Rapprochement CSA/ARCEP
Cet été, le Premier ministre a mis sur les rails un rapprochement entre le CSA et l’ARCEP. Quel est votre avis sur un éventuel rapprochement entre les autorités de régulation de l’audiovisuel et des télécoms ?
Je n’ai pas compris quel était l’objectif du gouvernement. On ne fait pas un rapprochement pour faire un rapprochement. Il faut qu’il y ait un objectif de mieux réglementer certains secteurs d’activité. Aujourd’hui, les télécoms sont réglementés d’un point de vue économique. La réglementation sur le contenu, et donc sur l’audiovisuel en particulier, répond à des objectifs extrêmement différents. Avec l’arrivée des téléviseurs connectés, les deux mondes vont considérablement se rapprocher.
Qu’il y ait une réflexion sur la nouvelle réglementation à mettre en place, c’est une très bonne chose. Mais c’est en amont d’une décision sur la fusion ARCEP/CSA. C’est d’abord « qu’est-ce qu’on veut faire ? » qu’il faut se demander, comment il faut faire évoluer les réglementations actuelles, en matière d’audiovisuel, etc. Ce n’est qu’après qu’on peut décider quelle est la bonne autorité de régulation. Et ceci peut conduire à la fusion du CSA et de l’ARCEP, pourquoi pas. Mais je trouve que l’annoncer comme ça, c’était prendre le problème du mauvais côté.
Seriez-vous favorable à une telle fusion ?
Je n’y ai pas réfléchi et je refuse de le faire comme ça, car ce n’est pas la bonne façon de poser la question. Je pense qu’il faut à tout prix réfléchir à la compréhension par l’ensemble des acteurs des filières de contenu et télécoms, de cette nouvelle économie et des nouveaux acteurs tels que Google, Apple. Quels sont les enjeux en matière de financement de la production française ? Quels sont les enjeux en matière de promotion de la diversité, cde protection de l’enfance ? Querls sont les enjeux économiques associés ? Quel est l’impact sur les sociétés françaises et européennes de l’arrivée des grands acteurs américains sur le marché de l’audiovisuel par le biais de la TV connectée ? Quelle nouvelle réglementation doit-on mettre en place ? Est-ce au niveau européen ou peut-on encore conserver une réglementation franco-française ?
À mon avis, on ne peut pas garder la même réglementation qu’aujourd’hui, ce n’est pas possible. Après, on peut se demander comment régule-t-on l’ensemble de ces champs ? Est-ce qu’on laisse deux entités, ou bien est-ce qu’il y a un intérêt à n’en faire qu’une ? Est-ce que c’est juste un intérêt en termes d’économie d’échelle sur les fonctions support d’une autorité (la gestion des ressources humaines, des achats, du système d’information...), ou bien est-ce qu’il y a aussi un sens par rapport au métier de la régulation ? Je n’ai pas d’a priori positif ou négatif là-dessus. Si ça a un sens de les rapprocher, pourquoi pas.
Il y a aussi un enjeu européen : on ne peut pas garder une réglementation aussi atypique que la notre, avec la TV connectée. Pourquoi ? Simplement, parce qu’on met des contraintes très fortes aux producteurs et diffuseurs audiovisuels français, que n’auront pas tous les nouveaux acteurs de l’Internet. Il faut que tous les acteurs aient les mêmes règles du jeu ! Ceci concerne la production de contenus, mais aussi la fiscalité.
Merci Laure de la Raudière.
Mission Lescure
Quel regard portez-vous sur la mission confiée à Pierre Lescure sur l’acte 2 de l’exception culturelle ?
J’aurais d’abord aimé que Monsieur Lescure soit chargé de faire un audit objectif des résultats de l’exception culturelle française, et ce par domaine de la culture (audiovisuel, cinéma, musique,...). Ceci aurait permis de savoir si l’exception culturelle française avait la même efficacité sur ces différents secteurs.
La première partie de sa mission consistait pourtant à faire un état de lieux de la situation française...
Je n’ai pas l’impression qu’il ait compris sa mission comme pouvant remettre en cause la sacro-sainte exception culturelle française…
Je sous-entends qu’en France, quand on vous parle d’exception culturelle, tout le monde politique ou médiatique dit à côté « auquel nous sommes très attachés ». C’est-à-dire que c’est un principe de base. J’aimerais que par rigueur intellectuelle, on ait le courage d’une évaluation objective des avantages et des inconvénients de l’exception culturelle française par rapport aux autres pays européens.. Est-ce que notre exception culturelle telle qu’on l’a bâtie marche si bien que ça ?
