Le projet de loi sur la Rémunération pour Copie Privée (RCP) sera examiné le 16 novembre en Commission des affaires culturelles. La réunion, ouverte à la presse, permettra de mettre en forme la version du projet avant son vote à l’Assemblée nationale. Le coeur du dispositif est connu : d'un, exclure de manière conditionnée les professionnels de la RCP. De deux, tuer dans l'oeuf des actions en remboursement qui menacent les finances des ayants droit. Dans le cadre de ce projet, nous avons pris connaissance des premiers amendements déposés par le député Lionel Tardy. En voici un résumé.
L’amendement qui vient mettre le point final sur des hésitations jurisprudentielles (est-ce que les copies subséquentes d’un téléchargement illicite sont de la copie privée ?) mais qui est en pleine cohérence avec la position du Conseil d’État (seules les copies licites peuvent justifier le versement d’une rémunération pour copie privée). Le député apporte cette même précision pour les droits voisins (art.L.211-3 du code de la propriété intellectuelle).
Le député Tardy veut mentionner dans le dur cette réalité économique. « La rémunération (…) est versée par la personne qui a fait l’acquisition à des fins privées de supports d’enregistrement ». Dans l’amendement, il est précisé que « cette rémunération est collectée, auprès de l’acquéreur final des supports d’enregistrement concernés, par le professionnel auprès duquel cette acquisition est faite. Les modalités de cette collecte seront précisées par décret en Conseil d’État. »
Cette précision peut sembler frappée d’évidence, mais elle revient en creux à exclure mécaniquement les professionnels de ce régime. Cet amendement « impose une réorganisation du système actuel de collecte de la rémunération pour copie privée de telle manière que seules les personnes physiques faisant l’acquisition, à des fins d’usage privé, de supports assujettis à la rémunération pour copie privée acquittent cette rémunération ».
Cette affirmation a ainsi un impact fondamental. « Le système actuel reposant sur une collecte par le fabricant, importateur ou personne réalisant des acquisitions intracommunautaires lors de la mise en vente de ces supports ne permet pas, dans la très grande majorité des cas, de délimiter la destination professionnelle ou privée du support en cause ». Avec le régime aujourd’hui en vigueur, des fabricants et des importateurs sont tenus de verser des sommes qui lestent des supports finalement achetés par des professionnels. Pour les ayants droit, c’est un bonus temporaire, voire définitif, si ce professionnel omet de réclamer le remboursement. Pour le juriste, c’est la fin d’une bizarrerie puisque les supports achetés par les professionnels n’ont pas à être assujettis même temporairement à ces prélèvements.
Des méthodes solides
Pour fixer les niveaux de rémunération pour copie privée, la Commission du même nom se fonde aujourd’hui sur des sondages. Problème, dans le passé pressé par le temps, cette commission a pu par raccourci faire l’économie de ces études au profit d’une taxation par équivalence. Ce fut le cas par exemple de l’iPhone, assimilé à un baladeur et donc soumis au même barème que ce dernier.
Tardy a pris bonne note des remarques faites par le Conseil d’État dans son arrêt du 17 juin 2011. Les juges administratifs avaient rappelé que la Commission copie privée évalue les pratiques de copie privée par enquêtes et sondages. Cependant, « si cette méthode repose nécessairement sur des approximations et des généralisations, celles-ci doivent toujours être fondées sur une étude objective des techniques et des comportements et ne peuvent reposer sur des hypothèses ou des équivalences supposées. »
Pour éviter les errements dans ces démarches, le député de Haute-Savoie veut que dorénavant les études respectent « une méthodologie stable définie par un organisme qualifié et indépendant et donnant lieu à consultation publique selon des modalités fixées par décret ».
Dans son exposé des motifs, le député ne prend pas de pincette : « à l’heure actuelle, la rémunération pour copie privée (RCP) s’appuie sur des méthodologies opaques et contestées. Les contestations ont entraîné plusieurs annulations des décisions de la commission copie privée par la justice. Il est donc essentiel de renforcer le sérieux et la transparence de ces enquêtes. Une consultation publique renforcerait également leur légitimité, et donc l'acceptation des résultats et des décisions qui en découleraient. »
Le projet de loi veut préciser que « ce montant est également fonction de l’usage de chaque type de supports. Cet usage est apprécié sur le fondement d’enquêtes ». La Rue de Valois veut préciser qu’outre la durée et le type de support, il faut tenir compte de l’usage pour déterminer le niveau de ponction pour copie privée.
