Audition du président de l'ARCEP : le défaut de mémoire des opérateurs

Jean-Ludovic Silicani, le président de l’ARCEP, a donc été auditionné par la Commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale, suivant ainsi de quelques minutes Olivier Roussat (DG de Bouygues Télécom) et de plusieurs jours Xavier Niel (Free Mobile), Stéphane Richard (Orange) et Frank Esser (SFR). Le président de l’Autorité de régulation des télécoms a rapidement abordé un sujet mentionné par Roussat quelques dizaines de minutes plus tôt, à savoir la différence entre la couverture des opérateurs (tous confondus) avalisée par l’ARCEP et la réalité du terrain.

Jean-Ludovic Silicani ARCEP AN

Petit cours d'histoire

Avant de traiter ce sujet, Silicani a pris quelques minutes pour rappeler aux députés qu’aucune contestation de la définition de l’ARCEP de la couverture de n’a été déposée par les deux opérateurs lors de leurs attaques après janvier 2010 devant le Conseil d’État au sujet de Free Mobile, avant de se désister. Strictement aucune critique n’a été faite sur cette définition de la couverture. Le président de l’ARCEP note d’ailleurs qu’une telle contestation aurait été bien difficile dès lors qu’elle est commune à tous les opérateurs.

Près de deux ans plus tard, Free a envoyé à l’ARCEP début novembre un dossier indiquant avoir couvert 27 % de la population. Jean-Ludovic Silicani refait alors un petit rappel historique aux députés afin qu’ils comprennent mieux la situation actuelle de Free Mobile.

« 10 ans plus tôt, pour deux autres opérateurs, France Télécom et SFR, dans le délai qui leur avait été donné par leur licence, avaient construit zéro station. Zéro. Aucune station. Je ne sais pas dans quelle langue il faut que je le dise pour que je sois tout à fait clair : il n’y avait rien.

L’Autorité de régulation des télécoms à l’époque, a manifesté une assez grande tolérance pour cette situation, que les opérateurs ont expliqué être justifiée par des problèmes techniques, et a redonné un calendrier supplémentaire, d’un an, ou de deux ans suivant les cas.

Pour Bouygues Télécom, même problème, rien au bout de deux ans, rien au bout des deux années supplémentaires qui ont été données, mise en demeure, et, enfin, au bout de cinq ans, le réseau de Bouygues Télécom a été ouvert.
»

Silicani explique que ce rapide rappel historique était important dès lors qu’aujourd’hui les opérateurs historiques envoient des « balles qui sifflent » aux oreilles de Free Mobile et de l’ARCEP.

En décembre 2011, l’ARCEP a vérifié et confirmé que Free Mobile couvrait au moins 27 % de la population comme sa licence l’imposait. « Nous avons envoyé sur le terrain, dans les zones réputées couvertes par Free, un prestataire de service très compétent pour faire ces contrôles suivant une méthodologie extrêmement rigoureuse. (…) Le contrôle a montré qu’effectivement, un peu plus de 27 % de la population était couverte par le seul réseau de Free. »

Les drôles de rumeurs du web

Le président de l’ARCEP a alors vivement critiqué les rumeurs qui ont rapidement couru sur la toile à l’encontre de Free Mobile. Jugeant ces méthodes peu correctes, Silicani a donc taclé indirectement les trois grands opérateurs, qui auraient dû, à son goût, avancer à visage découvert et se plaindre auprès de l’Autorité s’il y avait un réel problème.

Pour des raisons de transparence et afin d’apaiser le climat actuel, l’ARCEP a donc opéré de nouveaux contrôles sur Free Mobile ainsi que sur tous les opérateurs en place. Les résultats ont été publiés il y a quelques heures. « Ce second contrôle confirme que non seulement Free Mobile couvre toujours au moins 27 % de la population et que le nombre de stations allumées est de 753 (NDLR : 735 en réalité). » Or ce nombre est en augmentation par rapport à décembre. Il est d’ailleurs supérieur à 800 stations allumées à ce jour.

Silicani explique qu’entre décembre et février, Free a éteint certaines stations, notamment dans le centre de certaines grandes villes. Mais il en a allumé beaucoup plus qu’il n’en a éteint assure le président.

