Des mercenaires du copyright ?
Une fois les services de Protect Artists présentés, une question vient rapidement à l'esprit : combien ça coûte ? « Nos tarifs sont différents selon l'artiste ou la maison de disque. Sur un mois entier, ils débutent à 250 euros par mois pour la protection téléchargement direct/torrents/réseaux sociaux et moteurs de recherche ». Pour ce prix-là, un compte rendu détaillé est envoyé chaque semaine au client. Ce document permet de retracer le nombre de liens signalés puis effectivement supprimés, et quels étaient-ils (voir capture ci-dessous).
Pour l'instant, l'entreprise ne compte parmi ses clients que des ayants droit de la musique, à commencer par des labels tels que Musicast ou Madison Music. Universal Music France a également eu recours à ses services dans le passé. Nous n'avons cependant pas réussi à contacter la major afin de savoir pourquoi elle avait mis fin à cette collaboration. Quoi qu'il en soit, le champ d'action de Protect Artists se veut bien plus large. « Nous sommes grand ouvert aux autres secteurs : cinéma, tv, documentaires, ebooks... Nous n'avons aucune limite ! » affirme-t-on.
Julien Kertudo, de Musicast, a accepté de nous expliquer pourquoi il s'était tourné vers Protect Artists : « On a besoin de s'assurer que nos albums sortent bien à la date de sortie nationale, car il y a de gros investissements de production derrière ». Ce distributeur disposant d'un catalogue axé notamment sur les musiques urbaines fait valoir que son public jeune a un mode de consommation plutôt tourné vers l'illégal. Protect Artist l'aide ainsi à traquer les liens, que ce soit avant comme après la sortie des disques.
Avant de recourir aux services de cette société, Musicast ne travaillait avec aucune autre entreprise de ce type. Mais le jeu en vaut-il vraiment la chandelle pour cet intermédiaire ? « Il faut rapprocher le coût de l'intérêt commercial, c'est-à-dire combien d'albums je perds quand il y a un lien disponible facilement de manière illégale. Même si je n'ai pas cette réponse, le coût reste raisonnable par rapport aux coûts de production d'un album » assure Julien Kertudo.
Des mercenaires du copyright ?
Derrière la société Protect Artists, se cache une équipe de quatre étudiants âgés de 20 à 25 ans. Sous le statut d'auto-entrepreneur, ces garçons passent environ 5 heures par jour, samedis et dimanches compris, à s'occuper des activités de la société. Ils se disent « passionnés par l'informatique et engagés dans ce "combat" contre le piratage ».
D'ailleurs, comment en sont-ils arrivés là ? « Nous avons commencé ce genre de services en 2011 car nous commencions à remarquer le nombre de sites ou d’hébergeurs se multipliait sans que les maisons de disques puissent faire quelque chose ou très peu... certains artistes eux-mêmes nous en parlaient en privé » raconte-t-on du côté de Protect Artists. Quand on leur demande s'ils n'ont pas l'impression d'être des mercenaires du copyright, ils répondent : « Non, nous ne trouvons pas ! Nous répondons juste à une demande de sociétés désemparées qui appellent à l'aide ».
Le nombre de requêtes DMCA envoyées par les ayants droit à Google grimpe en flèche
Si certains pensent qu'il est vain de vouloir lutter contre la réapparition des contenus illicites, la Recording Industry Association of America (RIAA) ayant par exemple expliqué il y a peu qu'elle se débattait dans « un océan de téléchargements illégaux » à l'aide d'un seau, Protect Artist croît au contraire dans l'efficacité du mécanisme actuel. « Nous pensons que nous faisons un gros plus dans ce domaine. Cela se remarque vite sur Google ou sur les sites de warez. Il faut cependant reconnaître que la "guerre" est bien plus rude pour la filière du cinéma que pour celle de la musique. Mais avec du boulot, nous pensons très certainement pouvoir retirer sur la durée 90 % des liens pirates de la Toile ».
Cette utilisation des voies légales n'empêche pas Protect Artists d'avoir également recours à d'autres moyens, bien plus informels, pour atteindre ses objectifs. En effet, l'équipe vante prudemment ses « contacts étroits » avec certains responsables de sites d'hébergement. « Nous avons côtoyé plusieurs administrateurs de sites Warez auparavant, et nous avons gardé contact malgré nos différents points de vues. Mais je n'en dirais pas plus à ce sujet... » nous a-t-on assurés. « Disons qu'ils savent ce que nous voulons et l'appliquent ».