Cependant, immédiatement après cette affirmation, le ministère de la Culture prévoit que « lorsque des éléments objectifs permettent d’établir qu’un support peut être utilisé pour la reproduction à usage privé d’œuvres et doit, par suite, donner lieu au versement de la rémunération, le montant de cette rémunération peut être déterminé par application des seuls critères mentionnés au deuxième alinéa, pour une durée qui ne peut excéder un an à compter de cet assujettissement. »
Le député Tardy veut colmater cette brèche en exigeant le remplacement du mot « peut être » par « est principalement ». Dans son exposé des motifs, il prévient que « pour assujettir un support à la redevance copie privée, il faut prouver, non pas qu’un support peut être utilisé, mais qu'il est effectivement utilisé à des fins de copie privée ».
Ces 25% quasi publics sont souvent mis en avant par les ayants droit dès lors qu’on menace un tant soit peu le niveau des prélèvements de la RCP. En substance : comment osez-vous toucher à la RCP alors qu’un quart de son montant vient financer le spectacle vivant, souvent en lieu et place du ministère de la Culture …
Tardy veut mettre une petite fenêtre dans ces rouages. Actuellement « le montant et l'utilisation de ces sommes font l'objet, chaque année, d'un rapport des sociétés de perception et de répartition des droits au ministre chargé de la Culture ».
Le député estime que le contrôle de la Rue de Valois n’est pas suffisant. Il veut que ce rapport soit également transmis aux députés et aux sénateurs via les commissions aux affaires culturelles. « Il serait utile à l'information de la commission des affaires culturelles d'être destinataires du rapport que doivent rendre les SPRD sur l'utilisation faite des sommes consacrées à l'aide à la création ». Plus de transparence, donc plus de contrôle dans l’affectation de ces sommes (près de 50 millions d’euros en 2010).
Pas de prélèvements de RCP sur les professionnels
Lionel Tardy veut supprimer les bouts du projet de loi qui prévoit que les professionnels devront payer la rémunération pour copie privée pour ensuite réclamer le remboursement (lequel est au surplus conditionné au versement de plusieurs pièces et preuves).
Une horreur juridique et administrative qui n’a pas de sens : « si une redevance n'est pas due, il est anormal qu'elle soit perçue puis remboursée. Il n'y a pas lieu de constater par convention une exonération qui est accordée de plein droit par la loi », répond le parlementaire. « C'est à ceux qui prétendent que la redevance est due de la réclamer, la charge de la preuve leur revenant.»
Pas de validation rétroactive de ce qui a été annulé par le juge
Un des alinéas du projet de loi Copie privée vient « sécuriser » les prélèvements indus effectués par les ayants droit avant la décision du Conseil d’Etat de juin 2011. La technique des lois de validations permet de colmater après coup une brèche ouverte par la justice. Puisque des millions d’euros sont en jeu (tous les prélèvements effectués sur les professionnels avant cette date, principalement), le ministère de la Culture compte ainsi profiter de ce projet de loi pour tuer dans l’œuf ces contestations non encore jugées.
Tardy n’en veut pas : le projet contient « une validation rétroactive de la perception de sommes, malgré une annulation par le juge de la base de perception. On refuse donc à des requérants le bénéfice d'une décision de justice qui leur est favorable, cet alinéa revenant à leur interdire d'utiliser la décision du Conseil d'État pour d'autres affaires similaires. Cela revient, tout simplement, à priver d'effets une décision de justice, et est donc un empiètement caractérisé du pouvoir législatif sur une décision judiciaire. Cela est contraire à la séparation des pouvoirs, et n'est accepté qu'en cas d'impératif majeur d'intérêt général, qui semble complètement absent ici ».
Ces amendements ne sont qu’une première vague. D’autres sont attendus d’ici l’ouverture des débats à l’Assemblée nationale, et notamment avant la réunion de mercredi en Commission des affaires culturelles. Nous y reviendrons.
Clarifier la notion de copie privée
L’article 122-5 du code de la propriété intellectuelle dit que l’auteur ne peut interdire les copies strictement réservées à l'usage privé du copiste. Le député Tardy veut faire préciser que seules les copiées « réalisées à partir d'une source licite » sont concernées ici.L’amendement qui vient mettre le point final sur des hésitations jurisprudentielles (est-ce que les copies subséquentes d’un téléchargement illicite sont de la copie privée ?) mais qui est en pleine cohérence avec la position du Conseil d’État (seules les copies licites peuvent justifier le versement d’une rémunération pour copie privée). Le député apporte cette même précision pour les droits voisins (art.L.211-3 du code de la propriété intellectuelle).
