Acte 2 : Interview exclusive de Pierre Lescure

Et le public dans tout ça ?

La fiscalité, le droit pénal, la RCP, etc. Ce sont des mécanismes qui profitent directement à l’industrie. Pensez-vous que cela va suffire à atténuer la crise de confiance de l’industrie culturelle avec une partie du public ?

Dans les 80 mesures, nous avons le souci de trouver en permanence un équilibre. Si cela se met en marche, mon expérience et ma conviction font qu’il y aura derrière, je pense, une incitation à travailler plus ensemble. Si un mouvement s’enclenche, c’est le but transversal de toutes ces propositions, il en appellera d’autres car tout le monde y trouvera intérêt.

 

Quand on parle de la TST notamment, ce n’est pas quelque chose qui va rétablir le lien entre l’industrie et le public, car seuls les spécialistes connaissent le système du CNC. Ces mesures sont surtout conçues pour pérenniser le système de financement. En revanche, on a bien un ensemble de mesures visant à régler cette crise de confiance.

Que proposez-vous alors sur la balance des utilisateurs ?

Je pense que la question de la régulation des DRM est importante par exemple. On propose de renforcer les pouvoirs du régulateur des mesures techniques. Aujourd’hui, c’est la Hadopi, nous voulons les confier au CSA. On veut aussi lui donner des pouvoirs d’auto-saisine, qu’il puisse être saisi par des associations de consommateurs et éditer du droit souple, des guides de bonnes pratiques, des chartes. On veut enfin clarifier l’articulation très confuse entre les MTP et l’interopérabilité notamment en garantissant la possibilité d’éditer des logiciels libres. L’affaire VideoLan a montré qu’il y a avait une ambiguïté. Nous voulons la lever, au profit du logiciel libre, cela va de soi.

 

Le DRM n’est pas la mesure miracle pour réconcilier public et industrie. Un autre point important est cette critique qui revient souvent : pourquoi payer alors que l’argent va au producteur non à l’artiste ? Quoique caricaturale, l’affirmation est un petit peu vraie aujourd’hui. Sur le streaming de musique, des abus font que l’artiste ne touche pas grand-chose. On a des mesures pour garantir sa rémunération avec un taux minimum qui sera le même pour tous.

Vous prévoyez aussi de revoir le droit de citation…

Aujourd’hui, le droit de citation s’applique essentiellement sur les œuvres littéraires. Au-delà, c’est compliqué. Nous proposons d’ouvrir les vannes pour permettre les contenus créatifs puisque ni l’exception de parodie ni la courte citation ne suffisent.

 

On veut utiliser les marges de manœuvre pour permettre à ces pratiques de remix et mashups de s’épanouir. À plus long terme, on propose une exception spécifique sur les contenus créés par les utilisateurs comme cela a été fait au Canada.

Et sur la valorisation du domaine public, question soulevée à l’occasion des contrats signés par la BNF ?

Au-delà des questions de partenariat BNF, on appelle surtout à une clarification du statut juridique des œuvres du domaine public. Un article très intéressant de Lionel Maurel (@calimaq, NDLR) décrit toutes les difficultés et le fait que la définition ne soit que négative. L’extension successive des droits d’auteur et des droits voisins appelle à une clarification juridique de la notion. Il y a aussi tous les problèmes de coexistence des différents droits, notamment le droit des bases de données. Au-delà de cela, dans le cadre de la numérisation des œuvres du patrimoine, on aimerait réfléchir à de nouvelles modalités de valorisation qui ne soient pas uniquement comptables, mais beaucoup plus complexes notamment avec une vision sociale et économique dans la création de valeur ajoutée (rayonnement de la France, calcul des externalités positives, etc.). Il y a aussi un principe aussi à rappeler : le changement de support ne fait sortir l’œuvre du domaine public !

Pierre Lescure, la légitimité de votre mission pose toujours question. Dans le Nouvel Obs, on accuse la mission d’être le fruit « d’un lobbying efficace et discret ». Cela vous agace, vous le niez, vous le reconnaissez ?

