Avec l'Internet civilisé, l'UMP s'échine

L’Internet civilisé est un concept qui est systématiquement mis en œuvre par le politique pour justifier des mesures de contrôles, de surveillance, de repérage afin d’encadrer des comportements de masse. Début 2011, le Monde avait déjà effectué un bilan de cette expression qu’on retrouve de manière chronique pour appuyer le discours sécuritaire. Nous complétons ici l’inventaire à partir d’archives, discours, rapports, projet, etc.

A chaque fois,
la logique est simple : si l’internet n’est pas civilisé, les mesures pour le civiliser sont évidemment nécessaires, proportionnées et urgentes. Toutefois, la France et la majorité actuelle ne sont pas en pointe sur le processus de civilisation d’Internet. Une autre nation de premier ordre avait déjà évoqué voilà 6 ans le fameux concept. Tour d’horizon.

préhistoire
Internautes non civilisés (anticipation)

Le 6 avril 2011, Muriel Marland-Militello (MMM) a une idée. Elle veut couper l’accès aux nets aux pirates informatiques. L’objectif ? « Construire un monde numérique plus civilisé, et donc plus fort, ce que souhaite notre Président de la République Nicolas Sarkozy. » L’internet civilisé exige donc des mesures draconiennes contre les pirates informatiques.

Le 31 mars 2011 Marie François Marais, présidente de la Hadopi déclare à l’UNIFAB qu’avec Hadopi « on voudrait aboutir à un internet civilisé » (nous diffuserons l’enregistrement). L’internet civilisé exige donc que des menaces soient adressées aux abonnés français qui ne savent sécuriser leur accès contre l’échange illicite sur les réseaux P2P.

Le 2 février 2011, à propos d’un amendement gouvernemental permettant à l’Hadopi de financer des projets d’offre légale, MMM estime qu’avec cette perfusion, HADOPI pourra « contribuer de manière plus efficace à construire l’internet civilisé, respectueux des droits et libertés de chacun ».  La civilisation de l’internet exige qu’une autorité indépendante finance une industrie du contenu qui lui transmet déjà des milliers d’IP par jour.

22 janvier 2011 Franck Riester: « Plus que réguler l'Internet, nous devons désormais tendre vers un Internet « civilisé »» . Déclaration faite à l’annonce du G8 de l’Internet, et donc un internet civilisé qui doit s’attaquer en conséquence à tout le web mondial.

Le 20 janvier 2011, MMM s’emporte : « du fond du cœur, merci à Nicolas Sarkozy d’être le premier chef d’État européen, et sans doute du monde, à avoir pris toute la mesure de l’urgence qu’il y a à civiliser internet, sans quoi il sera trop tard. » Discours tenu à l’égard du G20 de l’Internet : la civilisation du net est urgentissime.

17 décembre 2010 Frédéric Mitterrand   « HADOPI est un dispositif pédagogique, qui repose sur une réponse graduée, sur des messages d’avertissement adressés aux internautes. Il ne s’agit pas de « surveiller et punir » mais de contrôler et de garantir, en d’autres termes de « civiliser » internet ». Dans la mission civilisatrice, contrôler n’est pas surveiller. Garantir n’est pas punir même si on envisage de traiter 200 000 saisines par jour (appel d’offres Hadopi) le tout sous couvert d’une curieuse opacité (CNIL).

7 octobre 2010 MMM est certaine : « Sans fournisseurs d’accès responsables, pas d’internet civilisé » (à propos du lancement de la riposte graduée de l’Hadopi). Soit les FAI collaborent, soit ils sont les ennemis de la civilisation du net. Variante : le FAI non civilisé est un « voyou » selon Pr Michel Riguidel, à la tête d'une mission sur la sécurisation des outils labellisés Hadopi. 

