Copie privée : peine d'un million d'euros infligée aux ayants droit

Le projet de loi Copie privé, adopté à l'Assemblée nationale, sera examiné au Palais du Luxembourg le 19 décembre. Difficile donc pour les sénateurs de contourner ce jugement qui met en lumière la problématique de l'harmonisation. Selon le jugement du TGI, les ayants droit n'ont pas voulu aborder ce paramètre, empêchant du coup une saine concurrence avec les acteurs étrangers. Ajoutons notamment à cela des montants majorés indûment (copie illicites, assujettissement des professionnels), et voilà la France placée dans le peloton de tête des niveaux de ponction.

La différence de taux de copie privée entre les pays génère un marché gris. Les consommateurs français connaissent l'astuce : les supports vierges vendus depuis le Luxembourg sont sans redevance. Belle affaire ! Mais une plaie pour les distributeurs français, victimes de cette concurrence faussée.

En 2007, Rue du Commerce avait tenté en vain d'y remédier en attaquant des sociétés étrangères pour concurrence déloyale. La Cour de cassation obligeait cependant ces cybermarchands à bien informer leurs clients basés en France quant à l’obligation d’acquitter la rémunération pour copie privée (c’est à l’importateur ou au distributeur de payer la RCP). Evidemment, tous les consommateurs s’abstiennent ou même ignorent cette obligation.

copie privée CD vierge RueDuCommerce  

Nouveau front franco-français

Rue du Commerce et Patrick Jacquemin, son administrateur, ont donc ouvert un nouveau front, épaulé par l'avocat Cyril Chabert. La société a donc attaqué Sorecop-Copie France, qui compte dans ses rangs la SACD, la SACEM, la SPPF, la SCPP, la Spedidam, l'Adami, etc. Elle leur reproche une inaction et même une abstinence fautive qui alimente ce marché gris et pourrit les règles du jeu.

Pourquoi ? L’objet social de Sorecop-Copie France est la perception, la gestion et l’exercice du droit à rémunération des bénéficiaires (artistes, etc.). Elle a un monopole dans cette mission. Or, rappelle Rue du Commerce, « en droit commun français les sociétés qui manquent à leur objet social commettent une faute ». Une faute d’autant plus évidente que pour la CJUE, les sociétés de recouvrement ont une obligation de résultat dans la mise en place d’une perception effective.

Mais ce n’est pas tout. Rue du Commerce a ouvert également les yeux de la justice sur le fonctionnement de la Commission copie privée. La société reproche en substance aux ayants droit de n'y prendre aucune initiative « pour parvenir à des montants de rémunération conformes à la jurisprudence européenne et aux montants (plus bas) pratiqués par les autres pays de l’Union ». Ces mêmes ayants droit sont du coup accusés « de percevoir en toute connaissance de cause, des montants de rémunération illégaux qui ont plusieurs fois été annulés par le Conseil d’État ».

Qu'en dira le TGI de Nanterre dans son jugement du 2 décembre 2011(*) ?

Un marché gris, une concurrence faussée

Le tribunal estimera qu’il existe bien un marché parallèle né des différences de montant de copie privée. Et ce marché est générateur en France d’une distorsion de concurrence : « les prix offerts par les cybercommerçants étrangers (européens ou non) sont nettement inférieurs à ceux offerts par les cybercommerçants français », astreints de payer et donc de faire supporter à leur consommateur ces ponctions.

Le TGI citera des exemples : « le taux français sur les CD vierges est 12 fois plus élevé que celui de l’Allemagne, 6 fois plus élevé sur les DVD vierges ; il est 2 fois plus élevé que le taux belge ou espagnol pour les deux types de support ; il est 2 fois et demie plus élevé que le taux des Pays-Bas sur les CD, 2 fois plus élevé sur les DVD. »

Le test du consommateur lambda

A qui la faute ? Selon le TGI, il y a un bug de perception chez les sociétés chargées de la collecte. « En pratique elles ne recouvrent pas la rémunération pour copie privée auprès de ces consommateurs ». Rue du Commerce a d'ailleurs fait faire un test en 2007 où un consommateur lambda déclarait à Sorecop-Copie France un achat transfrontalier. Le consommateur  « s’est fait adresser un formulaire destiné aux importateurs grossistes, qui l’a rempli, non sans difficulté, puis l’a envoyé, mais ne s’est pas vu réclamer le montant de la redevance ».

