on a ces rapports sous la main 24h/24.

 

Voilà peu, le député Lionel Tardy a demandé justement à la ministre de la Culture « de lui fournir des informations sur la ventilation des sommes provenant de la rémunération pour copie privée affectées, au titre de l'article L. 321-9 du code de la propriété intellectuelle » (les fameux 25 %). Le député réclamait aussi des données plus précises sur « le montant des sommes consacrées aux actions de défense, promotion et informations engagées dans l'intérêt des créateurs et de leurs œuvres, et en particulier les montants consacrés aux frais liés aux actions en justice. »

 

La réponse de la ministre vaut son pesant de cacahuètes en or : ses services, qui disposent pourtant de tous ces rapports remis chaque année, reconnaissent eux-mêmes que « le ministère ne dispose (…) que de données chiffrées globales, correspondant aux trois grandes catégories d'actions que sont les aides à la création d'une part, les aides à la diffusion du spectacle vivant et les aides à la formation des artistes d'autre part ». Problème, si la Rue de Valois ne sait pas détailler, elle n’a même pas daigné fournir ces « données chiffrées globales » à la représentation nationale, contraignant Lionel Tardy à déposer une nouvelle question, plus insistante.

 

Ajoutons que le ministère nous a avoué sans rougir qu'il ne contrôlait pas le contenu de ces rapports (contrairement à la Commission de contrôles des SPRD, qui est en capacité théorique de les viser, quand cependant elle choisit de le faire dans la masse de ses contrôles, ben plus vastes.)

Une transparence bientôt renforcée ?

Après le brouillard, le soleil ? Aux dernières Rencontres cinématographiques de Dijon, le ministère de la Culture nous a informé qu’un chantier était envisagé pour apporter plus de transparence dans l’usage de ces 25 %. Les SPRD pourraient être ainsi tenus de détailler bien davantage le tout dans un « rapport beaucoup plus normé » quant à la présentation de l’usage de ces sommes. « On va renforcer le dispositif législatif » nous assure une proche conseillère d’Aurélie Filippetti.

 

Ce besoin de transparence est également ressenti auprès des institutions européennes. Le point 18 du rapport Castex sur la copie privée invite en effet « les États membres à publier des rapports décrivant ces affectations dans un format ouvert et avec données interopérables ». Chiche ?

Copie privée, copies prisées

Après 2h de trajet (aller), rendez-vous était donc pris Rue du Faubourg St Honoré. Là, la sous-directrice des affaires juridiques d’Aurélie Filippetti, le responsable du bureau de la propriété intellectuelle et une archiviste nous ont accueillis et menés dans une salle du rez-de-chaussée. Dans une salle vitrée, au cœur du ministère, trônait une longue table. En son milieu, huit épais dossiers, classés par année, remplis ras-la-gueule.

 

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Surveillé par cette archiviste dépêchée pour l'occasion, nous avons donc passé ces trois heures imparties à nager dans des kilomètres de chiffres et de données en tout genre. Notre cas a même ému le responsable d’un puissant syndicat d’ayant droit, qui passant par-là, nous a souhaité entre deux portes un chaleureux « bon courage », légèrement acidulé. Évoquons à peine le train de fonctionnaires du ministère qui passait devant les vitres de cette salle, sans doute amusés de la scène. 

 

Résultats des courses ? Chaque SPRD a sa manière de classer les éléments, selon un mode qui lui est propre. Il est du coup difficile, surtout dans le temps imparti - 3 heures - de scruter avec attention tous les flux qui inondent tel festival, telle manifestation ou autre poste budgétaire lié à la lutte contre la contrefaçon.

 

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SPRD, associations, fonds...

Dans un inventaire à la Prévert, on a pu cependant remarquer que la SACD avait offert au titre des articles L et R321-9 (25 % copie privée notamment) une subvention de 18 000 euros HT à l’association Groupe 25 Images le 7 septembre 2012, pour que celle-ci puisse faire des entretiens lors du festival de la fiction TV à la Rochelle. Le rapport de la société de gestion collective, visé par un commissaire aux comptes, prend soin de souligner que « Christiane Spiero, administratice à la SACD, était également membre du Conseil d’Administration de « Groupe 25 Images » en 2012 ».