La procédure de vérification de la couverture

« Nous demandons à un prestataire de service de vérifier sur place, sur un échantillon de sites (…) car nous n’avons pas les moyens de contrôler 700, 800 ou 900 stations. Nous avons la liste des stations que l’opérateur est réputé avoir installées et allumées. Nous vérifions sur la base d’une carte géolocalisée que ces stations allumées couvrent x% de la population. (…)

Ensuite, nous contrôlons sur place, sur un échantillon représentatif, la réalité de cette couverture. Et nous demandons aux prestataires de circuler sur l’ensemble de la zone, sur ses bords, à l’extérieur des bords, à l’intérieur des bords, au milieu, dans les axes principaux, dans les différents quartiers, de façon statique, de façon mobile, à tous les moments de la journée jusqu’à 21h le soir. Ceci, sur des terminaux qui sont bloqués sur le seul réseau de Free, donc hors utilisation de l’itinérance offerte par France Télécom, pour vérifier que les zones réputées couvertes selon l’opérateur le sont. Et que l’ensemble des zones couvertes additionnées donne bien la population qui est celle prévue par la licence, c’est-à-dire au moins 27 %.
»

La différence entre la couverture et la réalité

Cette méthodologie a été utilisée pour Free en décembre et en février, et bien sûr pour tous les opérateurs mobiles du pays. Silicani en vient alors à la différence entre la couverture et la réalité du terrain. Une différence fondamentale qui explique notamment pourquoi Free gère bien moins que 27 % de son trafic. Ce qui répond directement aux questions des opérateurs concurrents.

« Quand un abonné de Free, sur une zone couverte par Free, passe une communication ou reçoit une communication, cette communication peut passer par le réseau de Free ou peut passer par le réseau d’Orange. Car le réseau d’Orange est beaucoup plus développé et plus efficace que le réseau de Free, et il le sera sûrement encore pendant pas mal d’années. »

L'ARCEP n'a pas à se mêler de l'accord Orange-Free

Le président de l’ARCEP explique ainsi que pour le consommateur, il n y a aucune différence. L’Autorité a bien noté qu’une part significative du trafic de Free passe par Orange, mais moins que ce qui a été annoncé dans la presse. Mais surtout, « la quantité du trafic des abonnés de Free qui passe sur le réseau d’Orange relève non pas d’une question règlementaire mais de l’application ou de la non application, du respect ou du non respect, d’un contrat de droit privé établit entre France Télécom et Free, dans des conditions qui leur appartiennent. »

Pour Jean-Ludovic Silicani, si ce contrat n’est pas respecté, c’est donc à Free Mobile et Orange de s’entendre. L’ARCEP n’a strictement rien à voir avec cet accord privé, sauf en cas de litige, où les deux parties peuvent aller devant le juge de commerce ou même saisir l’ARCEP dans certains cas. Mais « nous n’avons été saisis d’aucune demande de la part de Free ou Orange » précise-t-il.

Un peu plus tard, après diverses questions posées par les députés, le président de l’ARCEP a de nouveau abordé le problème de la différence entre la couverture et la qualité du service. Selon lui, une véritable confusion existe sur ce point. Tout d’abord, quand l’Autorité parle de couverture, c’est donc bien et uniquement la notion de couverture qui est retenue, en aucun cas la qualité de service. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

Silicani ARCEP

L’exemple personnel du président de l’ARCEP

Silicani prend ainsi son propre exemple pour mieux préciser sa pensée : « Le soir, devant l’immeuble où j’habite (au centre de Paris, NDLR), si je n’ai pas réussi à communiquer depuis l’intérieur, si je vais devant, mon opérateur, je ne dirai pas lequel, avec lequel j’ai un abonnement 3G, je n’ai pas de communication 3G… Je n’ai parfois pas de communication du tout. Et j’ai parfois une communication qui bascule sur la 2G….

Alors est-ce que le président de l’ARCEP, qui se trouve être un consommateur, va dire « eh bien j’ai souscrit un abonnement 3G, je ne l’ai pas, donc la zone n’est pas couverte ». On est au centre de Paris hein. Donc tout est surcouvert, hyper couvert. Donc j’engage dès demain matin une procédure contre l’opérateur qui n’assure pas mon service. La zone est couverte au sens règlementaire, mais j’estime qu’elle n’est pas couverte au bon sens, au sens du bon sens. Eh bien dans ce cas là, tous les opérateurs sont en manquement.
»

Quand Silicani prend les opérateurs à leur propre jeu

« Donc je peux traduire demain matin, tous les opérateurs télécoms pour non respect de leur obligatoire de couverture règlementaire. Si c’est cela que l’on veut, on peut le faire demain matin, sans problème. Toutes les pièces à conviction sont rassemblées pour qu’on le fasse.

