Comment la France a milité pour la taxation des supports pro

Exclu PC INpact : Lorsque l’arrêt Padawan était en préparation devant la CJUE, chacun des États membres pouvait intervenir dans cette affaire née d’un litige entre une petite boutique espagnole et la SACEM ibérique. Même si les ayants droit ont soutenu que l'affaire est purement espagnole, la France est bien intervenue en coulisse pour désamorcer la petite bombe en préparation.

Nous avons pu nous procurer les observations adressées par la France à la CJUE. Dans les formes, le document date de février 2009 et est signé par le ministère des Affaires étrangères. Derrrière, on retrouve évidemment aux manettes le ministère de la Culture puisque le sujet est dans ses cordes.

L’enjeu pour la Rue de Valois était d’éviter que les professionnels soient exemptés du paiement de cette redevance pour copie privée (RCP). La rémunération pour copie privée est un palliatif pour le ministère de la Culture, lequel n’a pas à puiser sur ses fonds pour financer ce que les ayants droit prennent en charge. En janvier 2011, Laurent Petitgirard (SACEM) ne disait pas autre chose : « quand la copie privée représente 250 millions d’euros, cela veut dire qu’il y a des sommes de plus de 60 millions d’euros qui vont dans le spectacle vivant, la formation… et que ces sommes, l’État lui-même est bien content qu’elle soit là, car on ne peut pas dire que ça a été forcément un argent en plus. (...) Très souvent on nous demande de venir pallier et de venir aider parce qu’il n’y a pas assez d’argent du côté du ministère ».

pascal rogard

Que dit le ministère dans ses observations à la CJUE ?

Une grand marge d'appréciation des États membres

Sa ligne de défense est d'assurer que les États membres ont une large marge d’appréciation pour définir le champ d’application de la rémunération pour copie privée (point 25). Il appartient alors aux États membres de définir les critères les plus pertinents pour le prélèvement (point 30) avec un objectif : viser une rémunération suffisamment élevée aux ayants droit (point 41).

La copie privée : une rémunération, plus qu'une indémnisation

Comment ? Par équité. Cette équité « consiste à prendre en compte dans la rémunération des titulaires de droits, la rémunération potentielle que ces derniers auraient tirée de l’utilisation de leurs œuvres en l’absence d’exception au droit d’auteur pour copie privée » (point 49).

Rémunération ? Oui, car selon le Ministère de la Culture, « la raison d’être de la compensation équitable n’est pas exclusivement de remédier au préjudice résultant de l’exception de copie privée, mais d’assurer aux auteurs, interprètes ou exécutants une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres ». (point 51) L’idée est donc de permettre de viser une « rémunération appropriée » des ayants droit pour « l’utilisation de leurs œuvres. »

Par quels moyens ? Cette question relève encore des États membres, toujours selon le ministère. « Il appartient aux États membres de déterminer les appareils ou supports qui seront assujettis, en fonction de l’usage qui en est fait pour la copie privée » (point 59). Puisqu’on ne peut contrôler l’usage au niveau de chaque utilisateur, chaque pays européen peut fixer le montant de la rémunération pour copie privée « en prenant appui sur des études statistiques relatives à l’usage » des supports (point 60).


Il suffit que le support puisse être utilisé pour la copie privée

Problème, des supports sont achetés pour des professionnels pour stocker autre chose que l'intégrale d'Emma Le Prince. Aucune importance : « la circonstance que certains équipements ou supports soient vendus pour d’autres usages que la réalisation de copies privées n’apparaît pas déterminante, dès lors que ces équipements ou supports peuvent également être utilisés pour la copie privée » (point 62). En clair, pour la France, on peut donc évaluer les usages de copies privées à partir d’évaluations forfaitaires.

Donc les entreprises doivent ĂŞtre soumises Ă  la redevance

Mais quid de la taxation des entreprises ? Pour la France, « au moment de l’acquisition [du support], l’usage qui sera fait ne peut ĂŞtre prĂ©cisĂ©ment identifiĂ© » (point 67). Un exemple ?  « Un avocat ou un architecte peut acquĂ©rir des DVD-R sur lesquels des Ĺ“uvres peuvent ĂŞtre reproduites sans que, au stade de l’achat, la nature de l’usage qui en sera fait ne puisse ĂŞtre Ă©tablie » (point 68). MĂŞme pas dans les Ă©valuations forfaitaires...

Sécu, avocat, architecte, Mme Michu... même traitement

Le ministère de la Culture a donc défendu l’idée qu’on peut parfaitement tirer une redevance Copie privée sur les supports achetés par un architecte, un avocat, un hôpital, la Sécurité Sociale par exemple, puisque ces supports « peuvent être utilisés pour la copie privée » (point 70). Selon les observations du gouvernement français, rien ne s’oppose donc « à appliquer sans distinction la redevance pour copie privée à tous les équipements, matériels ou supports de reproduction mécaniquement, dès lors que ceux-ci permettent la réalisation de copies privées ».

En conclusion, le gouvernement a milité pour la taxation la plus vaste possible en s’appuyant sur la simple potentialité de réaliser des copies privées. Pourquoi ? Car il s’agit d’apporter un haut niveau de rémunération aux ayants droit (SACEM, SPPF, SCPP, SACD, etc.).

On connait la suite.

Fin 2010
, l’arrêt Padawan balaye cette argumentation et exige l’exonération des professionnels, contrairement à ce que soutenait le ministère de la Culture.

Le 17 juin, le Conseil d’État a suivi cette analyse, tout en ajoutant que « pour fixer la rĂ©munĂ©ration, la commission doit apprĂ©cier, sur la base des capacitĂ©s techniques des matĂ©riels et de leurs Ă©volutions, le type d’usage qui en est fait par les diffĂ©rents utilisateurs, en recourant Ă  des enquĂŞtes et sondages qu’il lui appartient d’actualiser rĂ©gulièrement ». Avec ce passage très insistant : « Si cette mĂ©thode repose nĂ©cessairement sur des approximations et des gĂ©nĂ©ralisations, celles-ci doivent toujours ĂŞtre fondĂ©es sur une Ă©tude objective des techniques et des comportements et ne peuvent reposer sur des hypothèses ou des Ă©quivalences supposĂ©es » Un peu comme quand la Commission copie privĂ©e assimilait l'iPhone Ă  un simple baladeur numĂ©rique avec un objectif simple :  le taxer au plus vite avec un barème Ă©tabli Ă  une Ă©poque oĂą le tĂ©lĂ©phone d'Apple n'Ă©tait que science fiction. 

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