Le site ÉlectronLibre indique que la Hadopi allait mettre en mouvement sa mission d’observation du streaming notamment dès la fin du premier trimestre. « Les questions juridiques et techniques sont nombreuses, mais les consultations ont déjà commencé. La première phase de test devrait intervenir avant la fin du premier trimestre 2011. » Selon EL, « la volonté » serait de « bloquer les sites qui proposent aux internautes français des contenus illicites sur le Web via cette technologie par flux directs », et « cette fois, pas d’histoire de "défaut de surveillance de sa ligne" pour l’internaute, l’instance indépendante veut s’attaquer aux sites, et non plus aux consommateurs ! ».
Nous ferons plusieurs remarques...
L'observation anonymisée des réseaux
Le 14 décembre dernier, Éric Walter avait annoncé à la SACD que l’Hadopi est « en train de travailler sur la mise en place d’une observation totalement anonymisée pour avoir des données quantitatives pour savoir ce qu'il se passe sur les réseaux. » Il s’agissait dans un premier temps de répondre aux interrogations des professionnels du cinéma qui craignait une migration du P2P vers cet autre mode de consommation de la Culture.
En octobre 2009, le député-maire, rapporteur et membre de l’Hadopi, Franck Riester expliquait au Point.fr que vis-à-vis du streaming « cela fait partie du travail de l'Hadopi d'identifier les pratiques illégales sur Internet. Aujourd'hui, il s'agit essentiellement de combattre le peer-to-peer, mais nous allons évidemment nous intéresser au streaming illégal aussi. »
Plus tôt encore, en janvier 2009, Jean Berbinau secrétaire général de l'ARMT et futur membre du collège de l'Hadopi, affirmait qu’Hadopi pourra viser le streaming.
Dans cette observation, les ayants droit sont associés de près : « les ayants droit sont en train de réfléchir à une évolution possible de leurs constatations s’il y a passage significatif d’un système à l’autre » explique sur le site d’Hadopi.fr. Mireille Imbert Quaretta, présidente de la Commission de protection des droits. « « Si c’est techniquement et juridiquement possible, il n’y a pas de raison de ne pas s’en occuper également. Aujourd’hui, le problème posé par le streaming est celui du constat, de telle façon qu’il soit incontestable. »
Parmi ces ayants droit, la SACEM nous confiait en janvier 2011 que « le P2P était pour nous le premier danger, maintenant on va s’organiser pour la suite. (…) Comme on a travaillé avec l’Hadopi sur le P2P, on va travailler dans cet axe ». Avant de poursuivre : « On va arriver à une capacité de traitement illimité, il est normal de se focaliser là-dessus. L’Hadopi ne peut pas tout faire en même temps. Qu’elle fasse déjà complètement ce qu’il faut concernant le P2P, ensuite on verra pour le streaming. »
Des sondes, le juge
Un intermédiaire internet nous donnait dans le même temps son analyse : « Soit ils mettent des sondes chez l’abonné, c’est de l’interception qui relève d’un juge d’instruction ou de loi de juillet 91, soit ils mettent des sondes chez Megaupload et autres. Je suis très curieux de savoir comment ils vont y arriver, comment ils vont monitorer le streaming sans intrusion »
Le basculement vers une observation du streaming n’est en effet pas simple et exigera, s’il est industrialisé, automatisé, une saisine de la CNIL et donc un nouveau long parcours semé de ces embuches dont Hadopi a le secret.
Une modification du décret de mars 2010
Autre chose : Hadopi est indépendante des protocoles. Les textes fondateurs sont juridiquement neutres en vertu du principe d’égalité dans la loi. Elle n’est calibrée cependant que pour s’attaquer aux échanges P2P puisque le décret de mars 2010 sur la constitution de l’infraction de négligence caractérisée n’envisage que le processus de pair-à-pair.
