Le CNN fustige le projet de décret industrialisant le blocage

Le Conseil National du Numérique a rendu son avis sur le projet de décret pris en application de l’article 18 de la Loi sur la Confiance dans l’Economie Numérique. Nous venons d'en prendre connaissance : le CNN adresse une pluie de critiques sur ce texte qui tente d'industrialiser le blocage par quantité d'autorités administratives en France.
Pour rappel, le gouvernement envisage de doter plusieurs ministères, dont l’Intérieur ou la Justice, du pouvoir d’exiger des mesures de blocage à l’encontre des FAI dans toute une série d’hypothèses, comme l’atteinte à l’ordre public, à la santé publique, à la protection des mineurs ou à la protection des consommateurs.

Un principe de subsidiarité très subsidiaire

En application du principe de subsidiarité, le texte impose de saisir d’abord l’auteur du contenu, puis à défaut, l’hébergeur et en fin de course le FAI. Toutefois, lorsque l’urgence est là, le projet de décret autorise l’autorité administrative à directement solliciter les FAI. Jamais, dans chacune de ces étapes, n’est prévue l’intervention préalable du juge.

Le Conseil National du Numérique, fraichement installé, a donc rendu son avis sur ce texte à temps, malgré la maigre petite semaine que lui avait laissé le ministère de l’Économie numérique. Un avis de 14 pages gorgées de critiques, comme on pouvait s’y attendre. A se demander comment un tel projet de décret a pu sortir en l'état des bureaux des ministères...

CNN avis LCEN article 18 blocage filtrage

D’un, le texte du projet de décret n’a pas été notifié à Bruxelles. Or, cette notification est impérative dès lors que le texte touche à la société de l’information.

De deux, le projet de décret exige qu’on s’adresse à l’ « éditeur de site » à l’origine du trouble à l’ordre public. Problème : le terme est trop flou et permet en l’état à l’autorité administrative d’exiger des mesures pro actives chez l’auteur du contenu comme chez tous les acteurs ayant référencé ce contenu (moteurs de recherches, comparateurs de prix).

De trois, nulle part n’est apportée la définition de « l’éditeur de site ». La notion « d’auteur du contenu » aurait, selon le CNN, été préférable.

De quatre, le texte autorise l’administration à agir directement dans les mains du FAI dès lors que l’urgence l’exige. Problème, souligne justement le CNN, « au regard des atteintes invoquées (trouble à l’ordre public, à la sécurité publique, à la protection du consommateur), les questions d’urgence risquent d’être systématiquement invoquées d’autant comme évoqué plus loin le juge ne semble pas devoir être saisi notamment pour apprécier le caractère d’urgence ». Résultat des courses : on peut craindre que les FAI soient systématiquement sollicités. Sur ce point, le CNN considère que « toute mesure de contrôle de nature technique demandée aux intermédiaires de l’internet, urgence ou non, ne peut intervenir qu’à défaut d’action de l’auteur dudit contenu ». Pourquoi ? Car le rôle premier de l’intermédiaire n’est pas de contrôler le contenu, ou d’empêcher sa propagation, « mais bien de s’assurer de sa diffusion conformément au principe constitutionnel de la liberté d’expression et de communication. »

De cinq, dans l’examen de la loi LCEN, le Conseil constitutionnel avait expliqué que seul le défaut de retrait d’un contenu manifestement illicite est susceptible d’engager la responsabilité de l’intermédiaire technique. Or, ici, le projet de décret veut infliger une amende pour défaut de retrait d’un contenu qui peut ne pas présenter cette caractéristique de « manifestement illicite ».

De six, le texte met en place un système de filtrage préventif illicite : « la rédaction actuelle du projet de décret laisse entendre que l’administration devra simplement notifier à l’hébergeur un contenu, de manière générique, laissant ainsi entendre que pour éviter toute sanction, l’hébergeur devra s’assurer que ce contenu ne puisse jamais réapparaître. Or, une telle interprétation imposerait à l’hébergeur de mettre une politique de surveillance générale de ses contenus ce que tant la Directive que l’article 6.I.7 LCEN interdisent » (notice & take down, notice & stay down).

De sept, le projet de décret ne prévoit pas de procédure contradictoire. Or, rappelle le CNN, « la Cour d’appel de Paris avait indiqué, dans un arrêt du 3 mars 2005, que "l’intervention d’une mesure qui tend à restreindre le droit d’expression, pour lequel la liberté est la règle, même si elle peut paraître légitime, en raison du dommage causé, ne saurait justifier qu’il soit dérogé au principe fondamental de la contradiction" » (voir également la décision Hadopi 1)

De huit, le décret laisse à une simple autorité administrative la possibilité de restreindre l’accès, une mesure attentatoire à la liberté de communication et d’expression. Or, le Conseil constitutionnel avait rejeté une telle possibilité dans sa décision fondatrice du 10 juin 2009 sur Hadopi 1. Dans sa décision LOPPSI du 10 mars 2011, il a autorisé une autorité administrative indépendante à bloquer un contenu pédopornographique que sous trois conditions strictes (la mesure doit protéger les utilisateurs d’internet eux-mêmes ; - la nature des contenus doit justifier les mesures prises (le Conseil constitutionnel a ainsi précisé que tel ne serait pas le cas de la préservation de la propriété intellectuelle) - la mesure vise à restreindre l’accès à un site déterminé en raison de son caractère illicite). Or ici, on confie ce pouvoir de blocage à plusieurs autorités administratives sans déterminer la liste des contenus susceptibles de permettre le blocage. Pour le CNN, « toute mesure de blocage imposée aux fournisseurs d’accès à l’internet ne [peut] intervenir que sous l’appréciation et le contrôle préalable du juge ». En outre, le CNN recommande que « toute mesure de blocage mise en oeuvre par les fournisseurs d’accès à l’internet ne puisse être instituée que par voie législative »… et non pas décrétale comme ici.

De neuf, le texte ne semble pas répondre à l’exigence du principe de proportionnalité, consacré encore dans la décision Hadopi 1, puisqu’une autorité administrative va pouvoir exiger n’importe quoi à l’égard de n’importe qui, sans que la mesure soit strictement encadrée.

Un projet sans aucun débat

Dans sa conclusion, le Conseil National du Numérique estime aussi « que le projet de décret doit faire l’objet de nombreuses modifications afin notamment de faire concilier la nécessaire lutte contre la cybercriminalité avec le principe constitutionnel de la liberté d’expression ». Mieux : « Les mesures envisagées, notamment celles impliquant les intermédiaires de l’internet, doivent s’inscrire dans le cadre législatif et réglementaire existant ou faire l’objet, en particulier sur la question du blocage, d’un vaste débat public, ce qui n’a pas été le cas ».




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