Exclu PC INpact : la Cour d’Appel de Paris a rendu hier un arrêt pour trancher une procédure de filtrage lancée par le Syndicat National de l’Edition Phonographique (SNEP) contre Google. Objectif des producteurs : imposer à Google la suppression des mots Torrent, Megaupload et RapidShare dans l’outil Suggest, le tout grâce à un outil voté avec la loi HADOPI. La justice n’a cependant pas été de cet avis…
Google Suggest ou Suggestions est une fonctionnalité présente dans le moteur Google depuis 2008. Avec lui, au fil de la frappe, les requêtes des utilisateurs sont complétées pour suggérer des recherches populaires effectuées par d’autres utilisateurs Problème : le SNEP avait remarqué que le moteur proposait des mots-clés comme « torrent », « megaupload » et « rapidshare », des expressions jugées bien trop sulfureuses. En avril 2010, armé de plusieurs procès-verbaux, le Syndicat assignait en référé Google afin de faire nettoyer ces suggestions.
Demander un filtrage grâce à une disposition de la loi Hadopi
Les producteurs de musique avaient trouvé une arme dans leur trousse à outil : plutôt que de se risquer à utiliser la LCEN (responsabilité des intermédiaires techniques), ils dégainent une disposition de la loi Hadopi siège d'un futur filtrage des réseaux : l’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle.
« Art. L. 336-2. – en présence d’une atteinte à un droit d’auteur (…) occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance (…) peut ordonner à la demande [des ayants droit ou de leurs milices] toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. » »
Cet article permet aux ayants droit d’exiger tout et n’importe quoi d’un acteur pour faire cesser et même prévenir n’importe quelle atteinte à leurs intérêts. Le Conseil constitutionnel avait validé cet article dans l’examen d’Hadopi 1 tout en l’encadrant par une double réserve interprétative : la procédure doit être contradictoire, la procédure doit mettre en place des moyens proportionnés. Hors de question par exemple de fermer tout YouTube si quelques fichiers contrefaisants y sont détectés.
Le 10 septembre 2010, le président du tribunal déboute et condamne cependant le SNEP à payer à Google 5.000 euros pour couvrir ses frais. Sûr de son coup, le SNEP fait appel.
« torrent », « megaupload » et « rapidshare »
Le 1er mars 2011, dans ses conclusions, le SNEP demande expressément que les termes « torrent », « megaupload » et « rapidshare » soient supprimés de Google Suggest sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard et par suggestion. Le SNEP fournit également une liste d'artistes, d'album et de chansons et demande à ce que leur association avec l’un de ces trois termes soit irrémédiablement supprimée de Google.
Un premier ménage déjà fait par Google, insuffisant pour le SNEP
Google en défense indique avoir depuis fait le ménage. La fonctionnalité Suggest « ne génère plus les termes visés par le SNEP lors de la saisie par un internaute d'un nom d'artiste ou d'album », Google assure avoir « déréférencé des résultats de son moteur, les liens visés par le SNEP ».
Mais le SNEP n’en a cure et demande plus : il exige le filtrage et donc la suppression pure et simple des trois mots clefs pour les faire disparaître de toutes les suggestions du moteur.
La recherche d'une proportionnalité de la mesure
Pour justifier la proportionnalité de cette mesure – une exigence constitutionnelle - le SNEP va imaginer toute une série d’arguments : « il n'existe pas de moteur de recherche pour localiser ces fichiers et que les internautes trouvent donc des liens incluant ces termes sur les moteurs de recherche tels que celui de GOOGLE ». De plus, Google Suggestion est une fonctionnalité par défaut de Google, « qui devient incitative en raison de la part de marché du moteur de recherche. » Ainsi, cette fonctionnalité « procure un raccourci vers des fichiers illicites et est donc de ce chef répréhensible ». Enfin, « la suppression des trois mots-clés est une mesure proportionnée au but poursuivi et efficace pour combattre le piratage en ligne, le déférencement des liens étant insuffisant. »
Ce 3 mai la Cour d’appel de Paris a donc rendu son arrêt sur cette décision de référé.
L'article 336-2 s'applique à Google
En point de départ, si elle estime que l’article précité s’applique à « toute personne » et donc aux moteurs, il suppose un préalable inévitable : « la présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne ». La Cour d’appel va donc détricoter chacun des éléments ici en question pour rechercher cette atteinte.
D’un côté, Google Suggesst affiche des suggestions correspondant aux requêtes des autres internautes ayant procédé à une recherche sur le titre, l'artiste ou l'album associée aux sites « torrent », « megaupload » « rapidshare ». De l’autre, « « torrent » est un protocole de transfert de données pair à pair à travers un réseau informatique, que « megaupload » est un site web permettant à un internaute de mettre en ligne tout type de fichier et que « rapidshare » est un site web proposant aussi un service d'hébergement de fichiers » Voilà pour le décor.