Le nier c’est déjà humiliant. Le reconnaître serait un non-sens. Lisez le rapport, cherchez où le lobbying supposé a été efficace. Si vous en trouvez, dites-le moi, je veux bien accepter de me justifier ! J’ai fait quelques trucs dans ma vie. Valait-il mieux avoir un juriste qui connaisse le secteur, mais qui est avant tout un technicien, un haut fonctionnaire avec énormément de connaissance, ou quelqu’un qui vient du bâtiment ? J’ai découvert le bâtiment Internet sur le tard, en revanche, celui de la Culture, du financement des contenus et du système français, je le connais un petit peu.

Vous allez confier maintenant votre bébé de 2,3 Kg à Aurélie Filippetti. Quelles pourraient être les premières mesures à mettre en œuvre d’après vous ?

Sur la chronologie des médias, cela peut aller vite, car cela se discute entre professionnels sous le regard attentif du CNC. Aujourd’hui, les usagers sont aussi informés que les journalistes ou les dirigeants de chaîne. Des pratiques plus dynamiques en matière d’offres seraient immédiatement perçues et seraient de bons signes de rapprochement entre les ayants droit, l’industrie et les internautes.

 

De même, la lutte contre la contrefaçon commerciale n’a pas besoin de loi puisqu’on s’inscrit dans le cadre juridique actuel.

 

Sur la partie de l’offre, enfin, il y a aussi la question des séries que nous abordons dans le rapport. C’est un non-sens total de voir des séries passer un an après alors qu’elles sont envoyées dématérialisées pratiquement en temps réel à ceux qui les ont achetés ! Ces séries pourraient passer dans un délai extrêmement court. On nous oppose des arguments qui ne tiennent pas, liés à des calculs d’audience par rapport aux régies… Aux États-Unis, les studios, les producteurs, les diffuseurs et la FCC en discutent. Aujourd’hui on ne peut glapir qu’il faut absolument continuer à lutter contre le piratage et être aussi inconséquent en matière de diffusion de série.

 

Merci Pierre Lescure. 

Copie privée et TST

Sur la copie privée, à vous lire, on a l’impression qu’il n’y a aucun problème. Pas de remise en cause des barèmes, des calculs jugés « robustes », une commission « adaptée », n’est-ce pas curieux alors que les décisions d’annulation s’empilent au Conseil d’État ?

On ne dit pas que tout va bien. Une partie des annulations était liée à des défaillances de la Commission copie privée, une autre à des évolutions de la jurisprudence. L’annulation n’est pas toujours la preuve que la Commission copie privée a dysfonctionné. Ensuite, quand on dit que la méthode est robuste, si on regarde le détail, la méthode est mathématiquement cohérente. En revanche, il y a un point qui ne fait pas consensus, c’est celui de l’évaluation du préjudice. Il y a un paramètre, c’est le fameux taux de 15 %. Quand on copie pour un euro, ce paramètre évalue le manque à gagner à 15 centimes pour les ayants droit. Ce ratio-là n’est pas suffisamment détaillé, il faut l’objectiver et pour cela, on a besoin d’études économiques.

 

On veut aussi transformer cette commission décisionnaire en une commission de proposition où le gouvernement jouera le rôle d’arbitre et adoptera les barèmes par décret. C’est une transformation profonde qui ne plaira pas à tous les ayants droit.

 

lescure acte

Vous voulez aussi élargir la commission… élargir à qui ?

L’idée est de faire entrer les représentants des deux ministères concernés, industrie-consommation et culture.

Le fait que les barèmes soient adoptés par décret, ca change quoi ?

Ça change beaucoup ! Soit la commission se met d’accord et le gouvernement entérine, soit la commission ne se met pas d’accord, et le gouvernement reprend la main.

On sait aussi que lorsque la copie privée est là, c’est de l’argent public qui n’y est pas… Ça ne risque pas de polluer les arbitrages de la Rue de Valois ?

