Comment lutter contre l’optimisation fiscale dont profitent les GAFA, le quatuor Google, Amazon, Facebook et Apple ? Comment assurer l’équité fiscale sans pilonner l’innovation, les PME et l’emploi en France ? Comment casser l'attrait du Luxembourg ou de l’Irlande ? C’est à ces problématiques qu’ont planché aujourd’hui les participants au Forum sur la Fiscalité du Numérique au Sénat. Un forum organisé par la Fédération Française des Télécoms avec pour chef d’orchestre Philippe Marini, le sénateur qui avait porté l’an passé la si mal nommée Taxe Google.
Cette taxe fut injectée dans la loi de finances pour 2011. Elle visait à taxer les publicités en ligne à hauteur de 1 %. Problème, mal calibrée, elle revenait à cibler davantage les entreprises françaises pour un rendement fiscal très modeste. Le texte fut finalement abandonné, mais il ouvrait le chantier continué aujourd’hui au Sénat.
Aujourd’hui quand un prestataire basé au Luxembourg contracte avec un consommateur français, c’est la TVA luxembourgeoise qui s’applique. En 2015, les règles du jeu changent : on facturera la TVA du pays de consommation (avec une période transitoire jusqu'en 2019). Les règles seront donc neutres et plus simples. Ou presque : comment identifiera-t-on le domicile du consommateur quand il s'agira d'un Luxembourgeois achetant un fichier dans un cybercafé français ? Où sera le domicile et donc la TVA ? De même, comment iTunes pourra localiser exactement ses clients ?
Pour l’impôt sur les sociétés, la question est plus acidulée. Les quatre OTT, « over the top » américains ont élu domicile dans les pays où le climat fiscal est le plus confortable. Résultat des courses : leur position stratégique sur le marché de la publicité en ligne est renforcée par une fiscalité avantageuse, par rapport aux acteurs français. La fiscalité n'est cependant pas le seul or noir de ces acteurs. Michel Calméjane, directeur général de COLT Technology Service citera l’exemple de l’Islande qui a su créer une industrie du cloud computing à coup de datacenter, fibre optique, système fiscal harmonisé, électricité verte et forte protection des données, à l’instar de la Suisse.
À la tribune, les opérateurs de télécommunications français ont évidemment redoublé d’arguments, à coup d’études, avocats, chiffres et rapports circonstanciés pour rappeler qu’ils doivent, eux, faire face au défi de l’équipement en réseau du pays, tout en payant de multiples taxes pour le cinéma, l’audiovisuel public ou le droit d’auteur. Pierre Louette, directeur exécutif d’Orange : « si on aggrave leur charge en permanence, ces animaux fiscalisés pourront-ils continuer à faire tout ce qu’ils doivent faire ? ». Et Louette de rappeler un thème cher aux opérateurs français qui investissent pour construire des autoroutes qui profitent finalement aux gros acteurs étrangers. « Il y a une rupture de lien entre l’intensité d’usage et ce financement »
L’idée d'une telle taxe fait grimacer Luc Tran Thang, président du syndicat des régies internet qui craint que ce dispositif n’handicape les régies publicitaires françaises, lesquelles ont déjà bien du mal à entreprendre sur les marchés étrangers. « Aujourd’hui, on a un problème d’équité entre les acteurs et il serait contre-productif d’handicaper les petits acteurs français ! »
Autre proposition faite par un autre cabinet d’avocats fiscalistes : créer une sorte de taxe générale qui viserait toutes les activités économiques réalisées notamment sur internet. Un dispositif mystérieux qui ne serait ni une taxe sur les bénéfices, ni une taxe sur le chiffre d’affaires, mais un entre-deux, une taxe sur le niveau d’activité. Elle pourrait même être, dit-on, une sorte de droit payé en contrepartie d’un accès sur le marché français.
Le problème est que ces dispositions exigent une modification unanime du droit communautaire – on imagine déjà la position du Luxembourg ou de l’Irlande – voir la renégociation ou la dénonciation des conventions internationales... Pas simple !
Yves le Mouël, directeur général de la Fédération Française des Télécoms n'en démord pas : il faut alléger la fiscalité sur les acteurs nationaux, et lester celle des gros acteurs étrangers. « Quand on surfiscalise, il y a une forme manifeste d’injustice. Si elles étaient mieux employées, ces sommes permettraient à l’économie de gagner en compétitivité ». Autre chose, GAFA sont aujourd’hui des concurrents directs des opérateurs français, dans le domaine de la téléphonie, de la messagerie, etc. « Ils font le même métier que nous et nous sommes donc dans une situation concurrentielle dissymétrique puisqu’ils ne souffrent pas de la fiscalité française. »
L’autre volet reposerait sur deux contributions.
