Diffamation et injure en ligne, la réponse dégradée de l'Hadopi

Benoit Tabaka dans une note complète, décrit le nouveau régime de responsabilité des forums de discussion introduit par Hadopi. En commentaire d’une récente décision du TGI de Paris, le juriste de Priceminister et de l’ASIC fait un rappel de la situation avant et après la fameuse loi qui n’est pas seulement réservée à la réponse graduée. Et les conclusions ne sont pas fameuses pour la qualité de ce nouveau régime.

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La loi Hadopi 1 a modifié l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la liberté de communication afin de créer un régime de responsabilité aménagé au profit des exploitants de forums de discussion.

Ce nouveau régime était le fruit d’un amendement « surprise » de Jean Dionis du Séjour voté pour définir un nouveau statut de la presse en ligne. Ce statut fut codifié à l’article 27 de la loi Hadopi et nous l’avions examiné notamment lors d’une interview de Lionel Thoumyre, fondateur de Juriscom.

Avant Hadopi

En matière de forum de discussion, avant Hadopi, deux hypothèses avaient été dégagées par les textes et la jurisprudence. Tout dépendait, décrit Benoit Tabaka, si le post était modéré ou non, a priori

- Forum de discussion non modéré a priori : l’exploitant bénéficie du régime de responsabilité aménagée fixé par la LCEN.

Dans ce cadre, l’exploitant du forum n’est responsable des propos postés par un internaute que si, averti d’un message manifestement illicite, il n’a rien fait pour le retirer (article 6.I.3 de la LCEN). On parle de « manifestement illicite », et donc de contenus au caractère illicite flagrant, évident (messages racistes, contenus pédophiles...). Et pas de la diffamation par exemple.

- Forum de discussion modéré a priori : l’exploitant est soumis au droit commun de la responsabilité et même à celui de la responsabilité éditoriale quand il s’agit d’infractions de presse (diffamation et injure).

C’est une responsabilité « immédiate » par le seul fait que des propos sont postés en ligne après une modération. On applique ce système comme si l’éditeur du service publiait son propre contenu. « Le directeur de la publication de ce service, nous expliquait Lionel Thoumyre, est responsable au premier chef du contenu (avant même l’auteur), peu importe qu’il en ait eu ou non connaissance. Il suffit que ce contenu ait été “fixé” préalablement à sa communication au public (art. 93-3 de la loi de 1982) pour engager la responsabilité du directeur de la publication, ce qui est toujours le cas lorsque l’éditeur du service publie des contenus en ligne de sa propre initiative ».

Après Hadopi

C’est une bonne partie de ce régime que le député Jean Dionis du Séjour a voulu « corriger » à sa façon dans son amendement. « L’amendement, déchiffre Benoit Tabaka, tend à 1) créer un statut d'éditeur de presse en ligne et 2) fixer un régime juridique particulier pour les infractions de presse commises dans les "espaces de contributions personnelles »

Cet article modifié par Hadopi, est le suivant.
"Lorsque l'infraction résulte du contenu d'un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, le directeur ou le codirecteur de publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s'il est établi qu'il n'avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message." (art.93-3 al. 5 de la loi de 1982)
Une lecture rapide nous fait croire que le législateur applique aux (co)directeurs de la publication de services internet une responsabilité similaire à celle des hébergeurs. Et donc très "douces".

L'oubli du "manifestement", l'oubli du formalisme

En fait, avec l’Hadopi, on transpose de manière imparfaite le régime de la LCEN. Et s'en suit un régime beaucoup plus strict.

Avec Hadopi, celui qui est responsable d'un forum « sera tenu pour responsable d’un contenu simplement illicite dont il a eu connaissance et qu’il n’a pas retiré. Cela veut dire qu’il devra supprimer des contenus injurieux ou diffamatoires. Et s’il ne le fait pas, le juge le condamnera » nous expliquait encore Lionel Thoumyre. « Donc avec l’Hadopi, c’est la censure sans jugement qui est demandé au directeur de la publication d’un service internet lorsque celui-ci héberge des contributions d’internautes. Ce type de censure n’est pas demandé aux hébergeurs avec la LCEN ».