Que le ministère de la Culture ait intérêt à ce que la RCP continue à rapporter suffisamment, c’est évident. Mais quand on parle d’un décret, c’est un texte non du ministère de la Culture, mais du gouvernement.

Vous voulez aussi prendre en compte le cloud dans les barèmes, sans pour autant assujettir ces services…

Des copies faites à partir du cloud sur des appareils sont de la copie privée. Pourquoi traiter différemment les copies d’un support matériel vers un autre support matériel d’une copie faite depuis le cloud ? Dans les études d’usages, ces copies doivent être prises en compte. Cela ne veut cependant pas dire qu’on va taxer le cloud en tant que tel puisqu’on continuera à prélever sur le matériel.

On a déjà une idée approximative du taux ?

Non, car il faut faire des études d’usages justement, mais notre intuition est que ce n’est pas grand-chose.

En « sandwich » de la RCP, vous préconisez une taxe de 1 % sur tous les appareils connectés,  payée par les fabricants et les importateurs. Quelle serait sa justification et les rendements espérés ?

Par exception, nous créons ici une nouvelle taxe. L’idée est là encore d’anticiper les nouveaux usages non pour faire entrer plus d’argent, mais pour garantir la pérennité du système à rendements constants.

 

Il y aura un effet sandwich avec la rémunération pour copie privée dans un premier temps, mais nous proposons ensuite de fusionner les deux systèmes par souci de simplicité. Il n’est pas compréhensible pour le consommateur d’avoir deux prélèvements à finalité culturelle, même si l’un est une rémunération, l’autre une taxe. Cette fusion ne peut se faire immédiatement parce que les usages n’ont pas basculé et sa mise en place prend du temps.

 

L’assiette est large. Elle vise tous les appareils connectés qui permettent de stocker ou lire des contenus culturels. On l’estime à 8,6 milliards d’euros, soit un rendement de 86 millions d’euros. C’est moins que la RCP (200 M€, NDLR) mais si celle-ci vient à décroître, ce système prendra le relai.

 

Notre boulot de départ, à trois ou cinq ans de pérenniser et adapter le financement de la culture en France. Je n’imagine pas que les actes de copie privée ne diminuent pas. Les gens vont moins copier et à un moment, les barèmes deviendront totalement arbitraires.

Le taux de la taxe sera pour l’instant de 1 %, mais il pourrait augmenter plus tard ?

Le taux ne changera pas si la copie privée conserve son même poids. On est à revenus constants.

 

lescure

Vous élargissez la taxe sur les services de télévision (TST) à tous les opérateurs avec une assiette désormais assise sur le chiffre d’affaires. Vous évoquez aussi des analyses des flux menées par l’ARCEP pour mesurer visiblement la densité de la création…

La TST est aujourd’hui payée par les FAI en tant que distributeurs de services de télévisions. C’est très compliqué, car il faut regarder dans l’abonnement ce qui correspond à ces services. Parmi les FAI, il y a des petits malins qui ont mis la TV à 2 euros pour ne payer la taxe que sur ce montant. C’est de l’optimisation fiscale. Le gouvernement essaye de résoudre cette question en tentant de trouver une nouvelle assiette.

 

Notre sujet n’est pas exactement celui-ci. À 3 ou 4 ans, on pense que la notion même de distributeur de télévision risque de ne plus avoir de sens. Les flux audiovisuels vont passer sur Internet, directement sur les télévisions connectées. Pour autant, plus que jamais, les FAI vont profiter de la circulation des œuvres. Nous pensons qu’il faut donc appréhender l’ensemble du trafic Internet. Là encore, ce n’est pas pour faire entrer plus d’argent puisqu’on veut que ce soit à pression fiscale constante. On sait aussi que les FAI doivent financer le THD, que leur situation est déjà tendue et que leur marge a beaucoup diminué. Nous voulons simplement élargir l’assiette et baisser le taux.

