Alors qu’Hadopi prépare sa conférence de presse pour expliquer la première vague de mail d’avertissement, d’autres chantiers ont lieu dans les coulisses : celui du filtrage. Tout le travail d'Hadopi est maintenant de soigner l'image de ces restrictions pour en faciliter leur adoption. Analyse.
Dans une interview accordée à Électron Libre, le secrétaire général, Éric Walter a juré qu’Hadopi n’était pas le premier étage d’une fusée avant un filtrage généralisé du net. « Je ne crois pas du tout à ce scénario, d’autant que le filtrage existe déjà. Sur les postes clients, sans parler de la question particulière de la pédophilie, le pare-feu, le contrôle parental sont des filtres ! Sur les réseaux on parle d’une tout autre dimension et certains sont d’ores et déjà, et pour différentes raisons, filtrés ». L’affirmation est immédiatement relativisée : « Cela dit, je ne crois pas à l’accélération des technologies de filtrage qui seraient dangereuses pour les libertés individuelles ».
En clair : pas de filtrage généralisé, le filtrage existe déjà partout et le filtrage n’est pas dangereux pour les libertés. Un glissement séduisant qui montre comment opèrent ces stratèges de la communication. Problème : cette fusée est déjà conçue, planifiée, imposée par Nicolas Sarkozy, celui-là même qui soulignait par exemple en janvier 2010 : « indépendamment des avertissements, la Haute autorité devra concevoir en permanence les solutions les plus modernes pour protéger les œuvres. Mieux on pourra dépolluer automatiquement les réseaux et les serveurs de toutes les sources de piratage, moins il sera nécessaire de recourir à des mesures pesant sur les internautes. Il faut donc expérimenter sans délai les dispositifs de filtrage. »
Mais Walter le jure encore et toujours : « Nous, Hadopi, avons la mission d’évaluer les méthodes de filtrage, et je réfute l’idée selon laquelle les résultats de ces évaluations seraient déjà connus. Nous ne sommes pas en train d’écrire la fin du scénario. Ce serait mentir, ce serait aussi remettre en question la sagesse des membres du collège Hadopi ».
Les sages d'Hadopi
La sagesse ? Parmi les « sages », signalons la présence de Jacques Toubon. Cet ancien ministre avait combattu les amendements imposant l'intervention judiciaire avant la coupure en faisant croire qu'ils « empêchent les sanctions effectives contre la pédopornographie en ligne au nom de la liberté d’expression et de l’information ». Une autre des sages, Marie Françoise Marais, est magistrate à la Cour de Cassation. Elle a défendu en tant que rapporteur, de nombreux arrêts facilitant la responsabilité des intermédiaires ou réduisant le périmètre de la copie privée ; Franck Riester fut le fidèle rapporteur du projet de loi Hadopi à l’Assemblée nationale (voir cette vidéo de iTélé). Jean Berbineau, lui, a déjà fait état de son intérêt pour le filtrage par Deep Packet Inspection. Des sages...
À la lecture des propos d'Eric Walter, il ne fait aucun doute que la nouvelle stratégie d’Hadopi sera de faire domestiquer le filtrage par les internautes, le présenter sous son meilleur angle. Une approche cosmétique, esthétique, mais aussi associative : « nous pratiquons le dialogue et l’ouverture. Ce n’est pas pour nous asseoir les arguments avancés dans ce cadre. Donc ce filtrage généralisé du net tel qu’il est présenté non, mais l’analyse sous toutes ses composantes lorsque l’on parle de circulation d’oeuvres, oui. Encore faudra-t-il préciser si l’on parle de filtrage protocolaire, de filtrage de contenus, etc. » Des broutilles.
Les labs, cellules d'inoculation
Le triptyque dialogue, échanges et ouverture pour préparer une mise à pied du net, il faut le faire. Les « labs », petites cellules de discussions que compte monter la Hadopi, sont instrumentalisées, taillées dans cette unique optique : « la méthodologie que l’on met en place c’est le contre-exemple parfait des arguments de nos contradicteurs. Nous allons ouvrir les Labs Hadopi, et on verra alors si nous sommes dans le vrai. Je n’ai pas peur d’évaluer, on ne va pas vers le zéro filtrage, mais il faut se poser les bonnes questions pour parler sérieusement : qu’est ce qu’on filtre, qui filtre, et comment on filtre. Nous verrons qui viendra en parler avec nous. La porte est ouverte ». Moi, Hadopi, on ne peut m'accuser de pratiquer le filtrage, puisque je m'appuie sur l'ouverture.
