LCEN, hébergeur et éditeur : interview de N.Poirier (Wikio Group)

Nicolas Poirier, responsable juridique Wikio group (Overblog Nomao eBuzzing Wikio) a bien voulu répondre à nos questions suite aux trois arrêts rendus par la Cour de cassation. Ces arrêts concernent la responsabilité des hébergeurs, l’occasion de refaire le point sur le régime actuellement en vigueur.

La Cour de cassation a rendu plusieurs arrêts en matière d'hébergement. Pouvez-vous nous résumer les faits et l'apport de la décision "DailyMotion" ?

Je commencerais plutôt par raconter un souvenir que j'ai d'une audience datant de 2008. Notre société avait été assignée parce que nous avions refusé de retirer un blog d'une personne qui dénonçait des faits dont elle s'estimait la victime, et la partie adverse, plutôt qu'assigner cette personne qui aurait pu défendre avec succès son point de vue à l'audience, avait préféré assigner l'hébergeur, qui forcément, n'avait pas les arguments pour défendre une affaire à laquelle il était étranger. Avant même le début des plaidoiries, le juge était rentré dans la salle d'audience, et en s'asseyant, avait lâché sentencieusement la phrase suivante : "c'est tout de même fou que n'importe qui puisse écrire n'importe quoi sur internet".

Si j'évoque ce souvenir, c'est justement parce que ces 3 arrêts rendus par la plus haute juridiction civile de notre pays viennent rappeler que la LCEN, issue d'une directive européenne, a justement pour vocation de permettre à n'importe qui de s'exprimer sur internet, quitte à en assumer les conséquences.

La décision Dailymotion et la décision Amen viennent rappeler l'importance de la forme de la notification d'abus à l'hébergeur, qui doit impérativement comprendre une notification préalable à l'éditeur même d'un contenu, cela justement pour éviter le contournement de cet éditeur. Ces arrêts confirment la jurisprudence telle qu'elle s'est fixée au cours des 3 dernières années, donc ils ne sont pas surprenants. En revanche, ces arrêts auraient pu êtres catastrophiques pour la liberté d'expression des internautes s'ils avaient aboutis à la condamnation des hébergeurs, qui n'auraient plus pu assumer de laisser à chacun la liberté de s'exprimer librement via leur service.

Enfin, ces arrêts viennent confirmer le droit pour ces services à vivre notamment de la publicité affichée autour des contenus qu'ils hébergent, ce qui sécurise une fois pour toutes ce modèle économique généralisé au web.

Deux autres décisions ont été rendues le même jour. L'une, que vous citez, concerne Amen et l’autre le site FUZZ, un digg-like français (voir l'appel). Ce dernier arrêt semble encore plus intéressant puisqu'il recadre la responsabilité de l'hébergeur. Quelle est votre analyse ?


Cet arrêt est fondamental : il vient confirmer une fois pour toutes que les services dits "Web 2.0", dès lors qu'ils n'ont pas un rôle actif dans la création du contenu et ne font que le mettre à disposition des usagers, ont bien la qualité d'hébergeur. L'arrêt de la Cour de cassation, comme l'avaient fait des Tribunaux de Grande Instance et Cour d'Appel, vient définir ce qu'est un hébergeur, et indiquer (ce que ne faisait pas la LCEN) les critères à partir desquels il aurait également une activité d'éditeur.

Une décision de la Cour de cassation avait été rendue dans l'affaire Tiscali, avec pour conseiller rapporteur Marie Françoise Marais. Elle concluait que la présence de publicité pouvait faire perdre le statut d'hébergeur. Celle-ci est-elle aujourd'hui caduque ?


Cette précédente décision de la Cour de cassation est non seulement caduque, mais surtout, elle venait sanctionner des faits antérieurs à la Loi du 21 Juin 2004, qui est venue apporter la protection nécessaire aux hébergeurs pour assumer des contenus générés par des utilisateurs.

Il est à noter que le conseiller rapporteur pour cette affaire Tiscali, Madame Marie Françoise Marais, était la même qui dans le cadre de l'appel dans l'affaire Estelle Halliday/Altern, avait estimé que dans la mesure où Valentin Lacambre (créateur du service d'hébergement Altern) avait permis aux internautes de s’exprimer, il “excédait manifestement le rôle technique d’un simple transmetteur d’informations“, et devait donc être tenu pour responsable des propos tenus sur les sites web qu’il hébergeait, quand bien même il avait coupé l’accès au site en question. De ce point de vue, on peut raisonnablement estimer que l'arrêt Tiscali n'était que la prolongation de ce raisonnement qui était le sien, et qui ne semble plus être celui de la Cour de cassation depuis qu'elle a décidé de ne plus s’occuper des dossiers touchants au numérique.

À la lumière de ces décisions, pouvez-vous nous dépeindre en quelques mots la différence ou les critères qui permettent aujourd'hui de distinguer le régime de l'hébergeur de celui de l'éditeur ?


Ce sera simple : l'hébergeur est celui qui fournit, gratuitement ou non, un service permettant la mise en ligne et à la disposition du public un contenu, l'éditeur est celui qui rédige/construit un contenu, et décide de le mettre à disposition du public via les services d'un hébergeur.

C'en est tellement simple que l'on peut légitimement regretter qu'il ait fallu autant d'années d'âpres combats judiciaires pour en arriver à cette conclusion !

Merci Nicolas Poirier.

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