Donc, résumons : d’un côté une réponse graduée qui monte en puissance en ne ciblant que le P2P, de l’autre une observation parallèle des réseaux pour quantifier, qualifier la migration vers le streaming. En fait, il faut surtout voir une chasse en battue sur le P2P et une quantité d’internautes qui galopent vers le streaming.
Justifier le blocage/filtrage chez le juge
Cette observation des réseaux, annoncée depuis des mois, aura surtout un autre charme : celui d’apporter un lot d’arguments dans les mains des ayants droit. Explication : un article de la loi Hadopi (nº 5) permet au juge d’ordonner « à la demande des titulaires de droits », « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte (…) à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. »
Le Conseil constitutionnel avait patché la fougue des fanboys Hadopi en rappelant quelques principes républicains de base via une réserve interprétative : certes, les ayants droit peuvent demander au TGI d’ordonner ces mesures, mais il faudra le faire en respectant 1) une procédure contradictoire (échange, argumentation, etc.) et 2) un contrôle de proportionnalité. Le juge constitutionnel dira des « mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause ».
Alors ? Tout l’enjeu des ayants droit et de l’indépendante Hadopi revient donc à observer les flux et constater que les internautes se sont bien orientés massivement vers le streaming. Les ayants droit pourront alors se rendre devant le juge armé de ce constat. Sans ce précieux document, une mesure de filtrage/blocage risquera à coup sûr d’apparaître excessive, donc disproportionnée, donc impossible à décrocher auprès d’un juge, du fait de la jurisprudence constitutionnelle.
Au stade de la fécondation d’Hadopi, souvenons-nous de l'arrivée de cet article 5 de la loi, dans lequel nous repérions le cheval de Troie du filtrage. Cet article avait connu une évolution intéressante qui ne laisse pas de doute sur la volonté de ses partisans,.
Dans sa forme initiale, l’article disait « En présence d'une atteinte à un droit d'auteur (…), le tribunal de grande instance, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner à la demande des titulaires de droits (…), toute mesure de suspension ou de filtrage des contenus portant atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, ainsi que toute mesure de restriction de l'accès à ces contenus, à l'encontre de toute personne en situation de contribuer à y remédier ou de contribuer à éviter son renouvellement ».
Michel Thiollière, rapporteur au Sénat indiquait que le juge devait apprécier « en fonction des circonstances et de l'état des techniques, la solution la plus efficace pour prévenir une telle atteinte ou y remédier ».
Le filtrage, en mode camouflage
Mais le mot « filtrage » était cependant abandonné au fil des débats. En fait d'adandon, ce n'était qu'un camouflage puisque les parlementaires lui préférèrent la mention « toutes mesures », moins contraignante, plus vaste. Dans son rapport à l’Assemblée nationale, le fidèle Franck Riester ne s’en émouvra pas : « Les sénateurs ont supprimé (…) la possibilité pour le président du tribunal de grande instance d’ordonner aux opérateurs un filtrage des contenus dans le but de mettre un terme à toute atteinte à un droit de propriété intellectuelle occasionnée par le contenu d’un service en ligne. Cette initiative est apparue d’autant plus appropriée, que la [nouvelle rédaction] offrira suffisamment de latitude à l’autorité judiciaire pour parvenir au résultat souhaité ».
Les expérimentations du filtrage
Enfin, la loi Hadopi a bien prévu des expérimentations de filtrage. La Hadopi a pour mission d’évaluer « les expérimentations conduites dans le domaine des technologies de reconnaissance des contenus et de filtrage par les concepteurs de ces technologies, les titulaires de droits sur les oeuvres et objets protégés et les personnes dont l'activité est d'offrir un service de communication au public en ligne. »
Les résultats de ces expérimentations couplées au constat d’une migration massive complèteront utilement le dossier à transmettre au juge... Enfin, si la Hadopi parvient à éviter les effets de bord du filtrage et les contraintes du droit européen en matière de responsabilité des intermédiaires techniques...