29 septembre 2010 Lettre de Sarkozy à Kouchner : « Les enjeux liés au développement d'Internet revêtent en effet une importance croissante, à la fois d'ordre politique, culturel, économique, industriel, sécuritaire. Il est clair que tant la nature même, transnationale, d'Internet que le caractère stratégique de ces enjeux appellent une réflexion et une coordination internationales. (...) Cette problématique doit être abordée de manière globale, avec le souci de prendre en compte l'ensemble des intérêts concernés, et l'objectif de bâtir un 'Internet civilisé' »

22 septembre 2010
Franck Riester, rapporteur et membre d’Hadopi :« C'est cette conception de « l'Internet civilisé » que j'ai défendue en tant que rapporteur des lois HADOPI 1 et 2 à l'Assemblée nationale et qui est aujourd'hui validée par le Parlement européen ».  À propos de l’adoption du rapport pro ACTA Gallo, eurodéputée UMP, colistière du commissaire Michel Barnier, tous les deux proches de Nicolas Sarkozy. Une conception qui avait été décapitée par le Conseil constitutionnel lors de sa décision Hadopi 1, sur la base de broutilles comme l’atteinte à la présomption d’innocence. Indirectement, Riester considère que l’Europe civilisée a légitimé Hadopi.

15 septembre 2010 MMM insiste encore « l’HADOPI contribue à développer un Internet civilisé, respectueux des libertés et des droits et devoirs de chacun. » Déclaration faite à propos du rejet d’un recours en référé contre un décret Hadopi, par le Conseil d’État. Donc, l’actuel Internet n’est pas civilisé (le processus est en cours), ni respectueux des libertés, droits et devoirs de chacun. La preuve : un justiciable s’est cru légitimement en droit d’attaquer l’un des décrets Hadopi devant le Conseil d’État.

10 juin 2010 Franck Riester, encore, lors de la remise du rapport éthique du numérique : « "L'Internet civilisé" implique que ce formidable outil soit utilisé dans le respect des droits et des libertés les plus fondamentales. C'est fidèle à cette conviction que j'ai défendu les lois Création et Internet 1 et 2 à l'Assemblée nationale »

22 octobre 2009 Nicolas Sarkozy, après le vote d'Hadopi 2 : « La France dispose à présent d’un système très innovant pour protéger les droits des auteurs, des artistes et de leurs partenaires dans l’univers internet. Ce dispositif privilégie l’information et la prévention des internautes, les sanctions étant graduées et proportionnées. (...) La France, pays inventeur du droit d’auteur, nation protectrice des artistes, montre sa volonté d’adapter cette protection sans nuire aux droits des consommateurs. (...) L’art constitue l’expression la plus haute de la civilisation. Il nous revient de faire qu’il existe un internet civilisé. »

22 septembre 2009  Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, à l'AN (Hadopi 2)  « Il s'agit bel et bien de poser clairement le principe d'internet comme espace civilisé – avec ce que cela implique comme protection des droits élémentaires de chacun.»

29 avril 2009 Christine Albanel : « C'est désormais à l'Assemblée nationale de faire en sorte que les consommateurs, les créateurs et les centaines de milliers de salariés des industries culturelles puissent tirer parti des fabuleuses opportunités, culturelles aussi bien qu'économiques, d'un Internet civilisé. » L’internet non civilisé heurte donc des milliers de salariés et autant de consommateurs, contrairement à sa version patchée, qui apportera richesse et prospérité.

20 avril 2009 Christine Albanel à l'Assemblée Nationale  « Nous aimons tous Internet, mais nous souhaitons qu’il soit légal et civilisé ».Tout est dans le « mais », qui conditionne l’amour du net à ses vertus légales et civilisées.

11 mars 2009 Communiqué de Christine Albanel : « il est fondamental que les internautes perçoivent le plus rapidement possible la contrepartie tangible de l’approche plus responsable d’Internet, approche que le Président de la République a résumée d’une formule dans laquelle chacun peut se reconnaître : « un Internet civilisé »». Là encore : la civilisation est une urgence, et Albanel reconnaît comme père de la formule, Nicolas Sarkozy.

