Exclusif. Le TGI de Paris(*) vient de condamner Google pour un lien AdWords publié vers un article de Gala.fr. Pour ce lien en trop, le TGI refusera le statut d'hébergeur, le moteur étant du coup responsable immédiament des atteintes à la vie privée commises par des tiers.
L’acteur Olivier Martinez avait assigné en juin 2008 Prisma Presse (gala.fr) et Google. Il reprochait au premier la mise en ligne d’un article et de photos attentatoires à sa vie privée, et au moteur, le renvoi à cet article via un lien Adwords. En effet, en tapant le nom et le prénom de l’acteur, Google affichait en lien commerciaux « News-Olivier MARTINEZ Les chagrins d’amour les plus célèbres : le cas Olivier Martinez » suivi du nom du site www.gala.fr.
L’acteur, toujours défendu par Me Emmanuel Asmar, réclame à titre principal 60 000 euros de dommages et intérêts. En réponse Google France estime la demande irrecevable, n’administrant pas AdWords. Quant à Google Irlande, l’entreprise s’abrite sous l’article 6-I-2 de la LCEN : elle est une activité de stockage et a retiré le lien litigieux dès que la demande lui en a été faite. Pour Me Asmar, la responsabilité du moteur est au contraire immédiate. Il y a une atteinte à sa vie privée, à son droit à l’image et il y a l’utilisation fautive du nom de l’acteur comme mot clé.
CJUE : le rôle technique, automatique et passif de l'hébergeur
Avant de se pencher sur le fond, le TGI de Paris dans son jugement du 14 novembre 2011, va avant tout examiner le statut de Google face aux liens Adwords, sa machine à cash. Un examen réalisé avec l’optique d’une série de décisions rendues le 23 mars 2010 par la Cour de justice de l'Union Européenne (voir notre article)La CJUE avait justement fait du ménage en ce secteur en conditionnant le statut de l’hébergeur de liens publicitaires à plusieurs vérifications : l’activité du prestataire doit être neutre, c’est-à-dire fruit d’un comportement purement technique, automatique et passif, « impliquant que ledit prestataire n'a pas la connaissance ou de contrôle des informations transmises ou stockées ». Si l’un de ces critères manque, alors l’intermédiaire est responsable immédiatement du contenu qui transite entre ses mains. Autant dire, une problématique fondamentale.
En plus de ces critères, la CJUE donnait des pistes aux juges nationaux : le simple fait que le référencement des liens soit payant était sans effet dans la détermination du statut de l’intermédiaire. De même, « la concordance entre le mot sélectionné et le terme de recherche introduit par un internaute ne suffit pas en soi pour considérer que Google a une connaissance ou un contrôle des données introduites dans son système par les annonceurs et mises en mémoire sur son serveur ». Par contre, quand Google intervient dans la rédaction du message commercial accompagnant le lien ou dans l'établissement ou la sélection des mots clés, la CJUE estime qu’il prend le risque de perdre son statut d’hébergeur.
Des critères non remplis par Google
Dans le jugement rendu ce 14 novembre 2011, le TGI de Paris se saisira de ces critères pour déterminer la responsabilité de Google quand un lien Adwords pointe vers un contenu litigieux.D’entrée, il considère que la modification de l’ordre d’apparition des annonces, principe même des liens Adwords, « caractérise déjà un rôle actif ». Un rôle actif qui ne saurait être assimilé à une activité qui « revêt un caractère purement technique, automatique et passif, qui implique que le prestataire de services de la société de l’information n’a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées. »
Le tribunal examinera ensuite les conditions générales des liens adwords pour forger un peu plus cette conviction : ainsi un article de ces CGV précise que « dans le cadre du programme AdWords, Google peut exiger que le client lui indique ses messages publicitaires au moins 3 jours avant la date de début prévue ». Cette possibilité, selon le TGI, « implique la connaissance par Google, avant le début de la diffusion du message publicitaire, de son contenu. »
Un autre article permet d’ailleurs à Google « lors de la mise en ligne d’une campagne, adresser un courrier électronique au client l’informant qu’il dispose de 72 heures pour apporter d’éventuelles corrections ou modifications à ses mots clés ». De cette clause, « il se déduit que GOOGLE a connaissance du message publicitaire et a la possibilité de le contrôler. »