Le blocage du Conseil constitutionnel
Tout en tenant compte d'un détail, d'une broutille, oh trois fois rien : dans ses explications sur la loi LOPPSI 2, le Conseil constitutionnel avait justifié le blocage des sites pédopornographiques : la lutte contre l’exploitation sexuelle des mineurs « peut justifier des mesures que la préservation de la propriété intellectuelle ne peut fonder ».
Nous ferons plusieurs remarques...
L'observation anonymisée des réseaux
Le 14 décembre dernier, Éric Walter avait annoncé à la SACD que l’Hadopi est « en train de travailler sur la mise en place d’une observation totalement anonymisée pour avoir des données quantitatives pour savoir ce qu'il se passe sur les réseaux. » Il s’agissait dans un premier temps de répondre aux interrogations des professionnels du cinéma qui craignait une migration du P2P vers cet autre mode de consommation de la Culture.
En octobre 2009, le député-maire, rapporteur et membre de l’Hadopi, Franck Riester expliquait au Point.fr que vis-à-vis du streaming « cela fait partie du travail de l'Hadopi d'identifier les pratiques illégales sur Internet. Aujourd'hui, il s'agit essentiellement de combattre le peer-to-peer, mais nous allons évidemment nous intéresser au streaming illégal aussi. »
Plus tôt encore, en janvier 2009, Jean Berbinau secrétaire général de l'ARMT et futur membre du collège de l'Hadopi, affirmait qu’Hadopi pourra viser le streaming.
Dans cette observation, les ayants droit sont associés de près : « les ayants droit sont en train de réfléchir à une évolution possible de leurs constatations s’il y a passage significatif d’un système à l’autre » explique sur le site d’Hadopi.fr. Mireille Imbert Quaretta, présidente de la Commission de protection des droits. « « Si c’est techniquement et juridiquement possible, il n’y a pas de raison de ne pas s’en occuper également. Aujourd’hui, le problème posé par le streaming est celui du constat, de telle façon qu’il soit incontestable. »
Parmi ces ayants droit, la SACEM nous confiait en janvier 2011 que « le P2P était pour nous le premier danger, maintenant on va s’organiser pour la suite. (…) Comme on a travaillé avec l’Hadopi sur le P2P, on va travailler dans cet axe ». Avant de poursuivre : « On va arriver à une capacité de traitement illimité, il est normal de se focaliser là-dessus. L’Hadopi ne peut pas tout faire en même temps. Qu’elle fasse déjà complètement ce qu’il faut concernant le P2P, ensuite on verra pour le streaming. »
Des sondes, le juge
Un intermédiaire internet nous donnait dans le même temps son analyse : « Soit ils mettent des sondes chez l’abonné, c’est de l’interception qui relève d’un juge d’instruction ou de loi de juillet 91, soit ils mettent des sondes chez Megaupload et autres. Je suis très curieux de savoir comment ils vont y arriver, comment ils vont monitorer le streaming sans intrusion »
Le basculement vers une observation du streaming n’est en effet pas simple et exigera, s’il est industrialisé, automatisé, une saisine de la CNIL et donc un nouveau long parcours semé de ces embuches dont Hadopi a le secret.
Une modification du décret de mars 2010
Autre chose : Hadopi est indépendante des protocoles. Les textes fondateurs sont juridiquement neutres en vertu du principe d’égalité dans la loi. Elle n’est calibrée cependant que pour s’attaquer aux échanges P2P puisque le décret de mars 2010 sur la constitution de l’infraction de négligence caractérisée n’envisage que le processus de pair-à-pair.
Donc, résumons : d’un côté une réponse graduée qui monte en puissance en ne ciblant que le P2P, de l’autre une observation parallèle des réseaux pour quantifier, qualifier la migration vers le streaming. En fait, il faut surtout voir une chasse en battue sur le P2P et une quantité d’internautes qui galopent vers le streaming.