Quand les sociétés de perception privent les auteurs de rémunération

Le juge reconnaît cette collecte certes complexe, mais la passivité des sociétés de perception n’en est pas moins fautive surtout sous l'aiguillon du droit européen, une des spécialités de l'avocat Cyril Chabert : « Les objectifs de bon fonctionnement du marché intérieur (…) ainsi que l’exigence d’un niveau de protection élevé du droit d’auteur ne sont pas atteints lorsque les sociétés (...) s’abstiennent de recouvrer cette compensation auprès d’une quantité importante de consommateurs redevables, privant ainsi les auteurs d’une rémunération importante et laissant se créer une distorsion de concurrence au sein de marché de l’Union ».

Or, Sorecop-Copie France n’a pas lancé de vaste campagne d’informations préventives auprès des consommateurs français ou des commerçants étrangers. Contrairement à leur homologue belge, par exemple, Sorecop-Copie France n'a pas davantage  « engagé aucune action de collecte ni aucune action judiciaire à l’encontre des cybercommerçants étrangers pour tenter d’obtenir leur condamnation au paiement de la rémunération pour copie privée ».

Mais ce n’est pas tout.

Copie France est prépondérante au sein de la Commission copie privée

Après analyse des règles de fonctionnement de la Commission copie privée, le Tribunal estimera également que le couple Sorecop/Copie France profite d’une position déterminante au sein de la CCP. « Disposant de 10 sièges sur 24 il est certain que les sociétés Sorecop et Copie France ont un pouvoir d’action important dans cette commission. Il suffit en effet que les membres des deux autres collèges soient en désaccord ou que certains soient absents pour que les voix des deux sociétés de gestion collective prédominent et emportent la décision. »

Problème encore, les membres de cette commission doivent en principe fixer les taux de copie privée dans le respect des règles du code de propriété intellectuelle mais en ayant également à l’esprit l'objectif européen, celui de l'harmonisation.

Or, à la lecture des comptes rendus de la Commission, ce paramètre a échappé aux ayants droit. Le TGI citera même cet épisode épique où, selon un des témoins, les ayants droit se sont dit opposés à l’idée de tenir compte du critère de l’harmonisation dans les calculs de taux. Et on devine pourquoi : se profilent le risque de taux harmonisés à la baisse, quand ce n'est pas celui d'une perte de souveraineté dans leur détermination.

Le TGI rappellera enfin les bugs à répétition constatés par le juge administratif : « les montants de rémunération pour copie privée (…) ont été à plusieurs reprises annulés par le Conseil d’État en ce que leur base de calcul intégrait deux éléments de surestimation : quant aux personnes redevables (prise en compte des usagers professionnels) et quant à la nature des usages (prise en compte des usages illicites de copie privée) ».

Voilà donc le bilan de ce dossier Rue du Commerce vs Sorecop-CopieFrance :

Le TGI de Nanterre a donc condamné Copie France-Sorecop à 1 million d’euros de dommages et intérêt au profit de Rue du Commerce pour cette négligence caractérisée. Le site de e-commerce évaluait son préjudice à 17 millions d'euros (chute des ventes depuis 2004, etc.), mais le TGI a considéré que les ayants droit n'étaient pas les seuls responsables de la situation.

condamnation copie privée

Une décision explosive

Quelles seront les suites de cette affaire ? Le procès ne concerne que le secteur des CD et DVD. Du coup, il pourrait faire "des petits" avec l'univers des téléphones, des disques durs externes, des clefs USB, des cartes mémoire, etc.

Mieux, la décision ne concerne que Rue du Commerce. Désormais, n’importe quelle boutique française peut la reprendre à son compte et réclamer le remboursement du préjudice subi du fait des inactions fautives des ayants droit.

Un risque d’embrasement évident qui devrait conduire Copie France (qui a absorbé Sorecop depuis le début 2011) à faire appel.

(*) L'affaire a un autre volet, celle du remboursement. Nous y reviendrons.

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