Une première serait dédiée à la culture et viserait à appliquer aux acteurs étrangers les taxes relatives au soutien à l’audiovisuel public. Elle serait épaulée par l’extension de la rémunération pour copie privée à ces mêmes acteurs étrangers. Cette extension marque un véritable cheval de Troie, la RCP n'ayant rien d'une taxe fiscale à ce jour. Elle dessine en tout cas les premiers pas de l’assujettissement du cloud, sujet brûlant au CSPLA. Marini a été cependant avare en détail pour ce sujet crucial aux lourds problèmes pratiques (qui seront les redevables de l'assujettissement à la copie privée d'un cloud mexicain ou japonais ?)
Une seconde série serait donc la taxe sur la publicité en ligne et même une « taxation de la valeur ajoutée ou des adresses IP », concept curieux sur lequel n’a été donné là encore aucun détail. Cette taxe sur la pub frapperait cependant l’ensemble des publicités en ligne réalisée en France (2,6 milliards d’euros). Elle viserait les régies publicitaires en France et à l’étranger, au moyen du représentant fiscal.
Cette taxe fut injectée dans la loi de finances pour 2011. Elle visait à taxer les publicités en ligne à hauteur de 1 %. Problème, mal calibrée, elle revenait à cibler davantage les entreprises françaises pour un rendement fiscal très modeste. Le texte fut finalement abandonné, mais il ouvrait le chantier continué aujourd’hui au Sénat.
Érosion des assiettes et donc des coups de pouce à la Culture
La problématique est simple : voilà des géants américains qui trustent le secteur du numérique, tout en aspirant ses ressources publicitaires, en pratiquant l'optimisation fiscale à plein régime. « La croissance nécessairement très rapide du commerce électronique, le phénomène d’évasion des assiettes fiscales, etc. toute cette évolution met en danger les recettes de l’État » craint le sénateur Marini. Cette érosion gangrène d'autres postes par phénomène de domino : des assiettes fiscales réduites signifient un rendement moindre des taxes affectées au financement de l’audiovisuel et des droits d’auteur. Bref, une petite horreur pour la Commission des affaires, les ayants droit ou la Rue de Valois.Une problématique différenciée selon l'impôt
La problématique de cette toxicité fiscale diffère en réalité selon l’impôt.Aujourd’hui quand un prestataire basé au Luxembourg contracte avec un consommateur français, c’est la TVA luxembourgeoise qui s’applique. En 2015, les règles du jeu changent : on facturera la TVA du pays de consommation (avec une période transitoire jusqu'en 2019). Les règles seront donc neutres et plus simples. Ou presque : comment identifiera-t-on le domicile du consommateur quand il s'agira d'un Luxembourgeois achetant un fichier dans un cybercafé français ? Où sera le domicile et donc la TVA ? De même, comment iTunes pourra localiser exactement ses clients ?
Pour l’impôt sur les sociétés, la question est plus acidulée. Les quatre OTT, « over the top » américains ont élu domicile dans les pays où le climat fiscal est le plus confortable. Résultat des courses : leur position stratégique sur le marché de la publicité en ligne est renforcée par une fiscalité avantageuse, par rapport aux acteurs français. La fiscalité n'est cependant pas le seul or noir de ces acteurs. Michel Calméjane, directeur général de COLT Technology Service citera l’exemple de l’Islande qui a su créer une industrie du cloud computing à coup de datacenter, fibre optique, système fiscal harmonisé, électricité verte et forte protection des données, à l’instar de la Suisse.
Equité et fiscalité
En attendant, les GAFA n’ont pas élu domicile en France. Alors, « comment parvenir à imposer au juste niveau ces multinationales du numérique qui ont su faire leur taxe shopping pour s’implanter là où l’optimisation est au rendez-vous ? » questionne Marini, qui insiste bien : « on ne veut pas créer de nouveaux impôts à la charge des internautes ». Ni pilonner les entreprises françaises.À la tribune, les opérateurs de télécommunications français ont évidemment redoublé d’arguments, à coup d’études, avocats, chiffres et rapports circonstanciés pour rappeler qu’ils doivent, eux, faire face au défi de l’équipement en réseau du pays, tout en payant de multiples taxes pour le cinéma, l’audiovisuel public ou le droit d’auteur. Pierre Louette, directeur exécutif d’Orange : « si on aggrave leur charge en permanence, ces animaux fiscalisés pourront-ils continuer à faire tout ce qu’ils doivent faire ? ». Et Louette de rappeler un thème cher aux opérateurs français qui investissent pour construire des autoroutes qui profitent finalement aux gros acteurs étrangers. « Il y a une rupture de lien entre l’intensité d’usage et ce financement »
Des critères classiques, mais déclassés
Une rupture de lien, et un joli nœud juridique. Aujourd’hui, les dispositions françaises sont inadaptées pour permettre de capter complètement les richesses créées par les activités numériques. Elles sont fondées sur des critères de territorialité essentiellement physiques peu en phase avec l'évanescence des activités numériques. Autre contrainte, la France est étranglée dans un réseau de convention fiscale internationale. Redéfinir les critères de rattachement physique encadrés par ces textes impliquerait de renégocier ces conventions. Par ricochet, quelque 2000 conventions internationales seraient impactées à l’échelle de la planète...Comment rattacher GAFA en France ?