Revoir la collecte
Un autre amendement veut revoir toute l’économie de la collecte de la rémunération pour copie privée. À ce jour, c’est le fabricant ou l’importateur qui reversent la rémunération. Économiquement, ils se retournent ensuite vers les niveaux inférieurs de la redistribution (grossiste, détaillant, etc.) pour faire peser la charge économique (189 millions d’euros en 2010). En bout de course, c’est finalement l’acheteur final qui supporte cette ponction.Le député Tardy veut mentionner dans le dur cette réalité économique. « La rémunération (…) est versée par la personne qui a fait l’acquisition à des fins privées de supports d’enregistrement ». Dans l’amendement, il est précisé que « cette rémunération est collectée, auprès de l’acquéreur final des supports d’enregistrement concernés, par le professionnel auprès duquel cette acquisition est faite. Les modalités de cette collecte seront précisées par décret en Conseil d’État. »
Cette précision peut sembler frappée d’évidence, mais elle revient en creux à exclure mécaniquement les professionnels de ce régime. Cet amendement « impose une réorganisation du système actuel de collecte de la rémunération pour copie privée de telle manière que seules les personnes physiques faisant l’acquisition, à des fins d’usage privé, de supports assujettis à la rémunération pour copie privée acquittent cette rémunération ».
Cette affirmation a ainsi un impact fondamental. « Le système actuel reposant sur une collecte par le fabricant, importateur ou personne réalisant des acquisitions intracommunautaires lors de la mise en vente de ces supports ne permet pas, dans la très grande majorité des cas, de délimiter la destination professionnelle ou privée du support en cause ». Avec le régime aujourd’hui en vigueur, des fabricants et des importateurs sont tenus de verser des sommes qui lestent des supports finalement achetés par des professionnels. Pour les ayants droit, c’est un bonus temporaire, voire définitif, si ce professionnel omet de réclamer le remboursement. Pour le juriste, c’est la fin d’une bizarrerie puisque les supports achetés par les professionnels n’ont pas à être assujettis même temporairement à ces prélèvements.
Des méthodes solides
Pour fixer les niveaux de rémunération pour copie privée, la Commission du même nom se fonde aujourd’hui sur des sondages. Problème, dans le passé pressé par le temps, cette commission a pu par raccourci faire l’économie de ces études au profit d’une taxation par équivalence. Ce fut le cas par exemple de l’iPhone, assimilé à un baladeur et donc soumis au même barème que ce dernier. Tardy a pris bonne note des remarques faites par le Conseil d’État dans son arrêt du 17 juin 2011. Les juges administratifs avaient rappelé que la Commission copie privée évalue les pratiques de copie privée par enquêtes et sondages. Cependant, « si cette méthode repose nécessairement sur des approximations et des généralisations, celles-ci doivent toujours être fondées sur une étude objective des techniques et des comportements et ne peuvent reposer sur des hypothèses ou des équivalences supposées. »
Pour éviter les errements dans ces démarches, le député de Haute-Savoie veut que dorénavant les études respectent « une méthodologie stable définie par un organisme qualifié et indépendant et donnant lieu à consultation publique selon des modalités fixées par décret ».
Dans son exposé des motifs, le député ne prend pas de pincette : « à l’heure actuelle, la rémunération pour copie privée (RCP) s’appuie sur des méthodologies opaques et contestées. Les contestations ont entraîné plusieurs annulations des décisions de la commission copie privée par la justice. Il est donc essentiel de renforcer le sérieux et la transparence de ces enquêtes. Une consultation publique renforcerait également leur légitimité, et donc l'acceptation des résultats et des décisions qui en découleraient. »
Un peut-être certainement en trop
Un autre amendement veut poursuivre le grand ménage au sein des études qui fondent les ayants droit à réclamer de la rémunération pour copie privée. Aujourd’hui, le code dit que « le montant de la rémunération est fonction du type de support et de la durée d'enregistrement qu'il permet ».Le projet de loi veut préciser que « ce montant est également fonction de l’usage de chaque type de supports. Cet usage est apprécié sur le fondement d’enquêtes ». La Rue de Valois veut préciser qu’outre la durée et le type de support, il faut tenir compte de l’usage pour déterminer le niveau de ponction pour copie privée.