 

 

En avril 2012, 80 000 euros ont été versés à l’association EAT « qui a pour objet d’assurer la défense et la promotion des intérêts moraux et matériels des auteurs d’œuvres dramatiques vivants d’expression française ». Le rapport précise que « Jean-Paul Alègre, administrateur de la SACD, était également membre du Conseil d’Administration de l’association EAT » la même année.

 

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Parfois, les sommes sont bien plus rondelettes. La guilde française des scénaristes a par exemple bénéficié cette année-là de 280 000 euros. Là encore, un administrateur de la SACD, en l’occurrence Benjamin Legrand, était aussi membre du Conseil d’administration de ce syndicat qui a pour objet d’assurer « dans tous les domaines, la défense, l’étude et la promotion des droits moraux, patrimoniaux et matériels des scénaristes de cinéma, de télévision, du multimédia, de la radio, d’internet, de la télévision mobile personnelle et de tous les modes de diffusion connus ou non connus à ce jour, ceci tant d’un point de vue collectif qu’individuel ».

 

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La SACD est également en liaison intime avec l’association Beaumarchais-SACD, laquelle défend les actions d’aide à la création et à la diffusion en faveur des auteurs de répertoires de la SACD. Suite à une convention conclue le 4 janvier 2012, cette fois, ce sont 891 840 euros HT qui ont été versés. Au sein du Conseil d’administration de « Beaumarchais », on trouve une ribambelle d’administrateurs de la SACD comme Jean-Paul Alègre, Sophie Deschamps, Bertrand Tavernier, Georges Werler.

 

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Pascal Rogard, directeur général de la SACD, nous a assuré que ces personnes membres en même temps de la SACD et de l’association  Beaumarchais-SACD « ne participent à aucune décision sur l'attribution des aides » au sein de cette dernière.  « Beaumarchais n'aide que des auteurs et une seule fois. C'était une idée de Claude Santelli pour que les aides individuelles ne dépendent pas du CA de la SACD. Je n'ai pas de problème pour communiquer les bénéficiaires ». La liste des aides versées par l’association doit donc être spécialement sollicitée, cette structure faisant en l’état « écran » et n'est pas astreint aux obligations de transparence pensant sur les sociétés de gestion collective, exigées par le Code de la propriété intellectuelle.

 

Les différentes pièces donnent des informations plus factuelles, mais non inintéressantes. Ainsi, on apprend que parmi « les actions engagées pour la défense des catégories professionnelles concernées », la SACD fait état de ses « rencontres régulières avec les députés et sénateurs, de contacts réguliers avec ses interlocuteurs institutionnels (présidence, gouvernement, ministre de la Culture et de la Communication, CSA, CNC, etc.) » (dernier point de la photo ci-dessous).

 

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Présentation par nature des frais, non par destination

Et du côté des producteurs de musique ? La SCPP, qui représente l’intérêt des majors, a versé par exemple 990 000 euros au SNEP au titre « des actions de défense et d’aide à la création 2012 ». C’est donc ce syndicat de l’édition phonographique qui agit pour la défense de ses intérêts, sans qu’on sache exactement tout le détail des actions. Et pour cause : l'organisme qui récolte ces fonds n'est pas davantage une société de gestion collective. Il n'est donc pas lui-même tenu de détailler les dépenses finalement mises en œuvre dans le cadre de l'affectation des 25 %. Le niveau de granulosité de l'information est donc très sommaire.

 

Contacté, le SNEP nous indique ainsi que ces informations sont « clairement un sujet SCPP », laquelle ne décrit pas dans ses rapports ce que cachent ces 990 000 euros de soutien. Contacté, Marc Guez, directeur général et gérant de la SCPP, nous confie que cette subvention « a été décidée par l'assemblée générale de nos associés.Le SNEP s'est engagé à ce que cette subvention soit utilisée exclusivement à des actions de défense des droits telles que prévues à l'article R-321-9 du CPI et a garanti la SCPP à cet effet. Dans la mesure où la défense des droits des producteurs est la mission essentielle du SNEP, je ne crois pas que le SNEP ait une quelconque difficulté à cet effet. »

 

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Et quid du détail des mesures mises en oeuvre par le SNEP ? « Cela concerne tant les actions contentieuses qu'ils peuvent mener directement (Google, Spedidam) ou via leur contributions à l'IFPI, leurs actions auprès des pouvoirs publics en France, mais aussi au niveau européen, puisqu'ils interviennent directement auprès du Parlement européen, voire de la Commission. Par contre, je n'ai pas le chiffrage précis de toutes ces actions, car les comptes du SNEP sont présentés par nature de frais et non par destination, ce qui est la règle comptable en vigueur dans les syndicats professionnels ». On apprend donc au passage que la copie privée sert à financer des guerre entre société de gestion collective...