Et contre les demandes erronées ?
Comme nous avons déjà eu l'occasion de l'évoquer dans nos colonnes, les hébergeurs reçoivent parfois des demandes qui sont visiblement un peu à côté de la plaque... Ce fut par exemple le cas lorsque LeakID – une société œuvrant pour le compte de Microsoft – a réclamé à Google le déréférencement de pages du site officiel « Microsoft.com ». Si le géant de l'internet n'a pas accédé favorablement à la requête en question, il n'en a cependant pas toujours été de même. Ainsi, il y a quelques semaines, plusieurs majors du cinéma ont obtenu de la firme de Mountain View le retrait des résultats de son moteur de recherche de plusieurs URL à partir desquelles il était possible de télécharger « The Pirate Bay - AFK », un documentaire pourtant sous licence Creative Commons.
Que fait Protect Artists pour éviter ce genre de requête erronée, qui apparaît comme une limite à l'envoi de masse de demandes de retrait ? « Nous recherchons en premier le titre de l'album et nous regardons la taille des fichiers sur les liens trouvés afin de voir si cela pourrait correspondre à un album ou pas » nous a-t-on répondu. Mais même si l'on comprend que l'équipe essaie de s'assurer qu'il s'agit du bon fichier, et non pas de photos de vacances renommées du titre d'un album de musique, on imagine facilement que les erreurs restent possibles. « De toute façon, dans le domaine de la musique, rares sont les fausses requêtes » tente d'évacuer Protect Artists.
De la demande de retrait à la procédure automatisée
Pour la seule semaine du 29 juillet au 5 août 2013, Google affirme avoir été sollicité par des ayants droit afin d’obtenir le déréférencement de plus de 4,33 millions d’URL. À la clé : la disparition d’autant de pages des résultats de son moteur de recherche. Cet exemple illustre d'ailleurs parfaitement le dispositif encadré par le statut juridique des hébergeurs.
En effet, en Europe comme aux États-Unis, ceux-ci ne peuvent voir leur responsabilité engagée qu’à partir du moment où ils n’agissent pas suite à une notification effectuée dans les formes par un ayant droit. En gros, c’est à celui qui estime que ses droits de propriété intellectuelle sont violés de contacter un intermédiaire pour qu’un contenu stocké sur ses serveurs soit retiré. Si ce mécanisme rend parfois vert de rage certains ayants droit, il est néanmoins pensé pour ne pas avoir à imposer aux hébergeurs une surveillance généralisée des flux transitant par leurs services.
À l’image de la montagne de demandes reçues toutes les semaines par Google, ce sont chaque jour des millions de requêtes qui sont ainsi adressées aux différents sites qui rentrent dans la catégorie d’hébergeurs : sites de liens torrents ou de téléchargement direct, de stockage de fichiers tels que RapidShare, MEGA ou DepositFiles par exemple, réseaux sociaux, etc. À chaque fois, un seul et même objectif : obtenir de leur part le retrait de la page permettant d’accéder au contenu illicite, que ce soit la copie jugée non-autorisée d’un film, d’un album, d’un livre, d’un jeu vidéo, etc.
Des sociétés qui effectuent les demandes pour le compte des ayants droit
Sauf que ces démarches peuvent s’avérer très fastidieuses pour les ayants droit. Il faut effectivement contacter l’hébergeur, parler sa langue (bien souvent l’anglais), savoir quoi lui dire et de quelle manière... Du coup, certains font appel à des intermédiaires spécialisés dans ce type de procédures. Nous avons par exemple pu consacrer il y a peu un article à « Prote©tion Livres », un portail tout d’abord développé pour le Royaume-Uni puis destiné depuis peu aux éditeurs français.
C’est également le cas de « Protect Artists », une société gérée depuis 2011 par quatre étudiants âgés de 20 à 25 ans. Son crédo : « éradiquer les contenus des plateformes illégales en 72 heures maximum ». Servant actuellement les intérêts d'ayants droit de la musique plutôt modestes, l’organisation utilise un logiciel automatisé développé pour l’occasion. Elle promet d’ailleurs à ses clients une efficacité qui se veut relativement alléchante :
- 72 heures maximum pour le retrait de contenus proposés sur un site de liens torrents
- De 24 à 48 heures pour les hébergeurs de fichiers (MEGA, UploadedHero, etc.)
