La justice a-t-elle ligoté les liens Adwords ? Interview de Cédric Manara

La récente décision du TGI de Paris condamnant Google pour un lien Adwords vers un article attentatoire à la vie privée remet-elle en cause le droit de l'hébergement ? Quelles conséquences pour Google ? Cédric Manara Professeur de droit à l'EDHEC Business School (LegalEDHEC Research Center), a bien voulu répondre à nos questions. 

adwords google LCEN responsabilité

PC INpact : Google a été condamné pour violation de la vie privée via ses liens Adwords. Dans quel contexte s’inscrit ce jugement ? Que vous inspire-t-il ?

Cédric Manara : L'affaire s'inscrit dans un ensemble d'actions judiciaires engagées par Olivier M. pour la défense de sa vie privée. Ces procédures ont été lancées tous azimuts, contre ceux qui ont diffusé ou relayé certaines informations le concernant, qu'ils soient français ou étrangers, et quel que soit leur rôle dans la chaîne de transmission de ces informations. L'agrégateur d'actualités Fuzz se souvient encore de l'assignation d'Olivier M. - qui a d'ailleurs amené la Cour de cassation à prononcer des arrêts importants sur le régime de responsabilité des hébergeurs. Plus récemment, la Cour de Justice de l'Union Européenne a rendu en matière de compétence judiciaire un arrêt portant le nom d'Olivier M...

Bref, à force de taper sur tout ce qui le touche, Olivier M. ne pouvait que trouver Google sur son chemin... d'où ce jugement ! En l'occurrence, le journal people Gala utilisait le programme AdWords de Google pour attirer les visiteurs sur son site. À la requête "Olivier M." s'affichait le lien publicitaire "News-Olivier M. Les chagrins d’amour les plus célèbres : le cas Olivier M." L'intéressé a attaqué l'annonceur et Google... et eu gain de cause (en tout cas en première instance).

Les magistrats s’appuient sur la CJUE pour qui l’activité d’un prestataire doit être neutre, fruit d’un comportement purement technique, automatique et passif. Comment définir ces mentions ? Doit-on y voir une extension ou une contraction du périmètre de l’hébergement de la LCEN ?

Olivier M. soutenait devant le tribunal que l’utilisation de son nom comme mot-clef était fautive. La sélection des mots-clefs est le fait de l'annonceur (ici, Gala). Google a donc expliqué devant les juges : nous avons simplement stocké les annonces conçues par notre client (Gala), nous ne sommes donc pas responsables de leur contenu sur lequel nous ne sommes pas intervenus. Comme il a été jugé au niveau communautaire que celui qui héberge les contenus d'un tiers n'en est pas responsable si son comportement est purement technique, automatique et passif, la stratégie du conseil d'Olivier M. était entièrement tournée vers la démonstration que Google serait "impliqué" dans la confection des annonces. Il a su en convaincre les magistrats dans cette affaire.

Sur quoi se sont fondés ces derniers ? Ils ont d'abord observé que c'est Google qui choisit l'ordre d'apparition des annonces. Parce que c'est un système d'enchères qui organise le classement des annonces, je dirais plutôt pour ma part que c'est le prix payé par les annonceurs qui conditionne le classement, et non Google (qui ne contrôle pas les budgets des annonceurs). Au-delà de cette question, était-il pertinent de tenir compte de l'existence d'un ordre d'apparition des annonces dans cette affaire ? Je me permets d'en douter, car Gala était apparemment ici le seul annonceur (sinon, Olivier M. aurait aussi poursuivi les autres, par hypothèse). À partir de là, s'appuyer sur l'existence possible d'un classement me paraît excessif pour juger que Google a un "rôle actif".

Les juges n'ont pas retenu que cela : outre qu'ils ont observé que Google peut positionner les annonces de telle ou telle manière, ils soulignent aussi que Google peut se faire communiquer le contenu des annonces, peut demander de les corriger, ou encore peut les retirer. La chose est exacte : ce sont les prévisions des conditions d'utilisation d'AdWords. Mais si ces conditions générales prévoient que Google peut agir, elles ne sont pas suffisantes pour dire que Google a agi en l'espèce, et a participé à la confection ou à la rédaction des annonces de Gala ! Le tribunal conclut à "la connaissance avérée (...) du contenu des messages et mots clés"... mais pourtant ne caractérise pas en quoi Google serait effectivement intervenu. Ce qui rend la décision (très) critiquable à mon sens.

Pour répondre à votre question, je dirai qu'il ne faut pas conclure de cette décision que le champ de la LCEN est affecté, car à y regarder de près les motivations de cette décision sont fragiles.

Comment Google va maintenant pouvoir organiser son activité Adwords dans ce nouvel environnement ?

Il faut observer que la décision est particulière, mais elle s'inscrit aussi dans un contexte également particulier. D'abord, elle porte sur une question de respect de la vie privée, alors que toutes les affaires étaient jusqu'ici relatives à la protection de signes distinctifs (je me demande même si cette décision n'est pas une première en matière d'AdWords, je n'ai pas souvenir d'affaires similaires à l'étranger). Ensuite, elle a été jugée par la 17e chambre du TGI de Paris, alors que les contentieux AdWords sont habituellement tranchés par une autre chambre, spécialisée en propriété intellectuelle... et de fait spécialisée en AdWords à force d'avoir été saisie !

La décision et le contexte étant ainsi singuliers, je ne crois pas que cette décision isolée remette en cause le fonctionnement d'AdWords en France. Par ailleurs, la Cour d'appel de Paris a rendu récemment un arrêt nettement plus favorable à Google en matière d'AdWords. Il est très probable qu'elle aura à connaître de l'affaire Olivier M., et c'est sa décision qui importera plus que celle-ci.

Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que le programme publicitaire de Google est secoué en justice. Cela a commencé en 2003, et depuis, si les rendez-vous judiciaires ont été nombreux, ils ont conduit parfois à un toilettage du fonctionnement de la publicité par mots-clefs, mais pas à la mise en cause même de leur existence.

Craignez-vous des dommages collatéraux ? Ou, à l’inverse, devinez-vous des vertus cachées ?

En attendant, même si le jugement me paraît critiquable, il existe ! Nous avons ici une décision qui envisage de manière très large la responsabilité des hébergeurs, et qui sera bien sûr exploitée par ceux qui assignent en responsabilité les intermédiaires. C'est de bonne guerre dans le droit de l'internet, où l'on exploite toute décision du fond qui va dans le sens de son dossier, même si elle reflète une jurisprudence minoritaire.

La décision propose une lecture de ce qu'est le "rôle actif" d'un hébergeur. Ouvre-t-elle un sillon pour d'autres juridictions qui s'en inspireront ? La balle est désormais dans le camp des intermédiaires techniques - et pas seulement de Google -, qui trouveront peut-être aussi comme moi que cette décision est critiquable !

Merci Cédric Manara.

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