Après, si Monsieur Lescure a compris sa mission dans ce sens, tant mieux. Cela permettra de savoir ce qu’il faut maintenir et ce qu’il faut faire évoluer.
Qu’attendez-vous de la mission Lescure ?
Qu’il fasse preuve d’audace et de véritable indépendance !
Vous sous-entendez qu’il n’est pas indépendant ?
Non, je ne dis pas ça. Je pense que dans ce domaine-là, il y a des a priori et des lobbys extrêmement puissants, qui empêchent en fait la prise en compte des réformes nécessaires par rapport aux changements qu’entrainent Internet et le numérique. Donc c’est pour ça que j’ai envie qu’il soit audacieux et libre. Libre est sans doute un meilleur terme qu’indépendant.
Au moment de la campagne, lorsqu’Aurélie Filippetti annonçait qu’il y aurait une mission sur l’acte 2 de l’exception culturelle, je disais « ils sont en train de nous refaire Olivennes quatre ans après ». Il y a aussi ce risque là. Si c’est pour nous ressortir les propositions que nous avait fait Denis Olivennes, même un petit peu modernisé, ça ne vaut pas le coup.
Sur Hadopi par exemple, êtes-vous favorable au maintient de l’institution ainsi que du dispositif de riposte graduée ?
Je souhaite que l’on supprime de la loi, le fait de pouvoir couper l’accès à Internet, en cas de téléchargement illégal.
Pour le reste, j’attends avec impatience le rapport de la mission Lescure !
Neutralité du Net/Très haut débit
Comment jugez-vous les premiers mois d’action du gouvernement de Jean-Marc Ayrault sur les dossiers touchant au numérique et à l’Internet (Hadopi, Open Data, couverture numérique du territoire...) ?
C’est un peu « paroles, paroles, paroles... » (rires). J’ai été frappée par la lenteur de réactions du gouvernement sur les sujets de fond : fin juillet, la ministre Fleur Pellerin annonce qu’il y a aura la création d’un comité de pilotage pour le très haut débit. Quand on fait une annonce comme ça, normalement, quinze jours après, il y a la nomination du responsable et on met en place le comité de pilotage. Ce n’est pas quelque chose de compliqué, il n’y a pas de réticences. Seulement, il a fallu quatre mois pour que le directeur du comité de pilotage soit nommé et que ce soit mis en place. J’ai un peu le sentiment que le gouvernement joue un peu la montre : on nous annonce par exemple sur le financement du très haut débit un séminaire gouvernemental pour février, alors qu’on avait l’opportunité de le faire dans le cadre de la loi de finances pour 2013.
Donc en fait, on occupe le terrain médiatique, en disant « on fait, on va faire, on fera » ! Ce n’est pas l’action elle-même que je remets en cause, c’est la façon de faire, le temps qu’on prend à faire les choses. Ce gouvernement, c’est comme s’il avait du temps. Or, on n’a pas de temps aujourd’hui. Sur le déploiement du très haut débit, il faut donner des signes très forts aux collectivités et aux français. Je pense que la décision concernant ce comité de pilotage est une bonne chose, mais ça aurait été beaucoup mieux de le mettre en place dès l’annonce ! On aurait gagné 4 mois…
Après, il y a eu aussi des erreurs faites. C’est typiquement le cas pour l’article 6 de la loi de finances, qui taxe les entrepreneurs comme si c’était des spéculateurs, l’idée étant de taxer le capital comme le revenu. Cela révèle une méconnaissance manifeste du monde de l’entreprise, et particulièrement des entreprises innovantes. La colère des entrepreneurs exprimée avec force médiatique par le biais du mouvement des « pigeons » est l’expression de leur « ras-le-bol » d’être incompris par le gouvernement. Ils ont besoin de la reconnaissance du gouvernement car ils investissement en prenant des risque, en . En fait, les créateurs ou les investisseurs dans le domaine du numérique, avec une prise de risque très forte, des cycles très courts et très variables, se trouvent entraînés dans le rouleau compresseur idéologique de la gauche, sans que cette dernière n’en ait mesuré les impacts.. Cette erreur a étéune maladresse considérable. Non seulement ce n’est pas bon pour notre économie, mais en plus, c’est aussi très décourageant pour ceux qui s’efforcent à investir et à créer de l’emploi en France. C’est donc une très mauvaise mesure.
Le gouvernement fait preuve sur tous ces sujets – comme sur d’autres – d’un certain amateurisme.
