Surestimation par les internautes des pratiques surveillées par la Hadopi
Dans une première étude (disponible ici en pdf), Eric Darmon, Thierry Pénard, Sylvain Dejean et Raphaël Suire relevent « une forte ignorance des internautes sur les pratiques surveillées et la réponse graduée ». Ainsi, 75% des internautes affirment savoir que les technologies de peer-to-peer sont surveillées par l’Hadopi, mais dans le même temps, ils sont 68% à penser que le téléchargement via des hébergeurs comme RapidShare fait aussi l’objet d’une surveillance de l’Hadopi, alors que ce n’est pas le cas. Ils notent également avec étonnement que « 12% [des sondés] estiment que l’Hadopi surveille les échanges de la main à la main (échange sur clé USB ou disque dur) ». Autrement dit, les internautes ont tendance à évaluer à la hausse les comportements entrant dans le champ de compétence de la rue de Texel.
En ce qui concerne le dispositif de réponse graduée, les enquêtes du Marsouin ont démontré que seuls 42 % des internautes « savent que la sanction intervient après trois infractions ». Autrement dit, plus d’un internaute sur deux n’a qu’une « connaissance limitée du mécanisme de réponse graduée », comme le soulignent les auteurs de l’étude. Fait intéressant : les internautes ayant une « bonne » connaissance de la Hadopi sont aussi ceux qui pensent que le risque de se faire repérer est le plus faible.
L’efficacité des recommandations en question
Comparant les réponses données par les internautes ayant déjà reçu une recommandation (ou dont un proche en a reçu une), et celles de ceux jamais avertis, les chercheurs semblent plutôt s’orienter vers une efficacité limitée de la riposte graduée. « Le recours à l’offre légale est assez similaire entre ceux qui ont reçu un avertissement (directement ou dans leur entourage) de l’Hadopi et ceux qui n’en ont pas reçu », de l’ordre de 35 % pour la première catégorie et de 33 % pour la seconde. Les auteurs de l’étude remarquent par ailleurs qu’une « proportion élevée des internautes avertis a recours à des pratiques non surveillées par l’Hadopi ». Autrement dit, ceux qui se sont fait prendre s’adaptent pour passer entre les mailles du filet.
Pour les chercheurs du Marsouin, « les avertissements ne semblent donc pas avoir eu un effet dissuasif fort sur l’ensemble des pratiques illégales », même s’ils relativisent cette affirmation par le manque de recul de leur étude.
Les pratiques légales avant tout tournées vers le gratuit
Dans une seconde étude publiée également aujourd’hui (disponible ici en pdf), les quatre mêmes chercheurs se sont cette fois intéressés aux évolutions des pratiques de consommation de contenus audio et vidéo sur Internet, de manière légale ou illégale.
S’agissant des offres légales, il s’avère que leur succès est avant tout du côté des offres gratuites (catch-up tv, streaming gratuit,...). Ainsi, près de 80 % des internautes affirment n’avoir jamais payé pour des vidéos à la demande ou acheté un produit sur une plateforme de musique payante. En revanche, ils sont 72 % à prétendre avoir utilisé un service de streaming musical gratuit.
Un renouveau des échanges traditionnels ?
Concernant les pratiques illégales, les auteurs de l'étude démontrent la prégnance des échanges traditionnels effectués en mains propres, ce qu’ils appellent le « piratage de proximité ». Les résultats de leurs enquêtes indiquent que « 43 % des internautes utilisent ce moyen pour acquérir de la musique et 38 % le font pour les films. Au total, ils sont 51% à l’avoir déjà fait ». Que ce soit grâce à des disques durs, des clés USB ou même par téléphone portable, les chercheurs du Marsouin décrivent cette pratique comme étant le « moyen le plus sur, le plus efficace, mais également le plus répandu pour acquérir des contenus illégaux ».
S’interrogeant sur l’évolution de ces pratiques depuis l’adoption de la Hadopi, les auteurs affirment que ces piratages de proximité « préexistaient à la loi Création et Internet, mais les pratiques étaient sans aucun doute moins dominantes. Aujourd’hui certains canaux online sont surveillés ou fermés ou techniquement plus compliqués à manipuler par conséquent, l’échange de proximité est probablement une pratique qui s’est substituée à d’autres usages prohibés ».
*M@rsouin : Môle armoricain de recherche sur la société de l’information et les usages d’Internet.