Contrôle, connaissance, pouvoir
En plus de la « connaissance », Google a le « contrôle » sur ces données. Selon les CGV, « le positionnement des publicités [est] à la discrétion de Google ». Pour les juges encore, « le terme de 'discrétion' utilisé signifie que Google exerce, sur ce positionnement, un entier pouvoir ». D’autant qu’un autre article des CGV permet au moteur de « rejeter ou de retirer toutes publicités, messages publicitaires et/ou cible quelle qu’en soit la raison ». Une « stipulation, pour le juge, qui établit l'existence du contrôle des messages que Google se réserve et donc de son rôle actif. »Pouvoir, connaissance, et même rôle actif : toujours dans les CGV, « le client autorise Google à utiliser des programmes informatiques pour rechercher et analyser automatiquement les sites internet de l’annonceur afin d’évaluer la pertinence des publicités ». Pour le TGI, cela « démontre le rôle actif de Google dans cette activité d’annonceur puisqu’elle évalue la pertinence des publicités qu’elle publie. »
Le TGI rappelle que la CJUE avait autorisé qu’un hébergeur donne des renseignements d’ordre général, sans que cela perturbe son statut. Or ici, ces règles éditoriales et conditions générales ont « un caractère contractuel, et donc contraignant, qui démontre le rôle actif de Google dans la rédaction des annonces, puisque l’annonceur est dans l'obligation de [les] respecter »
Google, piégé par ses CGV
Pour la justice française, Google ne bénéficie donc pas du statut d’hébergeur pour les liens Adwords : « compte tenu de la connaissance avérée par le responsable du service Adwords, du contenu des messages et mots clés, comme de la maîtrise éditoriale qui lui est contractuellement réservée, il convient d’exclure à son égard la qualification d’hébergeur et le bénéfice de dérogations de responsabilité qui lui est réservé. »Google Irlande et France responsables et fautifs
Le jugement est d’autant plus important qu’il met en cause aussi bien Google Irlande que Google France. Généralement, l’entité française du moteur est écartée de ces procès puisque les liens publicitaires sont gérés par son siège européen ou américain. Or, le TGI s’armera d’une lettre de Google Ireland Ltd elle-même où « celle-ci a demandé à Google France de répondre à la réclamation (…), ce qui implique que Google France s’occupe effectivement de ce programme »Autre chose, l’extrait Kbis de Google France révèle que, parmi ses activités figurent : « la fourniture de services et/ou conseils relatifs aux logiciels, au réseau internet, aux réseaux télématiques ou en ligne, notamment l’intermédiation en matière de vente de publicité en ligne, la promotion sous toutes ses formes de la publicité en ligne, la promotion directe de produits et services et la mise en œuvre de centres de traitement de l’information. »
Quand l'usage d'un nom devient faute
Après avoir jugé les photos et l’article attentatoires à la vie privée de l’acteur, le TGI précisera en outre que l’utilisation d’un nom comme mot clé pertinent renvoyant à un article illicite est tout aussi fautive. Et « cette faute est imputable aux sociétés Prisma Presse, Google France et Google Ireland lesquelles (…) ont eu un rôle actif dans la réalisation de cette faute et ont eu connaissance de ce mot clé et du contenu du message publicitaire, dont la teneur était attentatoire à la vie privée, qui figurait sur la première page de résultats du moteur de recherche et permettait d’accéder directement à l’article illicite ».Au final, le moteur et le journal seront condamnés solidairement à 1500 euros de dommages et intérêts et 3000 euros pour couvrir les frais de justice. Des montants tenant compte d’un préjudice « réduit » l’annonce et l’article ayant été nettoyés quelques jours après la réclamation de l’avocat de l’acteur.Constate le caractère fautif de la publication sur le site internet
google.fr de l’annonce « Olivier MARTINEZ Les chagrins d’amour les
plus célèbres : le cas Olivier Martinez » accessible à partir du mot clé
constitué des nom et prénom du demandeur ;
Constate le caractère fautif de la publication sur le site internet gala.fr
de l’article intitulé « Olivier MARTINEZ : Je t’aime moi non plus » et
des deux clichés photographiques illustrant cet article ;
(*) N° RG 08/09732, 17e chambre du TGI Paris, 14 novembre 2011