 

L'intéressé nous souligne enfin que « le rapport sur les aides figure dans notre rapport d'activité, qui est disponible en ligne sur notre site internet, et qu'ainsi l'information que vous évoquez est publique et qu'il n'était pas nécessaire de solliciter le ministère de la Culture afin de vous la procurer » (voir le rapport 2012) Sauf que pour savoir ce qui a été effectivement envoyé au ministère, impossible d'éviter le déplacement sur place d'autant que, comme souligné plus haut, le ministère de la Culture nous a dit qu’il ne disposait que des versions « papier » de ces rapports pourtant rédigés avec des outils informatiques. Enfin, toutes les SPRD n’ont pas pris le soin de diffuser en ligne ces informations.

 

Rappelons à ce titre que que le numéro 1 de la SACEM voyait d'un oeil gourmand les 25 % de la copie privée.Lors des rencontres cinématographiques de Dijon en 2012, il s'exprimait en ces termes devant les professionnels de l'audiovisuel : « je me suis fait expliquer par beaucoup d’entre vous qu’une des raisons pour lesquelles un grand nombre de parlementaires, c’était à dire des élus nationaux, se sont mobilisés quand on leur a demandé de le faire, c’est que la copie privée, ils ont en tout cas un bénéfice : c’est celui des 25 % qui contribuent dans leur commune, dans leur département, dans leur région, à aider ce qui [soutient] la création (…) notamment tout ce qui tourne autour du spectacle vivant. » (voir la vidéo).

Le feu vert de la CADA

La Commission d’accès aux documents administratifs nous avait accordé un plein feu vert : les rapports qui décrivent l’utilisation de la copie privée par les sociétés de gestion collective sont publics. Après avoir fait la sourde oreille pendant des mois, le ministère de la Culture nous a finalement invités à venir sur place pour consulter ces pièces. C’est ce que nous avons fait.

 

ministère de la culture

 

En mai 2013, nous réclamions du ministère de la Culture la communication des rapports d’affectation de la rémunération pour copie privée, non sans difficulté.

 

D’abord un rappel. Lorsque 190 millions d'euros de « rémunération » pour copie privée sont prélevés par les ayants droit, les sociétés de gestion collective ont la douce obligation d’en conserver 25 %. Ces près de 50 millions d’euros peuvent alors servir à financer n’importe quelle aide, pourvu qu’elle concerne la création, la diffusion du spectacle vivant ou des actions de formation des artistes (L321-9 du CPI). Le code de la propriété intellectuelle précise que l’aide à la création dont il est ici question peut aussi viser « des actions de défense, de promotion et d'information engagées dans l'intérêt des créateurs et de leurs œuvres », en somme la lutte directe ou indirecte contre la contrefaçon (R321-9 CPI).

 

En contrepartie, chaque année, les sociétés de gestion collective ont l’obligation de fournir au ministère de la Culture un rapport décrivant le sort de ces 25 % : quel festival, quel projet, quel spectacle, quel avocat, etc. ont été payés avec les flux financiers puisés sur la copie privée issue de la mémoire ou les supports. Problème, ces rapports ne sont pas publiés sur le site du ministère de la Culture, celui-là même qui vante l’importance de la transparence des données.

Des rapports non publiés, incopiables, mais publics

En juin 2013, après un mois de silence poli de la Rue de Valois, nous nous retournions devant la Commission d’Accès aux Documents Administratifs, la fameuse CADA, pour obtenir ces pièces. Celle-ci nous a donné un feu vert : ces épais rapports non publiés sont bien publics quoi qu’en pense le ministère de la Culture ! Mais manque de chance, la Rue de Valois nous écrivait parallèlement pour nous expliquer qu’elle n’avait aucune version électronique et que ces pièces étaient incopiables car trop épaisses. Seule solution pour consulter ces documents sur la copie privée ? Venir sur place.

 

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Pour pousser jusqu’à l’absurdité cette invitation - les fichiers épaulant ces rapports existent bien quelque part, en amont de l’imprimante ! - nous nous sommes donc rendus au Ministère voilà quelques jours.

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