Le PS a révélé hier sur son site le contenu de sa saisine du Conseil constitutionnel au regard de la loi LOPPSI 2. Le document, 38 pages, met en cause la constitutionnalité de plusieurs articles du texte de loi. Tous ne visent pas le monde du numérique, mais dans le lot, on retrouve évidemment l’article 4 de la loi fraichement votée.
L’article 4 organise en France le blocage des sites pédopornographiques sur la seule décision d’une autorité administrative. Les auteurs de la saisine y voient deux principaux écueils.
D’un, le dispositif serait « inapproprié (…) au regard de l’objectif poursuivi ». Or, les députés et sénateurs PS soulignent que la contribution carbone avait été sanctionnée par le juge constitutionnel en ce qu’elle comportait des régimes d'exemption totale « contraires à l'objectif de lutte contre le réchauffement climatique » (2009-599 DC du 29 décembre 2009, cons. 82). Dans une autre décision, le juge constitutionnel avait mis en lumière l’exigence constitutionnelle du « bon usage des deniers publics » (2010-624 DC du 20 janvier 2011, cons. 17).
L'étude d'impact de la FFT
Des "bugs" qu'on retrouverait dans l’article 4 : les auteurs rappellent en effet les nombreux rapports qui concluent d’une même voix que ce blocage aura surtout pour effet de rendre davantage complexe la lutte contre la pédopornographie. Le PS cite l’étude d’impact du blocage des sites pédopornographiques qu’avait rédigé la Fédération française des télécoms et des communications électroniques et qui fut révélée dans nos colonnes (voir également ce rapport rédigé par plusieurs juristes, dont Estelle de Marco)
Le document exposait que « les solutions de blocage d’accès aux sites pédopornographiques ne permettent d’empêcher que les accès involontaires à des contenus pédopornographiques disponibles sur le web », et que « les techniques de blocage, sans exception aucune, sont contournables et n’empêcheront pas des utilisateurs malveillants de trouver des parades pour accéder aux contenus illégaux ».
« Le blocage est donc non seulement inadapté, mais il est contre-productif » déduisent les parlementaires PS d’autant que c’est l’État qui devra indemniser les intermédiaires techniques, comme le veut la jurisprudence constitutionnelle.
Un cas d'incompétence négative
Autre reproche : le texte génèrerait un cas d’incompétence négative, en ce sens que la loi confie à l’exécutif ce qu’elle devrait confier au juge.
Les parlementaires PS rappellent ici la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur Hadopi1, qui avait consacré « la liberté d’accéder aux services » en ligne.
« Il n’est bien évidemment pas dans l’intention des requérants de prétendre que l’accès à des sites pédopornographiques relèverait de ladite liberté de communication. En revanche, ils ne sauraient admettre que, faute de garanties suffisantes prévues par le législateur, la liberté de communication via internet subisse des immixtions arbitraires de la part des autorités administratives sous couvert de lutte conte la pédopornographie ».
Or qu’en est-il ici ? D’un, le risque est grand que le blocage d’une page génère celui d’un site dans son intégralité (victime collatérale, surblocage). De deux, c’est l’autorité administrative qui pourra qualifier seule les images « sans qu’aucun contrôle indépendant ne soit prévu quant à la qualification du caractère pornographique des images ou représentations des mineurs en question tel que défini à l'article 227-23 du Code pénal ».
Ce long passage résume le climat généré par cet article 4 : « la possibilité de filtrage ne peut s’analyser en une simple mesure de police administrative dès lors que, comme il ressort clairement des débats devant les deux assemblées, elle implique une appréciation préalable du caractère illicite des images ou représentations en cause, telles qu’elles sont définies à l’article 227-23 du Code pénal. Que l’on songe par exemple à la dernière exposition de Larry Clark qui s’est tenue au Musée d’art moderne de la ville de Paris dont le contenu de certaines photos représentants de jeunes adolescents a donné lieu à une importante polémique. Il est bien évident que selon les sensibilités de chacun, d’aucuns y verront des images manifestement pédopornographiques, là où d'autres n’y verront que le libre exercice d’expression de l’artiste photographe ».
La revente spéculative de billet en ligne
Le texte de la saisine vise également l'interdiction de la revente spéculative de billets d’entrée à « une manifestation sportive, culturelle ou commerciale » sur internet a été elle aussi oubliée. 15 000 € d’amende par infraction attendront donc les personnes qui postent en ligne de telles annonces. Par contre, s’ils les publient sur un journal papier, il n’y aura aucun risque de sanction, traduisant une possible atteinte au principe d’égalité selon les parlementaires socialistes.
Les dispositions oubliées par les auteurs de la saisine
Le texte de la saisine est cependant incomplet et plusieurs articles touchant au numérique ont été totalement mis de côté.
- l’interdiction de l’usurpation d’identité en ligne, plusieurs fois décrite dans nos pages (voir les critiques de l'ASIC), qui risque de provoquer des effets radicaux en matière de réseaux sociaux (le simple fait de taguer une photo pourra être reconnu comme troublant « la tranquillité » d’une personne, avec à la clef une sanction d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.)
- La possibilité d’installer des « mouchards » de la police, même à distance, sur les dispositifs informatiques (« écoute » des frappes au clavier, saisie-écran, etc.). Le texte vise « un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, d’accéder, en tous lieux, à des données informatiques, de les enregistrer, les conserver et les transmettre, telles qu’elles s’affichent sur un écran pour l’utilisateur d’un système de traitement automatisé de données ou telles qu’il les y introduit par saisie de caractères ». Ces opérations seront effectuées sous l’autorité et le contrôle du juge d’instruction.
Le juge constitutionnel aura cependant la possibilité de soulever d’office les cas d’inconstitutionnalité qui n’auraient pas été repérés par les parlementaires. « Le pouvoir d'évocation d'office du Conseil sera fonction de l'ampleur du texte, de ses difficultés techniques, de l'encombrement du rôle, de la gravité des questions éludées par les requérants ou de l'opportunité pédagogique, appréciée souverainement par le Conseil, de relever d'office telle ou telle question. »