S’agissant justement du texte de loi que vous évoquez, celui sur l’aménagement numérique du territoire (rejeté récemment par l’Assemblée nationale), Fleur Pellerin a eu des mots très durs à son encontre, parlant par exemple d’un texte « obsolète », apportant une « réponse idéologique et court-termiste ». Comment avez-vous pris ces mots très forts ?
Un texte de loi est amendable, donc il n’est pas « obsolète » tant qu’il n’a pas répondu aux problèmes qu’il est censé régler. Aujourd’hui, le comité de pilotage a été instauré mais on n’a pas de procédure permettant d’articuler clairement les investissements publics avec les investissements privés. Il y a plein de questions qu’on pouvait mettre sur la table dans le cadre de ce texte, comme celle du financement. Le gouvernement a décidé que ce n’était pas le bon moment : c’est dommage !
Ce qui est compliqué sur ce texte là aussi pour les socialistes, c’est qu’ils l’ont voté au Sénat en disant qu’il y avait urgence de l’adopter par rapport au projet de très haut débit, et maintenant ils nous disent qu’ils n’en veulent plus parce qu’il faut attendre le mois de février. C’est faire preuve d’une certaine inconstance…
Vous avez déposé au mois de septembre une proposition de loi sur la neutralité du Net. Où en est votre projet ?
Pour l’instant, il n’est pas encore inscrit dans un créneau d’initiative parlementaire de l’UMP. J’aimerais, avant de le faire, pouvoir avoir des discussions avec le gouvernement et pouvoir connaître sa position. Je trouve que ce serait plus constructif.
Pour moi, ce n’est pas un sujet qui est de nature clivant, ou « gauche/droite ». Faire de la politique politicienne là-dessus ne m’intéresse pas. Donc avant d’utiliser l’arme du créneau parlementaire pour avoir l’avis du gouvernement, je préfère travailler en amont avec lui, ça me semble plus intéressant.
Les Pays-Bas sont le seul pays européen a avoir adopté une loi sur la neutralité du Net, et ce depuis mai dernier. Comment jugez-vous cette situation, et pensez-vous que la France puisse elle aussi suivre un jour cette voie ?
Oui, je pense que l’Europe va bouger un jour sur ce sujet-là. Les télécoms sont réglementées au niveau européen, avec les paquets télécoms. Cet environnement législatif s’impose au niveau de chacun des États membres. Il faut donc que l’adoption d’une réglementation au niveau français se fasse en parallèle à l’avancement de la réflexion au niveau européen, c’est important. C’est aussi pour ça que je souhaite que le gouvernement arrête de rester muet sur ce sujet-là et travaille sur la neutralité du Net. D’abord qu’il nous dise quelle est sa vision de la neutralité du Net et quel est le message qu’il va porter au niveau européen.
Concernant les Pays-Bas, le parlement a adopté un amendement qui semble délicat à mettre en place par l’autorité de régulation locale. La Commission européenne est aussi un peu gênée qu’un pays ait avancé en matière de législation par rapport aux autres. On voit bien que sur ce sujet-là, il faut qu’il y ait des discussions entre chaque État membre et la Commission européenne. J’aimerais que la France fasse bouger l’Europe et adopte simultanément une loi.
Conférence de Dubaï
La députée UMP Laure de la Raudière, spécialisée sur les nombreux sujets du numérique et de l'Internet a accepté de nous recevoir à l'Assemblée nationale. L'occasion d'évoquer de nombreux sujets du moment, à commencer par le sommet de l'UIT, qui s'est ouvert lundi dernier à Dubaï.
Crédits : Laure de la Raudière.
Vous avez questionné à la mi-novembre le gouvernement sur la conférence de Dubaï, afin de connaître les positions qu’il entendait défendre lors de ce sommet. Quels retours avez-vous eu de la part des autorités ?
Je n’ai eu aucun retour du gouvernement sur cette question écrite. Je suis étonnée, parce que les discussions à Dubaï ont commencé, et ce depuis le 3 décembre. Ce qui est assez surprenant, c’est que lorsqu’on fait une consultation ouverte pour recueillir des informations en vue de la préparation de l’Union Internationale des Télécoms (UIT) début décembre, c’est pour établir une position de la France. Je me pose aujourd’hui la question de savoir quelle est la position de la France et s’il y en a une.
Comment interprétez-vous ces signaux ?
Je suis très ennuyée qu’il n’y ait aucune position de la France sur la neutralité d’Internet dans le cadre de l’UIT. C’est même très regrettable. Pour moi, c’est un sujet qui n’est pas uniquement technique ou économique, c’est aussi un sujet de société. À ce titre, le politique doit dire quelle est la position par rapport à ce sujet de réglementation. Ceci peut être fait au niveau européen, comme ça peut être fait par chacun des États membres. Je souhaite que la France porte un message au niveau européen en faveur de la neutralité d’Internet, pour influer sur une réglementation au niveau européen.