Mais ce serait totalement illégal, car la définition de la couverture qui a été retenue dans leurs licences n’est pas celle que je viens de définir, c’est-à-dire le fait de savoir si le service arrive ou n’arrive pas sur le terminal de l’abonné. Mais de savoir si la zone est couverte au sens que j’ai rappelé à plusieurs reprises depuis le début de cette audition.
»

Silicani rappelle les débuts difficiles de SFR et Orange

Le président de l’ARCEP note ensuite que passer de la 3G à la 2G est bien pire que de passer du réseau 3G de Free au réseau 3G d’Orange grâce à son accord d’itinérance. Jean-Ludovic Silicani remarque d’ailleurs qu’au début du déploiement de la 3G de SFR et Orange, quand l’Autorité vérifiait leur réseau, « plus d’une fois sur deux, ce n’était pas de la 3G qu’on avait mais de la 2G ».

Il en conclu que dans ces conditions, il aurait fallu dire que les obligations de couvertures de ces opérateurs n’étaient pas remplies et qu’il fallait donc les mettre en demeure et les sanctionner. Mais l’ARCEP a respecté le droit, à savoir s’en tenir à sa définition de la couverture. « On ne peut pas faire ce que l’on veut. »

Pourquoi Free Mobile n’investirait pas ?

Le président de l’Autorité a ensuite abordé un autre sujet particulièrement discuté ces dernières semaines, en lien direct avec la couverture de Free Mobile. En effet, dès lors que la concurrence affirme que Free surexploite le réseau d’Orange, son explication est que le quatrième opérateur mobile a tout intérêt à ne pas investir dans les réseaux, quand bien même il paierait chèrement Orange pour louer son réseau. Une vision logique à court terme, beaucoup moins à long terme.

Jean-Ludovic Silicani explique ainsi que ces supputations n’ont pas de sens. « Ça coûte beaucoup plus cher à Free de louer le réseau de France Télécom que de faire fonctionner son réseau propre. Alors je voudrais savoir pourquoi l’opérateur Free aurait une politique absurde par rapport à ses propres intérêts, qui serait de louer pendant des années un réseau sans investir – d’ailleurs, ce qui est faux, puisque nous constatons déjà qu’entre décembre et février il y a eu plus de 200 stations supplémentaires qui ont été installées – mais faisons l’hypothèse qu’il n’en ferait pas davantage. Quel l’intérêt économique aurait-il à faire cela puisque ça lui coûte une fortune de louer le réseau de France Télécom ? »

Pour Silicani, tout ceci est donc « surréaliste ». Interrogé par un député quant aux risques financiers que Free éviterait en se contentant de louer le réseau d’Orange, Silicani dévoile une information, peut-être malgré lui, en affirmant que Free a proposé au moins 400 millions d’euros pour obtenir un lot de fréquence dans la bande 800 MHz pour la 4G. Or rappelons que Free n’a pu obtenir un tel lot, sachant que la plus faible somme proposée par la concurrence a été de 683 millions d’euros. (en savoir plus)

Pour le président de l’ARCEP, Free a donc les reins financiers pour déployer son réseau et il n’a strictement aucun intérêt à se contenter d’exploiter son accord d’itinérance.

Emploi : la vision à long terme

Enfin, Silicani a abordé très rapidement deux autres sujets. Tout d’abord, concernant les conséquences sur l’emploi du fait de la baisse des prix, le haut fonctionnaire explique qu’il serait une erreur de voir à court terme. La baisse des tarifs génère directement du pouvoir d’achat, ce qui par le principe des vases communicants n’a pas de conséquences négatives sur les emplois globalement.

« Il ne faut pas confondre les gains de productivité avec le low cost » a-t-il notamment affirmé. « Ne faisons pas la même erreur que le marché financier, c’est-à-dire d’être court-termiste, d’avoir le nez collé sur le lendemain. » Il y a certes des risques à court terme de baisse d’emploi. Mais les baisses de prix peuvent aussi être compensées en diminuant les dividendes plutôt que de s’attaquer aux employés.

Les MVNO se regrouperont

Concernant la question de la terminaison de SMS, abordé par les concurrents de Free Mobile, Silicani a confirmé que cette question sera réglée très bientôt. Quant aux MVNO, Silicani prévoit des regroupements, à l’instar des FAI il y a une dizaine d’années.

Note : la vidéo de l'audition de Jean-Ludovic Silicani est disponible sur le site de l'Assemblée Nationale (onglet Commissions), sous celle d'Olivier Roussat.

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