Or, la Cour d’appel de Paris va expliquer par A+B au SNEP que la suggestion en elle-même de ces sites ne constitue pas « une atteinte au droit d'auteur ».
Torrent, RapidShare ou Megaupload sont licites, les suggérer également
Pourquoi ? Car « les fichiers figurant sur ces sites ne sont pas tous nécessairement destinés à procéder à des téléchargements Illégaux ». La Cour d’appel rappellera quelques fondamentaux au SNEP : « l'échange de fichiers contenant des oeuvres protégées notamment musicales sans autorisation ne rend pas ces sites en eux-mêmes illicites ». Car « c'est l'utilisation qui en est faite par ceux qui y déposent des fichiers et les utilisent qui peut devenir illicite », non le site en lui-même qui joue le rôle d’intermédiaire.
C'est l'internaute le reponsable, non le moteur
Du côté de l’outil Suggest, il ne faut pas se tromper. « la suggestion automatique de ces sites ne peut générer une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin que si l'internaute se rend sur le site suggéré et télécharge un phonogramme protégé et figurant en fichier sur ces sites ». Considérer un terme comme illicite n’a donc pas de sens.
Ainsi, le SNEP ne peut tenir Google responsable de contenus « éventuellement illicites des fichiers échangés figurant sur les sites incriminés ni des actes des internautes recourant au moteur de recherche ». Dans le cas contraire, on rendrait Google responsable d’actes volontaires d’internautes.
Les premiers nettoyages de Google ne sont pas une reconnaissance de responsabilité
Alors certes, Google a déjà nettoyé son outil Suggestion, sans doute par bonne composition. Mais fallait-il y voir une reconnaissance de responsabilité de la part du moteur ? Non, répond le juge : « le fait que les sociétés GOOGLE aient procédé à une opération de filtrage des suggestions ne signifie pas qu'elles ont acquiescé à la demande et reconnu leur responsabilité »
Une suppression qui aurait été inutile
La Cour d’appel estimera au final que la suppression des termes « torrent », « rapidshare » et « megaupload » est en elle-même inutile puisque le contenu litigieux reste accessible malgré tout.
Cette suppression rendrait simplement moins facile la recherches de ces sites pour les internautes qui ne les connaîtraient pas encore mais n'empêcherait nullement ceux qui les connaissent de les trouver en tapant directement leur nom sur le moteur de recherche…
Au final, la Cour d’appel refuse d’appliquer l’article 336-2 puisque l’une de ses conditions, l'atteinte à un droit d'auteur occasionné par un contenu d'un service de communication au public en ligne, n'est pas démontrée. Du coup, le SNEP est à nouveau débouté et Google se voit attribuer 5000 euros pour couvrir ses frais de justice.
Demander un filtrage grâce à une disposition de la loi Hadopi
Les producteurs de musique avaient trouvé une arme dans leur trousse à outil : plutôt que de se risquer à utiliser la LCEN (responsabilité des intermédiaires techniques), ils dégainent une disposition de la loi Hadopi siège d'un futur filtrage des réseaux : l’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle.
« Art. L. 336-2. – en présence d’une atteinte à un droit d’auteur (…) occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance (…) peut ordonner à la demande [des ayants droit ou de leurs milices] toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. » »
Cet article permet aux ayants droit d’exiger tout et n’importe quoi d’un acteur pour faire cesser et même prévenir n’importe quelle atteinte à leurs intérêts. Le Conseil constitutionnel avait validé cet article dans l’examen d’Hadopi 1 tout en l’encadrant par une double réserve interprétative : la procédure doit être contradictoire, la procédure doit mettre en place des moyens proportionnés. Hors de question par exemple de fermer tout YouTube si quelques fichiers contrefaisants y sont détectés.
Le 10 septembre 2010, le président du tribunal déboute et condamne cependant le SNEP à payer à Google 5.000 euros pour couvrir ses frais. Sûr de son coup, le SNEP fait appel.
« torrent », « megaupload » et « rapidshare »
Le 1er mars 2011, dans ses conclusions, le SNEP demande expressément que les termes « torrent », « megaupload » et « rapidshare » soient supprimés de Google Suggest sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard et par suggestion. Le SNEP fournit également une liste d'artistes, d'album et de chansons et demande à ce que leur association avec l’un de ces trois termes soit irrémédiablement supprimée de Google.
Un premier ménage déjà fait par Google, insuffisant pour le SNEP
Google en défense indique avoir depuis fait le ménage. La fonctionnalité Suggest « ne génère plus les termes visés par le SNEP lors de la saisie par un internaute d'un nom d'artiste ou d'album », Google assure avoir « déréférencé des résultats de son moteur, les liens visés par le SNEP ».
