Copie privée : les achats transfrontaliers sous l'oeil de la CJUE

Copie privée : nous avions déjà évoqué cette affaire soumise à l’examen de la Cour de Justice de l’Union Européenne. Le cas résonnera chez les consommateurs français qui s’alimentent en supports vierges dans les boutiques luxembourgeoises par exemple. Sauf qu’ici, les faits concernent les Pays-Bas et l’Allemagne. Fait intéressant, les conclusions de l’avocat général viennent d’être rendues. Elles contiennent de précieuses informations qui pourront être prises en compte lors de l’arrêt de la CJUE.

Des acheteurs néerlandais charmés par les tarifs allemands, nus de "taxe"
 
Quand un acheteur néerlandais commande des supports vierges auprès d’un site allemand, la société allemande ne paie aucune « taxe » pour copie privée. Ni en Allemagne, ni aux Pays-Bas. L’explication est mécanique : le redevable de cette ponction est l’importateur. Problème : même quand il est informé des obligations, le consommateur néerlandais ne déclare rien et ces montants sont irrécouvrables.

Cet état de fait génère de multiples hémorragies :
  • Pour les ayants droit qui ne collectent pas rémunération pour copie privée
  • Pour l’État néerlandais qui perd des ressources fiscales,
  • Pour les boutiques néerlandaises qui ne peuvent évidemment concurrencer ces tarifs allemands sans « taxe » copie privée.
  • Pour l’Europe en général qui voit des flux commerciaux déséquilibrés, pour des histoires de taxes nationales, sans rapport avec les règles de stricte concurrence.
Voilà pour le décor.

Stichting de Thuiskopie vs Opus Supplies Deutschland

Maintenant les acteurs :

Opus Supplies Deutschland est un site qui, quoique basé en Allemagne, vise le marché néerlandais. Son site est disponible en .NL, il est rédigé dans cette langue, le consommateur peut payer avec un compte néerlandais, les marchandises peuvent être retournées à une adresse néerlandaise et c’est le vendeur qui s’occupe de la livraison au moyen d’un transporteur qu’il a choisi. Bref, du néerlandais partout… exception faite pour le siège social de cette boutique.

Stichting de Thuiskopie Opus Supplies Deutschland

La Stichting de Thuiskopie, équivalent de nos Sorecop/Copie France est l’organisme néerlandais qui est chargé de collecter la rémunération (ou « taxe ») pour copie privée auprès des importateurs basés dans le pays.

Elle a bien noté bien que le Opus Supplies est basé en Allemagne, mais elle estime que, compte tenu du contexte, la boutique agit « comme » un importateur pour le compte du consommateur. Conséquence immédiate : Open Supplies doit reverser de la rémunération pour copie privée d’autant que la société allemande réalise une bonne partie de son chiffre d’affaires aux Pays-Bas.

Un exportateur requalifié en importateur ?


L’affaire a donné lieu à une plainte devant la justice néerlandaise. Après de multiples échecs judiciaires, la Stichting de Thuiskopie a obtenu une question préjudicielle lors de l’examen en cassation. Cette procédure devant la Cour de Justice de l’Union Européenne a pour objectif de trancher une difficulté d’interprétation pesant sur les textes européens.

Ici, la difficulté est simple : la directive 2001/29 prévoit la compensation pour copie privée. Or, elle n’indique pas expressément qui doit la payer. Du coup, c’est aux États membres d’apprécier qui est le véritable redevable. Toute la question est alors de savoir si, dans ce contexte, on peut considérer que la notion d’ « importateur » diffère du sens que le langage commun veut bien lui attribuer.

Voilà les deux questions, techniques, posées à la CJUE :
1) La directive [2001/29], et en particulier son article 5, paragraphe 2, sous b) et paragraphe 5, offre-t-elle des critères permettant de répondre à la question de savoir qui, dans la législation nationale, doit être considéré comme le débiteur de la «compensation équitable» visée à l’article 5, paragraphe 2, sous b)? Dans l’affirmative, quels sont ces critères?

2) En cas de contrat négocié à distance, si l’acheteur est établi dans un État membre différent de celui du vendeur, l’article 5, paragraphe 5, de la directive [2001/29] contraint-il à une interprétation du droit national assez large pour permettre que, dans un au moins des pays concernés par le contrat négocié à distance, la ‘compensation équitable’ visée à l’article 5, paragraphe 2, sous b) soit due par un commerçant ?
Il est donc demandé à la CJUE de fournir les éventuels critères qui permettent de savoir qui est « importateur » dans un achat transfrontalier (le consommateur ? Ou, par fiction, le vendeur ?). Et, à tout le moins, de dire si le vendeur étranger doit payer de la « taxe » copie privée dans l’un des deux États membres (celui du vendeur ou celui de l’acheteur).

La RCP est une compensation équitable


Dans ses conclusions, l’avocat général de la CJUE rappellera la finalité de la « taxe » copie privée : il s’agit d’une compensation équitable versée aux ayants droit pour l’usage fait de leurs œuvres protégées sans leur autorisation et pour le préjudice que cela leur cause.

Pas d'exception à la protection des ayants droit


L’avocat général le dira clairement ; les textes fondateurs ne permettent pas qu’on puisse passer entre les gouttes de la rémunération pour copie privée à l’aide d’une « technique commerciale qui ne garantit pas le paiement de la compensation ». La directive ne permet donc aucune exception à la protection des droits des titulaires en matière de vente à distance. Il faut donc un versement, sauf à vouloir « fausser la concurrence dans le marché unique ». Une hérésie en Europe.

Achat transfrontalier : il doit y avoir compensation effective

Ainsi, pour l’avocat général, aucun doute : quand une société d’un autre État membre qui vise les consommateurs d’un autre État en utilisant son langage, un nom de domaine, etc. il doit y avoir compensation, du moins quand le dommage (le nombre de ventes) dépasse le stade du négligeable (« autrement, une société sera redevable d’une compensation dans tous les pays du monde »). Dans ses conclusions (souvent suivies), il dira :

  1. Il n’y a certes pas de solution unique pour garantir le paiement de la compensation équitable (la « rémunération » ou « taxe » copie privée)
     
  2. Mais dans tous les cas, une législation (ici celle des Pays Bas) ne peut exclure le paiement effectif de la « taxe » « par un vendeur à distance (…) qui visent des clients [hollandais] », sauf hypothèse où ce vendeur a déjà payés une compensation comparable dans son pays.
Une décision de la CJUE attendue...par la France aussi

Il faudra maintenant attendre la décision de la CJUE. Si elle estime que le vendeur est effectivement redevable de la rémunération pour copie privée, la situation pourrait rejaillir en France. Et pour cause, la situation ressemble comme deux gouttes d’eau à cette affaire.

La réglementation ici résulte d’une décision de la Commission copie privée du 30 juin 1986 qui prévoit que ce sont les importateurs et distributeurs qui reversent la « taxe » copie privée. Une décision prise à une époque où Internet était de la science fiction et la perception en un mode physique était la norme.

copie privée taxe rémunération redevance

Jusqu’à présent, après le développement du net, on considérait faute du mieux, que c’était les consommateurs qui devaient déclarer leurs achats à l’étranger. Or, la Cour d’appel de Paris (comme l’avocat général de la CJUE) a justement reconnu que ce « la redevance n’est pas réellement réclamée aux acheteurs consommateurs [français] privés en raison de difficultés pratiques de mise en œuvre de la réglementation. »

L'avocat général ayant dit qu'un système qui ne garantit pas le paiement effective de la RCP est contraire au droit communautaire, on vous laisse deviner les prochaines difficultés qui attendent la Commission Copie privée...

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