- 48 heures pour le déréférencement d'URL par Google
- 72 heures pour la suppression d'un post publié sur un réseau social (Facebook, Twitter, etc.)
- 48 heures pour le nettoyage complet d’une plateforme de vidéos (YouTube, Dailymotion, etc.)
La société a accepté de nous expliquer quel était son mode de fonctionnement, ses motivations et de nous parler de son principal outil permettant de faire disparaître les contenus portant manifestement atteinte aux droits de propriété intellectuelle de ses clients : un logiciel « robot » spécialement conçu pour l'occasion qui « s'occupe de tout ou presque », nous a-t-on expliqué.
Protect Artists est encore très loin des dizaines de milliers de demandes adressées par des sociétés telles que Degban.
Une procédure aux rouages bien huilés
Première étape : entrer un mot clé, tel que « Beatles », « Brassens », ou le nom d’un album ou d’une chanson. « Le logiciel va rechercher, selon le module choisi, une liste de liens comme MEGA, Uptobox, Uploaded ou bien sûr les moteurs de recherche, sur les sites warez, de torrents ou sur les réseaux sociaux ». Au total, plus de 200 sites sont ainsi scannés. Une fois la recherche terminée, le logiciel propose une liste de liens correspondants. Ceux-ci sont alors automatiquement sauvegardés dans une base de données.
Débute alors une seconde étape : les liens identifiés par le robot sont rentrés dans le logiciel en vue de l’envoi des notifications aux hébergeurs. L’équipe de Protect Artists peut à cette occasion ajouter les fruits de ses recherches effectuées « manuellement », en complément aux recherches automatiques. « Nous pouvons faire des recherches approfondies sur les moteurs de recherches, les réseaux sociaux, les sites de Warez ou de torrents... Ceci arrive souvent. À vrai dire, tous les jours ! Nous vérifions alors par date, par exemple la semaine dernière, cette semaine ou les dernières 24 heures... » nous a-t-on expliqué. Quel que soit le mode choisi, Google permet de retrouver en moyenne 80 % des liens, qui sont souvent les mêmes entre les différents sites.
S’enclenche ensuite la rédaction des notifications, sans toutefois que chaque fichier ait été téléchargé afin de s'assurer qu'il corresponde bien à la propriété intellectuelle du client. Encore une fois, le tout s'annonce très bien huilé : « Nous avons plusieurs dizaines de mails abuse / DMCA contre ces hébergeurs et mails pré-remplis, il y a juste à modifier la date, le(s) lien(s) et choisir l’hébergeur ». À l’appui de ces courriers types, Protect Artists affirme pouvoir envoyer plus de 1 000 liens à la seconde par hébergeur.
Une démarche qui évolue, en fonction de la réponse des hébergeurs
Une fois que la balle se trouve dans le camp des intermédiaires notifiés, il ne reste plus qu’à attendre qu’ils s’exécutent. « Tout dépend des hébergeurs, certains sont peu scrupuleux ! Mais je dirais que près de 95 % des liens signalés sont supprimés dans les 48 heures » nous a-t-on expliqué. 5 % environ de liens qui resteraient donc actifs malgré les demandes de Protect Artists.
Que se passe-t-il lorsque ces hébergeurs ne s’exécutent pas ? « Dès lors qu'un hébergeur fait le mort, s’il ne répond pas au mail et que le lien est toujours disponible dans les 72 heures, alors nous contactons l'hébergeur de cet hébergeur. Nous lui envoyons une "requête formulée". Là, dans 95% des cas, il répond favorablement et pratique la suppression » nous a-t-on répondu. Ce type de procédure est par exemple utilisé par Protect Artist avec WordPress ou Leaseweb, l’hébergeur de MegaUpload.
Extrait d'une requête DMCA adressée en juillet 2013 à Google
Mais que faire si l’hébergeur de l’intermédiaire traînant des pieds fait lui aussi la sourde oreille ? « Ce type de cas existe », reconnaît-on chez Protect Artists. Bien souvent, l’hébergeur se protège alors derrière une législation nationale. « Un hébergeur russe voudra par exemple qu'on lui envoie une lettre par voie postale, traduite en russe et exigeant la suppression des liens, etc. » La société temporise néanmoins l’importance de ce genre de problème : « Si nos clients le souhaitent, nous pouvons dans ces cas-là y remédier via la maison de disque. Mais généralement, ces liens-là ne sont pas visités par ceux qui souhaitent télécharger, ou très peu ».