Il y a trois mois, j’ai fait une proposition de loi pour afficher ma vision de la neutralité d’Internet. C’était aussi une façon de questionner le gouvernement pour savoir quelle était sa vision : celle des députés PS début 2011, exprimés au travers de la proposition de loi du député Christian Paul, la mienne; ou était-ce une autre, voire aucune ?
Quelles sont selon vous les raisons de cette absence de position ?
Il faut poser la question au gouvernement ! Il faut lui demander s’il est attaché à la neutralité d’Internet. Il y a eu une position forte durant la campagne, à savoir que François Hollande était attaché à ce principe. Aujourd’hui, je n’ai aucune réponse : ils sont muets sur ce sujet là. Je trouve donc que c’est une reculade, forcément. C’était un engagement, or aujourd’hui, on ne peut pas dire qu’ils défendent la neutralité d’Internet puisque suite à une consultation qu’ils font, ils n’expriment aucune position de la France. Comme s’ils se mettaient en retrait de ce sujet majeur.
Il ne faut pas que le gouvernement mette le sujet sous le tapis. Pendant la campagne, Fleur Pellerin a porté la voix du candidat Hollande sur les sujets numériques. Maintenant qu’elle est aux manettes, elle met le sujet sous le tapis en disant « c’est compliqué ». C’est vrai qu’il y a des enjeux industriels, donc effectivement, c’est compliqué. Mais il faut du courage politique.
Que préconiseriez-vous ? Comment souhaitez-vous que le gouvernement mène les négociations ?
Je souhaiterais que vis-à-vis des Français, il dise avant les négociations de l’UIT quelle est la position de la France qu’il va défendre au nom du peuple français.
Mais concrètement, en termes de propositions ?
J’aimerais bien que la ministre déléguée à l’Économie numérique, ou son représentant à Dubaï, reprenne les idées que je défends dans ma récente proposition de loi : la garantie d’avoir un Internet neutre, qui n’exclut pas le développement de services managés, mais qui garantisse quand même que la bande passante occupée par les services managés sur le réseau laisse une qualité de service suffisante à l’Internet.
Je pense aujourd’hui que ce qui est en train de se négocier entre les opérateurs, pour mettre en place des niveaux de qualité de service sur Internet, est un piège par rapport à l’innovation future de services sur Internet. Sur le marché - opaque - de l’interconnexion, il y a aujourd’hui un beau sujet de réglementation à venir entre les fournisseurs de contenus, qui captent la valeur, et les opérateurs. Ceci doit être décidé au niveau européen,. Il ne faut surtout pas le faire en France, parce que sinon les points de peering et d’interconnexion vont aller se délocaliser dans les pays voisins. Il faut que la France s’empare de ce sujet là et défende une position au niveau européen, en faveur de la neutralité d’Internet.
Mais ce n’est pas parce qu’on a des problèmes sur le marché de l’interconnexion qu’il faut pour autant autoriser la différenciation de flux et la priorisation de flux sur l’Internet de base. Il n’y a actuellement pas de priorisation de protocoles sur Internet, on a réussi à gérer ça jusqu’à présent. Je ne vois pas pourquoi demain on n’arriverait pas à le gérer aussi. Si l’on met des priorisations de flux, de nombreuses questions se posent : qui va définir le niveau de priorité de la vidéo par rapport à la messagerie, par rapport à un autre type de protocole comme le peer-to-peer... ?
Quel regard portez-vous sur le cadre des discussions relatives au RTI, à savoir une institution onusienne, où seuls les États ont une voix qui comptera ?
Aujourd’hui, il me semble que le cadre de l’UIT sert à prendre des décisions techniques, concernant par exemple les normes. À partir du moment où l’on déguise une décision politique sous forme d’une norme technique, j’insiste pour qu’un débat préalable politique ait lieu. Il faut savoir où on va, avant de décider comment on y va ! Sur l’Internet, il faut que l’on ait des débats politiques avant que ce soit traité par l’UIT d’un niveau technique.
Si Nicolas Sarkozy avait été réélu à la présidence de la République, pensez-vous que la droite aurait mieux géré le dossier ?
Bien sûr (rires) ! Je pense que la droite a beaucoup évolué depuis les années 2008/2009 sur Internet. Il y a eu beaucoup de maturité sur ces sujets.