 

Au cas où on resterait dans le système actuel de la taxation des services de télévision, il faudrait évaluer très précisément ce que représentent les services de télévision dans le flux. Un rôle qui pourrait être confié à l’ARCEP. C’est notre mesure de repli en attendant le résultat du contentieux sur la taxe Copé devant la Cour européenne de Justice.

Vous voulez évaluer donc la densité audiovisuelle dans le flux pour affiner l’assiette…

Ce que représente la télévision, mais uniquement dans notre plan B.

Comment l’ARCEP fera-t-elle une telle analyse ?

Nous n’avons pas de réponse technique.

Intermédiaires et fiscalité

Que préconisez-vous à l’égard des sites de streaming et de téléchargement direct ? Vous voulez promouvoir l’autorégulation chez les intermédiaires, tout en mettant dans la boucle Cyberdouane ?

L’idée est que cette contrefaçon lucrative relève par principe du droit pénal. On parle de délit et d’activités parfois en liaison avec la mafia. Dans ce domaine-là, les outils actuels de la politique pénale sont d’une efficacité limitée. L’idée est donc de mobiliser les intermédiaires sans modifier les règles de responsabilité des intermédiaires techniques. On ne propose pas de changer la LCEN ou la directive e-commerce. On agit dans les règles de responsabilité actuelles pour demander simplement aux intermédiaires de coopérer. Comme le décrit très bien le juriste Cédric Manara, c’est la seule façon d’appréhender le caractère décentralisé de l’internet.

Pourquoi Cyberdouane ?

Pourquoi cyberdouane et non les polices privées qui passeraient des accords contractuels avec les intermédiaires comme aux États-Unis ? À notre sens, le choix des polices privées est dangereux. Si la puissance publique ne doit pas faire le boulot des ayants droits, ni se substituer aux intermédiaires, elle doit agir en tiers de confiance pour qualifier les sites à l’égard desquels on peut prendre des mesures. Laisser à l’ayant droit la possibilité d’exiger de Google ou de Paypal des mesures à l’encontre d’un site peut générer des dérives. L’intervention de Cyberdouane permet d’encadrer cela.

Vous ne touchez pas au statut de l’hébergeur, mais l’intervention de Cyberdouane va aussi permettre de mesurer le degré de bonne foi des intermédiaires…

L’idée n’est pas de classer les intermédiaires en fonction de leur bonne foi et de les sanctionner. Une arme existe déjà dans notre droit, l’article 336-2 du Code de la propriété intellectuelle. Notre idée est de faire tout notre possible dans le cadre de chartes. Si à un moment donné, l’intermédiaire refuse de jouer le jeu, cet article qui est la transposition un peu modifiée du droit communautaire, permet d’aller devant le juge et d’ordonner à l’intermédiaire de prendre les mesures nécessaires (pour prévenir ou faire cesser une atteinte, NDLR). Cet article sera toujours là, il pourra toujours être mobilisé, mais ce sera le dernier recours. Il y a la même philosophie que la réponse graduée.

 

acte 2 Lescure

Pour convertir les utilisateurs à une consommation légale, votre rapport fourmille de propositions dont l’assouplissement de la chronologie des médias. Comment corriger ces fenêtres sans bousculer les mécanismes de financement ?

On ne pouvait pas passer du tout au rien ou du rien au tout et casser cette chaîne de financement. Nous essayons donc plein de petites mesures (expérimentation de sorties simultanées en salle et en ligne, dérogations pour les films à petits budgets, SVoD à 22 voire 10 mois, etc., NDLR). Ce qu’on propose n’est pas mutilant pour les économies de ceux qui préfinancent l’audiovisuel ou le cinéma. On ne coupe pas leur dynamique commerciale. C’est un premier pas, d’autres suivront quand on se rendra compte que le flux des propositions en VoD ou le développement d’une SVOD digne de ce nom ajoutent au champ des possibles dans le commerce des images. Aujourd’hui la SVOD est derrière le gratuit, à 36 mois. Qui va s’abonner à une telle offre ?