Cependant, immédiatement après cette affirmation, le ministère de la Culture prévoit que « lorsque des éléments objectifs permettent d’établir qu’un support peut être utilisé pour la reproduction à usage privé d’œuvres et doit, par suite, donner lieu au versement de la rémunération, le montant de cette rémunération peut être déterminé par application des seuls critères mentionnés au deuxième alinéa, pour une durée qui ne peut excéder un an à compter de cet assujettissement. »
Le député Tardy veut colmater cette brèche en exigeant le remplacement du mot « peut être » par « est principalement ». Dans son exposé des motifs, il prévient que « pour assujettir un support à la redevance copie privée, il faut prouver, non pas qu’un support peut être utilisé, mais qu'il est effectivement utilisé à des fins de copie privée ».
Où vont les sommes ?
L’article L131-9 du CPI indique que les ayants droit consacrent 25% de la rémunération pour copie privée au financement du spectacle vivant (mais également de la défense des intérêts catégoriels, comme le paiement des frais de justice ou des agents assermentés).Ces 25% quasi publics sont souvent mis en avant par les ayants droit dès lors qu’on menace un tant soit peu le niveau des prélèvements de la RCP. En substance : comment osez-vous toucher à la RCP alors qu’un quart de son montant vient financer le spectacle vivant, souvent en lieu et place du ministère de la Culture …
Tardy veut mettre une petite fenêtre dans ces rouages. Actuellement « le montant et l'utilisation de ces sommes font l'objet, chaque année, d'un rapport des sociétés de perception et de répartition des droits au ministre chargé de la Culture ».
Le député estime que le contrôle de la Rue de Valois n’est pas suffisant. Il veut que ce rapport soit également transmis aux députés et aux sénateurs via les commissions aux affaires culturelles. « Il serait utile à l'information de la commission des affaires culturelles d'être destinataires du rapport que doivent rendre les SPRD sur l'utilisation faite des sommes consacrées à l'aide à la création ». Plus de transparence, donc plus de contrôle dans l’affectation de ces sommes (près de 50 millions d’euros en 2010).
Pas de prélèvements de RCP sur les professionnels
Lionel Tardy veut supprimer les bouts du projet de loi qui prévoit que les professionnels devront payer la rémunération pour copie privée pour ensuite réclamer le remboursement (lequel est au surplus conditionné au versement de plusieurs pièces et preuves). Une horreur juridique et administrative qui n’a pas de sens : « si une redevance n'est pas due, il est anormal qu'elle soit perçue puis remboursée. Il n'y a pas lieu de constater par convention une exonération qui est accordée de plein droit par la loi », répond le parlementaire. « C'est à ceux qui prétendent que la redevance est due de la réclamer, la charge de la preuve leur revenant.»
Pas de validation rétroactive de ce qui a été annulé par le juge
Un des alinéas du projet de loi Copie privée vient « sécuriser » les prélèvements indus effectués par les ayants droit avant la décision du Conseil d’Etat de juin 2011. La technique des lois de validations permet de colmater après coup une brèche ouverte par la justice. Puisque des millions d’euros sont en jeu (tous les prélèvements effectués sur les professionnels avant cette date, principalement), le ministère de la Culture compte ainsi profiter de ce projet de loi pour tuer dans l’œuf ces contestations non encore jugées.Tardy n’en veut pas : le projet contient « une validation rétroactive de la perception de sommes, malgré une annulation par le juge de la base de perception. On refuse donc à des requérants le bénéfice d'une décision de justice qui leur est favorable, cet alinéa revenant à leur interdire d'utiliser la décision du Conseil d'État pour d'autres affaires similaires. Cela revient, tout simplement, à priver d'effets une décision de justice, et est donc un empiètement caractérisé du pouvoir législatif sur une décision judiciaire. Cela est contraire à la séparation des pouvoirs, et n'est accepté qu'en cas d'impératif majeur d'intérêt général, qui semble complètement absent ici ».
Ces amendements ne sont qu’une première vague. D’autres sont attendus d’ici l’ouverture des débats à l’Assemblée nationale, et notamment avant la réunion de mercredi en Commission des affaires culturelles. Nous y reviendrons.