Les idées sont cependant dans la marmite des opérateurs et de la Culture. Au Sénat, des juristes alimenteront les fourneaux de la FTT en proposant une vague taxe sur les revenus réalisés par les services de publicités en ligne. Sans qu’on sache ni l'assiette, ni le taux ni même le redevable de cette ponction. Mais, une certitude : pour rattacher tant bien que mal Google, Amazon, Facebook et iTunes en France, l’idée serait d’imposer aux acteurs étrangers de nommer un représentant fiscal dans le pays, à l'instar du mécanisme choisi par l’ARJEL pour territorialiser en France les revenus des jeux en ligne.L’idée d'une telle taxe fait grimacer Luc Tran Thang, président du syndicat des régies internet qui craint que ce dispositif n’handicape les régies publicitaires françaises, lesquelles ont déjà bien du mal à entreprendre sur les marchés étrangers. « Aujourd’hui, on a un problème d’équité entre les acteurs et il serait contre-productif d’handicaper les petits acteurs français ! »
Autre proposition faite par un autre cabinet d’avocats fiscalistes : créer une sorte de taxe générale qui viserait toutes les activités économiques réalisées notamment sur internet. Un dispositif mystérieux qui ne serait ni une taxe sur les bénéfices, ni une taxe sur le chiffre d’affaires, mais un entre-deux, une taxe sur le niveau d’activité. Elle pourrait même être, dit-on, une sorte de droit payé en contrepartie d’un accès sur le marché français.
Les pistes du CNN
De son côté, le Conseil National du Numérique ne partage pas ces idées et préfère remettre les pendules à l’heure. GAFA, c’est 500 millions d’euros attendus sur l’impôt sur les sociétés. En pratique, il n’y en a que 5 de versés. « On est sur un ratio de 1 à 100 » dira Benoit Tabaka qui milite pour une solution à long terme – territorialiser ces acteurs par le critère de l’établissement virtuel en France. Et une solution à court terme, en tenant compte d’un vieux critère dégagé par le Conseil d’État dans les années 60, celui du cycle commercial complet. Deux astuces qui permettraient de rééquilibrer la compétitivité fiscale en frappant ces mastodontes du numérique. Avec une précision importante : « aujourd’hui la fiscalité est un enjeu de compétitivité, l’enjeu n’est pas de financer un secteur ». Par exemple ? Le secteur culturel...Le problème est que ces dispositions exigent une modification unanime du droit communautaire – on imagine déjà la position du Luxembourg ou de l’Irlande – voir la renégociation ou la dénonciation des conventions internationales... Pas simple !
Yves le Mouël, directeur général de la Fédération Française des Télécoms n'en démord pas : il faut alléger la fiscalité sur les acteurs nationaux, et lester celle des gros acteurs étrangers. « Quand on surfiscalise, il y a une forme manifeste d’injustice. Si elles étaient mieux employées, ces sommes permettraient à l’économie de gagner en compétitivité ». Autre chose, GAFA sont aujourd’hui des concurrents directs des opérateurs français, dans le domaine de la téléphonie, de la messagerie, etc. « Ils font le même métier que nous et nous sommes donc dans une situation concurrentielle dissymétrique puisqu’ils ne souffrent pas de la fiscalité française. »
La future proposition de loi Mariani
En conclusion de cette journée, Philippe Marini a sorti de son chapeau une future proposition de loi afin de contenter à la fois les acteurs des télécoms et ceux de la Culture. Une ébauche dont il esquissera en fin de journée les grandes lignes.Taxation au profit de la Culture, taxation de la publicité
Deux volets sont attendus. L’un viserait à obliger les acteurs étrangers à déclarer en France un référent fiscal à partir d’un certain seuil d’activités, à l'image de ce qui existe pour les opérateurs de jeux.L’autre volet reposerait sur deux contributions.
Une première serait dédiée à la culture et viserait à appliquer aux acteurs étrangers les taxes relatives au soutien à l’audiovisuel public. Elle serait épaulée par l’extension de la rémunération pour copie privée à ces mêmes acteurs étrangers. Cette extension marque un véritable cheval de Troie, la RCP n'ayant rien d'une taxe fiscale à ce jour. Elle dessine en tout cas les premiers pas de l’assujettissement du cloud, sujet brûlant au CSPLA. Marini a été cependant avare en détail pour ce sujet crucial aux lourds problèmes pratiques (qui seront les redevables de l'assujettissement à la copie privée d'un cloud mexicain ou japonais ?)
Une seconde série serait donc la taxe sur la publicité en ligne et même une « taxation de la valeur ajoutée ou des adresses IP », concept curieux sur lequel n’a été donné là encore aucun détail. Cette taxe sur la pub frapperait cependant l’ensemble des publicités en ligne réalisée en France (2,6 milliards d’euros). Elle viserait les régies publicitaires en France et à l’étranger, au moyen du représentant fiscal.