Comment voulez-vous inciter les hébergeurs ou les acteurs étrangers comme Apple à financer la création ? Qu’avez-vous dans votre boîte à outils ?

Notre volonté est de faire entrer ces nouveaux acteurs, qu’ils soient basés à l’étranger ou pas, dans le cercle vertueux de l’exception culturelle. Celui qui profite de la distribution des œuvres doit contribuer au financement de leur création. Aujourd’hui, parmi les mécanismes qui visent cet objectif, il y a des trous dans la raquette. Par exemple, un service de VoD basé en France, contribue. Quand il est basé au Luxembourg ou en Irlande, il ne paye pas. Pourquoi iTunes qui déjà ne paye pas la TVA française, ne contribue pas au budget du CNC alors que ses concurrents UniversCiné et le PassM6 doivent payer ?

 

Nous voulons modifier la loi fiscale pour imposer cette obligation. On peut le faire assez vite. Si la mesure ne fait pas entrer beaucoup d’argent aujourd’hui, le but est celui de l’équité. iTunes c’est 10% du marché de la VoD, ce n’est pas cela qui va multiplier le budget du CNC.

 

Des acteurs ne payent pas la taxe sur la valeur ajoutée, ils se mettent au Luxembourg et proposent tous les produits à un euro de moins. C’est une facilité qui ne peut plus durer ! Quand Canal a créé la fenêtre payante en 1983, personne n’imaginait que cela allait être gagnant-gagnant. Ma conviction est que l’investissement, y compris d’Apple et Google ce soir ou demain matin, dans le préfinancement et l’accompagnement des contenus viendra à son heure et ce sera bien pour tout le monde. D'ailleurs, YouTube et son programme Original Programming fait déjà quelque chose qui ressemble au système de financement français. Ce n’est pas anodin !

Sur le terrain des contributions, vous envisagez une taxe sur la TV de rattrapage, vous voulez étendre la taxe sur la vidéo aux services basés à l’étranger ou ceux financés par la publicité, vous pensez à une taxe sur les distributeurs de vidéo à la demande, et donc taxe sur les plateformes, les consoles, les magasins d’applications… C’est l’enfer fiscal qui s’annonce ?

Dans le rapport il n’y a pas une nouvelle taxe, il n’y a que des adaptations de taxes existantes. L’objet est double.

 

D’un, rétablir l’équité fiscale. Quand on est positionné au même endroit dans la chaîne de valeur, on doit avoir les mêmes obligations. C’est le cas des services de VoD basés en France ou à l’étranger. Les chaînes de TV qui contribuent au CNC sur leurs recettes publicitaires normales, mais non sur celles générées sur la TV de rattrapage. Où est la logique ?

 

De deux, c’est aussi la pérennité d’un système de financement. Si on ne fait pas ces ajustements, les nouveaux acteurs vont monter en puissance, les acteurs traditionnels comme les chaînes de TV vont occuper une place moins importante dans la diffusion. Si on ne sait pas appréhender ces nouveaux acteurs, c’est le système complet qui va être fragilisé dans les trois ou quatre ans.

Quels seraient les rendements ?

Sur la TV de rattrapage, quelques centaines de milliers d’euros. Pour la VOD basée à l’étranger, au maximum deux millions euros. Sur les distributeurs, on est là encore à très peu de choses. C’est surtout  une question de principe.

 

Un des défauts dans notre pays a parfois été de réagir dans l’urgence. Il faut au contraire préparer les systèmes avec des taux faibles et des assiettes très larges. Leur retour sera modéré, mais ils serviront de relais si, comme nous le pensons, les usages vont changer. Cela a été toute notre démarche sur la copie privée.

Hadopi

Pierre Lescure revient dans nos colonnes sur les principaux points de la mission sur l’Acte 2 de l’exception culturelle. Suppression de la Hadopi, maintien de la réponse graduée, action contre les sites de streaming, chronologie des médias, financement de la création, rémunération pour copie privée… Accompagné de Jean-Baptiste Gourdin, administrateur de la mission, ainsi que de Juliette Mant, rapporteure, l'ancien PDG de Canal+ explique les choix qui ont piloté ses 80 recommandations.


lescure

Après une centaine d’auditions, dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd'hui ? Soulagé, frustré, inquiet, plein d’espoir ?