Justifier le blocage/filtrage chez le juge
Cette observation des réseaux, annoncée depuis des mois, aura surtout un autre charme : celui d’apporter un lot d’arguments dans les mains des ayants droit. Explication : un article de la loi Hadopi (nº 5) permet au juge d’ordonner « à la demande des titulaires de droits », « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte (…) à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. »
Le Conseil constitutionnel avait patché la fougue des fanboys Hadopi en rappelant quelques principes républicains de base via une réserve interprétative : certes, les ayants droit peuvent demander au TGI d’ordonner ces mesures, mais il faudra le faire en respectant 1) une procédure contradictoire (échange, argumentation, etc.) et 2) un contrôle de proportionnalité. Le juge constitutionnel dira des « mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause ».
Alors ? Tout l’enjeu des ayants droit et de l’indépendante Hadopi revient donc à observer les flux et constater que les internautes se sont bien orientés massivement vers le streaming. Les ayants droit pourront alors se rendre devant le juge armé de ce constat. Sans ce précieux document, une mesure de filtrage/blocage risquera à coup sûr d’apparaître excessive, donc disproportionnée, donc impossible à décrocher auprès d’un juge, du fait de la jurisprudence constitutionnelle.
Au stade de la fécondation d’Hadopi, souvenons-nous de l'arrivée de cet article 5 de la loi, dans lequel nous repérions le cheval de Troie du filtrage. Cet article avait connu une évolution intéressante qui ne laisse pas de doute sur la volonté de ses partisans,.
Dans sa forme initiale, l’article disait « En présence d'une atteinte à un droit d'auteur (…), le tribunal de grande instance, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner à la demande des titulaires de droits (…), toute mesure de suspension ou de filtrage des contenus portant atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, ainsi que toute mesure de restriction de l'accès à ces contenus, à l'encontre de toute personne en situation de contribuer à y remédier ou de contribuer à éviter son renouvellement ».
Michel Thiollière, rapporteur au Sénat indiquait que le juge devait apprécier « en fonction des circonstances et de l'état des techniques, la solution la plus efficace pour prévenir une telle atteinte ou y remédier ».
Le filtrage, en mode camouflage
Mais le mot « filtrage » était cependant abandonné au fil des débats. En fait d'adandon, ce n'était qu'un camouflage puisque les parlementaires lui préférèrent la mention « toutes mesures », moins contraignante, plus vaste. Dans son rapport à l’Assemblée nationale, le fidèle Franck Riester ne s’en émouvra pas : « Les sénateurs ont supprimé (…) la possibilité pour le président du tribunal de grande instance d’ordonner aux opérateurs un filtrage des contenus dans le but de mettre un terme à toute atteinte à un droit de propriété intellectuelle occasionnée par le contenu d’un service en ligne. Cette initiative est apparue d’autant plus appropriée, que la [nouvelle rédaction] offrira suffisamment de latitude à l’autorité judiciaire pour parvenir au résultat souhaité ».
Les expérimentations du filtrage
Enfin, la loi Hadopi a bien prévu des expérimentations de filtrage. La Hadopi a pour mission d’évaluer « les expérimentations conduites dans le domaine des technologies de reconnaissance des contenus et de filtrage par les concepteurs de ces technologies, les titulaires de droits sur les oeuvres et objets protégés et les personnes dont l'activité est d'offrir un service de communication au public en ligne. »
Les résultats de ces expérimentations couplées au constat d’une migration massive complèteront utilement le dossier à transmettre au juge... Enfin, si la Hadopi parvient à éviter les effets de bord du filtrage et les contraintes du droit européen en matière de responsabilité des intermédiaires techniques...
Le blocage du Conseil constitutionnel
Tout en tenant compte d'un détail, d'une broutille, oh trois fois rien : dans ses explications sur la loi LOPPSI 2, le Conseil constitutionnel avait justifié le blocage des sites pédopornographiques : la lutte contre l’exploitation sexuelle des mineurs « peut justifier des mesures que la préservation de la propriété intellectuelle ne peut fonder ».