Domaine public : Gallimard échoue à faire bloquer 727 URL canadiennes

Le Canada a choisi de faire tomber les œuvres dans le domaine public 50 ans après la mort de l'auteur (la loi C-42). La France a opté pour une période de 70 ans (art. 123-1). Forcément, des sites canadiens comme Les Classiques des Sciences Sociales ou wikilivres.info diffusent en toute légalité quantité d’œuvres. Mais les éditeurs français supportent très mal la brèche des 20 ans. Ils craignent que des hordes de pirates français s'abreuvent de ces contenus tombés dans le domaine public au Canada. Une problématique classique.

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Gallimard juge ainsi insupportable cette situation liée à l’universalité d’Internet. Il reproche à Wikilivres.info de fournir notamment la quasi-totalité de l’œuvre de Robert Desnos : « les œuvres sont disponibles en ligne gratuitement depuis tout endroit dans le monde dont la France où elles sont protégées par le droit d’auteur ». L’éditeur estime du coup que « la reproduction et la mise à disposition des œuvres sur tout autre territoire que canadien sont illicites et constitutives de contrefaçon dès lors que [nous n’avons] jamais consenti à leur reproduction. »

727 URL bloquées, une procédure non contradictoire

Gallimard a donc intenté une procédure contre Wikilivres pour bloquer cette diffusion canadienne en France. En mars 2009, l’éditeur adresse au site une mise en demeure de cesser ces agissements. Action demeurée infructueuse. En avril 2009, elle exige de l’hébergeur canadien, iWeb, une mesure de blocage. Refus de ce dernier qui exige une « décision de justice valide et reconnue ».

Le 11 mai 2010, Gallimard monte d’un cran et obtient une ordonnance sur requête, non contradictoire, le blocage de 727 URL dans les mains des FAI français (Orange, Free, SFR, NC, Bouygues, Darty et Auchan Télécom). Gallimard s’arme d’une disposition de la LCEN (6-I-8) selon laquelle « l'autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à [l’hébergeur] ou [au FAI], toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne ».

Bref, une tête nucléaire pour fusiller un moustique, sans contradictoire.

Contrattaque des FAI

Les FAI contrattaquent : ils demandent la rétractation de cette ordonnance où ils n’ont pu faire valoir leurs arguments. Ils critiquent aussi une procédure injustifiée en violation du principe des droits de la défense, une mesure non motivée et même disproportionnée puisque ne visant qu’à protéger un intérêt particulier purement commercial. Une mesure également trop rapide, puisqu’elle n’a pas respecté le principe de subsidiarité prévu par la LCEN. Une mesure enfin injuste puisque l’ordonnance initiale laisse sur leur dos la prise en charge des coûts du blocage. Selon eux, « Gallimard ne justifie pas en quoi la loi française serait applicable au site wikilivres.info ».

La loi française est bien applicable

Le juge dira d’abord que le droit français (et donc le code de la propriété intellectuelle et la LCEN) est bien applicable selon les règles du droit international, ce qui permet d’ouvrir de nouveaux foyers de contestations plus tard (voir la décision sur Legalis.net).

Le blocage sans contradiction, une exception

Toutefois, le TGI de Paris expliquera à Gallimard que « l’article 6-I-8 constitue à l’évidence une exception, d’interprétation restrictive au principe de liberté de communication en ligne qui est une composante de la liberté d’expression ». Et qu’avant d’entamer une procédure d’ordonnance sur requête, il faut respecter cette double condition : une urgence et la nécessité de déroger au principe du contradictoire.

Or pour le juge, ces conditions ne se retrouvent pas dans la procédure intentée par Gallimard. « Aucune nécessité d’un effet de surprise, aucune urgence extrême ou aucune impossibilité d’assigner un défendeur déterminé ne sont invoqués, les opérateurs de communication, étrangers aux faits illicites, ne pouvant être soupçonnés de disparition de preuves ».

La liberté est la règle

Le juge conclura : « si le contenu des sites visés dans la requête pouvait justifier l’intervention d’une mesure de cessation de fourniture d’accès, cependant l’intervention d’une mesure qui tend à restreindre le droit d’expression pour lequel a liberté est la règle, même si elle peut paraître légitime, en raison du dommage causé à Gallimard, ne saurait justifier qu’il soit dérogé au principe fondamental de la contradiction. »

Il ordonnera ainsi le retrait de la requête en blocage, en estimant inutile d’examiner les autres arguments des FAI.

Une brèche pour un épisode II

On retiendra que le juge estime le droit français applicable pour se protéger de contenus diffusés librement au Canada et que ces contenus « pouvait justifier l’intervention d’une mesure de cessation de fourniture d’accès ». Un double appel du pieds pour une nouvelle tentative ?

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