Frustré, non. La centaine de rencontres officielles et tant d’autres plus informelles avec les institutions nous ont donné un état des lieux des usages, des attentes et des principes qu’il fallait préserver, effacer, transformer dans la dynamique de la production culturelle en France.

 

Je suis bien en peine de donner un titre pour tout englober, mais dans les 80 propositions, toutes ont leur fonction. Il y a aussi une chose extrêmement réjouissante, c’est que tous ces jeunes ou moins jeunes gens qui ont autant d’accès, de dialogue et de moyens de s’exprimer, aiment autant que les anciens et la musique, et la fiction, et le dialogue, et la documentation, et la prise de position. Il y a aujourd’hui un mot qu’il est presque impossible à continuer d’employer, c’est le mot patience. Si ça existe, je veux y avoir accès. Tout n’est pas possible de manière instantanée, mais il y a quelque chose de gai aujourd'hui : on peut éviter la patience.

Entrons sans attendre dans le vif du sujet. Vous préconisez la suppression de la Hadopi, tout en conservant la réponse graduée, qui serait confiée au CSA. Pourquoi ce choix ?

Dès le début, on a rencontré plusieurs fois les différents services et la direction de la Hadopi. Selon notre analyse, la réponse graduée est quelque chose qui a bien fonctionné. Hadopi, dans son côté répressif, c’est quoi ? Des millions de courriers. Après le premier avertissement et des échanges téléphoniques nourris, 90 % des abonnés n’ont pas récidivé dans le périmètre du peer-to-peer. Il y a eu un deuxième avertissement puis à l’initiative de Mireille Imbert-Quaretta, un troisième. Au final, en 18 mois, on a eu 30 cas transmis au juge. On est dans un liberticide abominable ! Avec seulement trois jugements, il faut relativiser le côté épouvantail de la Hadopi brandi par beaucoup ! Le mécanisme a eu une fonction pédagogique, peu de personnes ont récidivé dans le canal du P2P.

 

Nous proposons d’abord que soit supprimée la suspension. Pire que liberticide, j’ai trouvé dès le premier jour contre nature et provocateur de vouloir priver quelqu’un de son accès à Internet.

 

Dans les trois à cinq ans qui viennent, la réponse graduée gardera sa vertu pédagogique, d’attention sourcilleuse voire de sanction. Pourquoi ce délai ? Car les usages sont tels qu’à ce terme, des choses auront changé d’ici là. Nous dépénalisons et faisons le choix d’une sanction administrative qui viendrait après trois avertissements. La première amende que nous suggérons sera de l’ordre d’un an d’abonnement à Deezer. La récidive pourra être plus sèche.

 

hadopi logo

 

Hadopi est mal née, dans un débat trop radicalisé où on n’a retenu que le négatif. Avant son lancement, on lui a confié vite fait d’autres missions, des études, de la labellisation, le développement de l’offre légale, mais sans lui donner les moyens. Il y a eu aussi des choses « plan-plan » et naïves comme le label PUR, comme si d’un seul coup, quand on a une grosse envie de série ou de films, l’internaute va aller là où c’est « PUR ».

 

Il n’est pas réaliste de garder une autorité administrative indépendante uniquement pour la réponse graduée, même si celle-ci fonctionne très bien.

 

Il y a quelques semaines, on a réfléchi à mettre cela sous le chapeau de la CNIL. Au niveau européen, les Commissions sont cependant déjà dans l’élargissement de leur mission. Ce ne serait donc pas une bonne perception. On a pensé aussi au Défenseur des droits, si cette labellisation est intéressante cependant, c’est une entité qui est en train d’installer sa propre existence, composée entre la HALDE, le médiateur… Leur confier de nouvelles missions revenait à faire naître une sorte de conglomérat. Trop compliqué !