Mais le SNEP n’en a cure et demande plus : il exige le filtrage et donc la suppression pure et simple des trois mots clefs pour les faire disparaître de toutes les suggestions du moteur.
La recherche d'une proportionnalité de la mesure
Pour justifier la proportionnalité de cette mesure – une exigence constitutionnelle - le SNEP va imaginer toute une série d’arguments : « il n'existe pas de moteur de recherche pour localiser ces fichiers et que les internautes trouvent donc des liens incluant ces termes sur les moteurs de recherche tels que celui de GOOGLE ». De plus, Google Suggestion est une fonctionnalité par défaut de Google, « qui devient incitative en raison de la part de marché du moteur de recherche. » Ainsi, cette fonctionnalité « procure un raccourci vers des fichiers illicites et est donc de ce chef répréhensible ». Enfin, « la suppression des trois mots-clés est une mesure proportionnée au but poursuivi et efficace pour combattre le piratage en ligne, le déférencement des liens étant insuffisant. »
Ce 3 mai la Cour d’appel de Paris a donc rendu son arrêt sur cette décision de référé.
L'article 336-2 s'applique à Google
En point de départ, si elle estime que l’article précité s’applique à « toute personne » et donc aux moteurs, il suppose un préalable inévitable : « la présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne ». La Cour d’appel va donc détricoter chacun des éléments ici en question pour rechercher cette atteinte.
D’un côté, Google Suggesst affiche des suggestions correspondant aux requêtes des autres internautes ayant procédé à une recherche sur le titre, l'artiste ou l'album associée aux sites « torrent », « megaupload » « rapidshare ». De l’autre, « « torrent » est un protocole de transfert de données pair à pair à travers un réseau informatique, que « megaupload » est un site web permettant à un internaute de mettre en ligne tout type de fichier et que « rapidshare » est un site web proposant aussi un service d'hébergement de fichiers » Voilà pour le décor.
Or, la Cour d’appel de Paris va expliquer par A+B au SNEP que la suggestion en elle-même de ces sites ne constitue pas « une atteinte au droit d'auteur ».
Torrent, RapidShare ou Megaupload sont licites, les suggérer également
Pourquoi ? Car « les fichiers figurant sur ces sites ne sont pas tous nécessairement destinés à procéder à des téléchargements Illégaux ». La Cour d’appel rappellera quelques fondamentaux au SNEP : « l'échange de fichiers contenant des oeuvres protégées notamment musicales sans autorisation ne rend pas ces sites en eux-mêmes illicites ». Car « c'est l'utilisation qui en est faite par ceux qui y déposent des fichiers et les utilisent qui peut devenir illicite », non le site en lui-même qui joue le rôle d’intermédiaire.
C'est l'internaute le reponsable, non le moteur
Du côté de l’outil Suggest, il ne faut pas se tromper. « la suggestion automatique de ces sites ne peut générer une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin que si l'internaute se rend sur le site suggéré et télécharge un phonogramme protégé et figurant en fichier sur ces sites ». Considérer un terme comme illicite n’a donc pas de sens.
Ainsi, le SNEP ne peut tenir Google responsable de contenus « éventuellement illicites des fichiers échangés figurant sur les sites incriminés ni des actes des internautes recourant au moteur de recherche ». Dans le cas contraire, on rendrait Google responsable d’actes volontaires d’internautes.
Les premiers nettoyages de Google ne sont pas une reconnaissance de responsabilité
Alors certes, Google a déjà nettoyé son outil Suggestion, sans doute par bonne composition. Mais fallait-il y voir une reconnaissance de responsabilité de la part du moteur ? Non, répond le juge : « le fait que les sociétés GOOGLE aient procédé à une opération de filtrage des suggestions ne signifie pas qu'elles ont acquiescé à la demande et reconnu leur responsabilité »
Une suppression qui aurait été inutile
La Cour d’appel estimera au final que la suppression des termes « torrent », « rapidshare » et « megaupload » est en elle-même inutile puisque le contenu litigieux reste accessible malgré tout.
Cette suppression rendrait simplement moins facile la recherches de ces sites pour les internautes qui ne les connaîtraient pas encore mais n'empêcherait nullement ceux qui les connaissent de les trouver en tapant directement leur nom sur le moteur de recherche…
Au final, la Cour d’appel refuse d’appliquer l’article 336-2 puisque l’une de ses conditions, l'atteinte à un droit d'auteur occasionné par un contenu d'un service de communication au public en ligne, n'est pas démontrée. Du coup, le SNEP est à nouveau débouté et Google se voit attribuer 5000 euros pour couvrir ses frais de justice.