La "taxe" copie privée peut-elle indemniser l'absence de l'État ?

Une nouvelle décision de la CJUE en attente menace de bouleverser à nouveau le système de la rémunération pour copie privée en France. En jeu, les 25% de la rémunération pour copie privée affectés au financement de la politique culturelle. 

disque dur copie privée

Fin 2010, la décision de la CJUE Padawan avait agi en aval. Elle avait considéré que le redevable de la rémunération pour copie privée, c’est le particulier car il n’y a aucune raison qu’un professionnel paye puisqu'il n'est pas présumé faire de la copie privée sur des biens professionnels.

Mi-2011, la CJUE s’attaque à un autre versant dans une affaire touchant l'Autriche : dans ses conclusions présentées le 6 septembre, l’avocat général indique en substance que la compensation équitable vient indemniser un préjudice.  À cette fin, elle doit être perçue par la victime et non une autre personne tierce, un représentant ou un organisme. Il doit donc exister une forme de lien de causalité étroit entre le préjudice (la copie privée) et la victime (ici l’auteur), lien que vient colmater la compensation équitable.
« il convient de retenir qu’une (…) est incompatible avec (…) la directive 2001/29 en ce qu’elle partage entre l’auteur et le producteur du film la compensation qui serait équitable compte tenu de la limitation du droit de l’auteur du film. Toutefois, est compatible avec ces dispositions, une disposition de droit national prévoyant une compensation équitable à la fois l’auteur et pour le producteur du film qui dédommage l’auteur pour la reproduction de son œuvre cinématographique et le producteur pour la reproduction de l’original ou des copies de son film ».
Ces quelques lignes, si elles sont confirmées dans la future décision de la CJUE, concernent le droit autrichien ; mais par l’universalité de l’interprétation de la CJUE, elles pourraient avoir des répercussions en France.

Comment ? On vise ici les 25% de la rémunération pour copie privée qui sont obligatoirement destinés à financer des actions générales et qui pourraient du coup devenir non compatibles avec le droit européen.

Explication : quand un ayant droit devrait toucher 100%, il ne perçoit que 75% car 25% de la copie privée servent à financer de la politique culturelle sous l’habillage d’une indemnisation.

Selon le code de la propriété intellectuelle, en effet, les sociétés d’ayant droit ont l’obligation d’utiliser « à des actions d'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à des actions de formation des artistes 25 % des sommes provenant de la rémunération pour copie privée ». (article L321-9). Le principe est même un peu plus large puisque selon l’article R-321-9, « l’aide à la création » qui butine dans la caisse de la copie privée concerne aussi « des actions de défense, de promotion et d'information engagées dans l'intérêt des créateurs et de leurs œuvres ».

Alors que la SACEM était malmenée par la Rue de Valois, Laurent Petitgirard soulignait que l’État a toujours été bien content de profiter de cette manne. Il décrivait ainsi les liaisons entre copie privée et budget culturel :
« Depuis la loi de 85, vous savez que 75% des sommes que nous recevons pour la copie privée sont réparties, et 25% doivent être consacrés à l’intérêt général c'est-à-dire à la création, la formation, le spectacle vivant. Nous nous sommes rendu compte que cet argent est essentiel. Il est essentiel, car, ne nous trompons pas, quand la copie privée représente 250 millions d’euros, cela veut dire qu’il y a des sommes de plus de 60 millions d’euros qui vont dans le spectacle vivant, la formation… et que ces sommes, l’État lui-même est bien content qu’elle soit là, car on ne peut pas dire que ça a été forcément un argent en plus. Plus il y avait du culturel qui venait de la copie privée et moins il y avait d’aides au niveau du ministère ; très souvent on nous demande de venir pallier et de venir aider parce qu’il n’y a pas assez d’argent du côté du ministère ».
Dans des termes moins sulfureux, on peut lire aussi Copieprivee.org pour qui ces 25%, ces dizaines de millions d’euros « participent à la vitalité artistique du pays en finançant des manifestations culturelles ; la rémunération pour copie privée permet de soutenir près de 5000 manifestations culturelles par an ».

En clair, ces 25% pourraient parfaitement être puisés sur le budget du ministère, via la loi de Finances, et non dans la cagnotte de l'indemnisation des ayants droit.

La compensation équitable doit-elle être directe ?


Dans une note publiée au Lamy Droit de l'Immatériel en juillet dernier, Antonino Troianiello, maitre de conférence en droit, avait déjà entrevu cette piste de réflexion.  Selon le juriste, puisque la RCP est une compensation équitable destinée à dédommager les ayants droit pour les copies privées, ces 25% pourraient du coup être incompatibles avec le droit européen, faute de "lien" suffisant.

C'est une piste : "cette affectation à des personnes autres que les ayants droit pourrait être regardée comme incompatible avec la notion de compensation équitable, encore que la CJUE ne se soit pas prononcée sur le caractère direct de celle-ci". Une piste entrevue deux mois avant les conclusions de l’avocat général et que devra confirmer ou infirmer maintenant la CJUE.

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