 

Restait donc le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Celui-ci a parfois une image un peu vieillotte, mais jusqu’à preuve du contraire, Internet est un média et la TV va être consommée par Internet. Au CSA comme au gouvernement, il y a la volonté de s’approcher de la FCC américaine ou de l’OFCOM britannique, une approche qui vise à discuter avec l’ensemble des acteurs. Aujourd’hui, la réponse graduée garde son intérêt. Nous la mettons à l’endroit qui semble le plus adapté. On jugera au fur et à mesure avec un bilan dans trois ou cinq ans.

En supprimant la suspension, une peine impossible, vous permettez à une autorité administrative d’infliger des sanctions sans juge. Qu’allez-vous répondre à ceux qui vous accuseront d’accentuer le caractère répressif et automatique du dispositif ?

Pourquoi pensez-vous qu’il y aurait plus de cas demain qu’il y en a eu hier ?

Car vous ouvrez la voie de l’automatisme.

L’automatisme, après trois avertissements ! D’abord, il n’y a pas de raison qu’il y ait plus que les quelques dizaines de cas qui arrivent aujourd’hui en troisième stade à la Hadopi. Deuxièmement, aujourd’hui, la Hadopi fait les envois, et le juge décide de la sanction éventuelle. Dans le cadre d’un système de sanction administrative, il y a tout un ensemble de règles très précises posées par la Cour européenne des droits de l’Homme.

 

La partie du CSA qui ferait les avertissements serait ainsi séparée de celle qui décidant des sanctions. Il y aurait toujours deux autorités et je ne vois pas pourquoi le CSA aurait une approche plus répressive que le juge pénal dont le « boulot » est justement de faire de la répression. De plus, qu'est-ce qui est plus stigmatisant pour l’internaute ? Prendre une amende de 60 euros par le CSA ou être convoqué au commissariat et se voir infliger une amende inscrite au casier judiciaire ?

Le dispositif sera aussi plus discret, alors que le recours au juge est une procédure lourde…

Les dossiers le seront également au CSA et les sanctions seront publiques et anonymes. En outre, si les dossiers sont épais c’est aussi parce qu’en amont il y a beaucoup de dialogue et d’échanges !

Pas toujours puisque Mireille Imbert-Quaretta nous a dit que n’étaient transmis au Parquet que les dossiers d’abonnés qui avaient ignoré les avertissements.

Ce sont ceux pour lesquels il y a mauvaise foi. C’est bien cet esprit-là qu’on propose de conserver : la sanction pour les internautes de mauvaise foi. Pour les autres, les avertissements et le dialogue. En terme de garantie des droits, outre la séparation de l’autorité qui fait l’avertissement et celle qui fait la sanction, la procédure est contradictoire, il y a un droit à être entendu, une publicité anonymisée des sanctions et un droit au recours. Les sanctions du CSA ne sont pas définitives et pourront être poursuivies devant le juge administratif.

 

Aujourd’hui, vous êtes le premier - sûrement pas le dernier - à nous dire que cela va être plus répressif. L’enjeu a été de rester dans les limites du raisonnable comparé à la gravité première. L’objectivité a été notre obsession. Le type de mauvaise foi, je me fous qu’il se sente réprimé. En revanche, pour tous les autres, de multiples cas peuvent expliquer qu’on soit arrivé là y compris à leur « ordi défendant ».

Ce qui est critiqué, ce n’est pas tant l’aspect follement répressif de la Hadopi, mais le principe même de la pénalisation de la négligence caractérisée, de la sécurisation…

Cette histoire de négligence caractérisée nous a beaucoup gênés. La sécurisation absolue, vous avez raison, ça n’existe pas. Imposer une telle obligation de résultat à quelqu’un ce n’est pas possible. Dans la loi actuelle, ce n’est pas très clair. On veut lui faire dire que cette obligation est bien une obligation de moyen. L’abonné qui a pris tous les moyens et a porté plainte contre X en cas de piratage de sa ligne, sera exonéré.

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