Tout tient dans l’oubli de l’adverbe « manifestement » de l’amendement Dionis et dans l'absence du formalisme qui aurait pu encadrer ces notifications. Le responsable d’un forum doit ainsi supprimer du contenu illicite même s’il n’est pas « manifestement » illicite. Subtile.

Un nouveau régime beaucoup plus rigoureux

Retour sur la note de Benoit Tabaka qui dessine les rigueurs du régime en vigueur aujourd’hui :

- Forum de discussion non modéré a priori : l’exploitant bénéficie du régime de responsabilité aménagée fixé par la LCEN sauf en matière d'infractions de presse (injure et diffamation) où s'applique le régime du 93-3 dernier alinéa.
- Forum de discussion modéré a priori : l’exploitant est placé sous le régime de droit commun sauf en matière d'infractions de presse (injure et diffamation) où s'applique le régime du 93-3 dernier alinéa.

Donc, lorsqu’il prétend vouloir améliorer le régime de la responsabilité, le député Jean Dionis du Séjour a surtout rendu nettement plus importants les cas de mises en cause.

Trois petites étapes pour actionner la responsabilité

Benoit Tabaka nous décrit ensuite les 3 petites étapes nécessaires à une condamnation du responsable d’un forum (ou d’une zone de commentaires ouverte)
  1. - la présence d'un message sur un forum de discussion
  2. - le fait que ce message soit constitutif d'une infraction de presse
  3. - le fait que l'exploitant du forum ait eu connaissance du message avant sa mise en ligne ou n'a pas agi promptement pour procéder à son retrait.
C’est tout. « Si on tente un nouveau résumé de l'article 93-3, cela donnerait ceci : un blogueur ou un administrateur d'un forum de discussion sera responsable - en premier lieu - d'une infraction de presse 1) s'il procède à une modération a priori ou 2) s'il a été averti de la présence d'un tel contenu et n'a pas procédé à son prompt retrait ».

Application rétroactive d'une loi pénale... faussement plus douce

Problème, la jurisprudence n’a pas percuté toute la finesse de ce dispositif. Elle estime que le nouveau régime est plus « doux » que l’ancien.

tribunal LCEN notification HADOPI

Par principe constitutionnelle, elle l’applique du coup même pour les faits antérieurs à la loi Hadopi, contrairement au principe qui veut que les lois de sanction ne valent que pour l’avenir.

La faute, sans doute, à l’exposé des motifs inscrit dans l’amendement Dionis : « il est proposé de prévoir que les contributions des internautes donnent lieu à un régime de responsabilité atténuée, quel que soit le type de modération adopté, et qu’elles n’engagent pas la responsabilité du directeur de publication à titre principal, sauf s’il avait effectivement connaissance du contenu mis à la disposition du public. » En fait de « responsabilité atténuée », c’est un régime nettement plus nerveux !

L'éditeur d'un forum responsable des diffamations émises par un tiers

Benoit Tabaka cite ainsi une décision rendue par le Tribunal de grande instance de Paris le 15 septembre 2010. Les faits étaient simples, et la solution rugueuse. Le plaignant reproche le contenu de plusieurs messages postés dans un forum, dont certains de son fait.

Les juges relèvent dans leur décision que le directeur de la publication intervenait dans le forum, mais n’était pas l’auteur de tous les messages contestés par le plaignant. Toutefois, l'intéressé a participé à des discussions « enflammées ». Les juges en ont donc fait une déduction rapide, facile : le directeur de la publication « avait une parfaite connaissance des messages en cause dont il approuvait la tonalité et suscité la mise en ligne. »

Du coup, le TGI de Paris, appliquant l’amendement Dionis a estimé que « la responsabilité de Monsieur X sera retenue (…) en sa qualité de directeur de publication (…) du forum de discussion pour tous les messages signés [par lui], en sa qualité de producteur du forum de discussion pour les autres messages en cause ».

Conclusion de Benoit Tabaka : "Ce nouveau régime de responsabilité pour les espaces contributifs n'est pas neutre. Les infractions de presse font partie d'une des matières juridiques les plus délicates et l'appréciation du caractère diffamatoire d'un contenu dépendra de plusieurs éléments : la bonne foi de l'auteur, l'exception de vérité, mais également de la prescription desdits propos. Rappelons notamment qu'affirmer qu'une personne est un "escroc" ou un "voleur" peut relever de la diffamation. Prudence donc".

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