19 novembre 2008 : Christine Albanel au Sénat « il est essentiel que les internautes perçoivent, sans tarder, la contrepartie tangible de l'approche plus responsable d'internet que nous voulons promouvoir avec ce projet de loi, approche que le Président de la République a résumée d'une formule dans laquelle chacun peut se reconnaître : « un internet civilisé ».» Hadopi permet donc aux internautes de percevoir la lumière civilisatrice de ces mesures.

17 février 2009 Christine Albanel (AN, Commission des affaires culturelles) . « Le Sénat a compris la philosophie de ce texte puisqu’il l’a adopté à l’unanimité, hormis le groupe communiste, qui s’est abstenu. C’est maintenant à l’Assemblée nationale qu’il appartient de faire en sorte que les consommateurs, les créateurs et les centaines de milliers de salariés des industries culturelles puissent tirer parti des fabuleuses opportunités, culturelles aussi bien qu’économiques, d’un Internet plus « civilisé ». » Petite phrase prononcée avant la censure du Conseil constitutionnel pour atteintes d’Hadopi aux droits et libertés fondamentaux.

24 novembre 2007 Nicolas Sarkozy, discours de l'Elysée sur le rapport Olivennes :« Aujourd'hui, un accord est signé, et je veux saluer ce moment décisif pour l'avènement d'un internet civilisé. Internet, c'est une " nouvelle frontière", un territoire à conquérir. Mais Internet ne doit pas être un " Far Ouest " high-tech, une zone de non-droit où des " hors-la-loi " peuvent piller sans réserve les créations, voire pire, en faire commerce sur le dos des artistes. D'un côté, des réseaux flambant neuf, des équipements ultra-perfectionnés, et de l'autre des comportements moyenâgeux, où, sous prétexte que c'est du numérique, chacun pourrait librement pratiquer le vol à l'étalage». Peinture de l’Internet non civilisé : far-west moyenâgeux où l’internaute sauvage peut voler à l’étalage et faire commerce sur le dos des créateurs.

Du chaos à l'urbanité

Bref. Le voilà l’internet civilisé. Une notion bien pratique qui permet de faire croire au novice, au naïf et à l’ingénue que d’un, Internet n’est pas, mais vraiment, pas du tout civilisé. Et de deux, que grâce aux lois en « i » (DADVSI, LOPPSI, Hadopi, et tutti quanti), du chaos préhistorique, nous allons enfin nager vers la civilité, l’urbanité et la fin de la sauvagerie.

On parle de civilisation comme d’autres vont aux croisades. L’internet civilisé est un processus qui vise un objectif. Un processus qui veut imprégner dans les esprits que l’État doit (re)conquérir un territoire pris d’assaut par des hordes de non-civilisés, les « voyous ». L’expression est ainsi très juteuse, car elle permet de justifier des mesures de plus en plus encadrantes sous le prétexte de la domestication d’apatrides sans foi ni loi (voir sur le jeu du discours, l'article de Sophie Boudet-Dalbin) . L'expression organise aussi un clivage entre le civilisé et le non-civilisé, entre le poli et l’impoli, le moral et l’immoral voire l’amoral.

internet civilisé UMP 2012
Requête "civilisé" sur le site "projet 2012" de l'UMP.

Devoir de mémoire, droit à l'oubli

Juste un tout dernier détail : une autre grande nation avait précédé Nicolas Sarkozy, lequel n'a donc pas inventé ce terme mais l'a emprunté.

Comme l’a pointé le Monde, en mai 2006, un article du New York Times fait état de la nouvelle politique chinoise sur internet : celle-ci clame du haut de son Great Firewall of China : « Let the Winds of a Civilized Internet Blow » ou, en français « Que soufflent les vents d’un internet civilisé ». L'internet civilisé est donc made in China.

En fait, nous avons retrouvé une trace plus ancienne de cette expression. Dès le 26 septembre 2005 la Chine évoquait déjà la régulation du net estimant que seules des nouvelles « saines et civilisées» pouvaient être diffusées sur Internet.

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