Filtrage/ouverture, blocage/dialogue. Tout est donc dans l'opposition, des instruments parfaits pour disqualifier ceux qui critiquent ces mesures.
Contaminer les blogueurs
La technique employée ici est exactement celle des accords de l’Élysée qui précédèrent la loi Hadopi : inviter tout le monde autour de la table et noyer les mesures préécrites sous un consensus de façade.
Autre avantage : avec cette proximité au sein des « labs », il sera simple de persuader et contaminer les blogueurs plus ou moins influents dans le secteur des nouvelles technologies. Hadopi les impliquera, les anesthésiera sous une pseudo-coresponsabilité pour faire accepter l’inacceptable. Ce n'est pas pour rien qu'Eric Walter multiplie depuis des semaines des rendez-vous informels en tête à tête avec certains d'entre eux, armé de la directrice de la stratégie de communication d'Hadopi.
Voilà pour la scène.
Dans les coulisses de cette pièce, l’approche est tout aussi astucieuse.
En coulisse, habiller le filtrage sous l'apparence de la sécurisation
La Hadopi a confié une mission sur le filtrage à Michel Riguidel, enseignant chercheur travaillant sur le Deep Packet Inspection et qui a déposé un brevet en la matière avec celui qui fut l’ancien conseiller NTIC de Christine Albanel à l’époque des accords de l’Élysée, justement.
La SCPP (les producteurs de musiques français) a déjà fait des tests de filtrage en Allemagne par Deep Packet Inspection, avec une autre société française, Védicis. Mieux : Marc Guez, président de la SCPP, nous a récemment confié que ce dispositif de filtrage sera présenté à Hadopi. L’enjeu sera d’habiller le dispositif comme l’un des moyens de sécurisation labélisés par l’Hadopi.
Faire croire à l'abonné filtré qu'il sera sécurisé
Un rappel : Hadopi s’en prend non au « pirate » mais à l’abonné qui n’a su empêcher que des contrefaçons soient constatées via son accès Internet. On parle d’obligation de sécurisation. Ne pas utiliser de moyens de sécurisation, c’est risquer la sanction (1500 euros d’amende et 1 mois de suspension).
On ne sait quels sont ces moyens de sécurisation, il n’y a pas de liste et tout peut être sécurisation même des actions stupides. Toutefois, la Hadopi va attribuer des labels à certains de ces moyens, via des critères particuliers. Et c'est Michel Riguidel qui va plancher sur cette question et qui doit rendre sa copie fin octobre. Mireille Imbert Quaretta, présidente de la Commission de la Protection des Droits de la Hadopi expliqua sur ce point que « lorsque l’internaute aura installé un système labellisé, son cas sera examiné avec une attention bienveillante ». Il y aura donc une hiérarchisation des moyens de sécurisation.
Donc si sur le devant de la scène, la stratégie est d’impliquer des blogueurs du net dans le filtrage, jouer sur l'ouverture, le dialogue, la proximité, en coulisse, l’autre stratagème sera de faire croire à l’abonné filtré qu’il sera sécurisé grâce au filtrage.
Favoriser l'adoption volontaire du filtrage
Dans l'interview publiée voilà peu sur PC INpact, Marc Guez le dit sans détour : « on va favoriser l’adoption volontaire de ce système, par les FAI à la demande de leurs clients. (…) C’est le meilleur moyen de valider le dispositif. Cela permet de le tester, l’améliorer, voir les problèmes. » C'est donc l'abonné qui va demander le filtrage au FAI. Cela ne sera pas simple, mais pas impossible. Une fois le filtrage par DPI acté rue du Texel, les communicants devront orienter les discours commerciaux en s'appuyant par exemple sur la peur : la sanction pénale, les virus sur les réseaux P2P...
...ou les fichiers pornographiques cachés dans les dessins animés...
Autant de leviers qui permettront d'inciter l’abonné à accepter le filtrage. Ou mieux : c'est l'abonné qui, chauffé à blanc, réclamera le filtrage, acceptera un sacrifice de liberté pour étouffer un sentiment d’insécurité factice.
Monnayer le P2P sécurisé à coup de DPI
Dans d’autres sphères, finalement guère éloignées, des acteurs comme Orange travaillent sur des projets pour faire fructifier le P2P sécurisé. Le projet P2PIma@ges, par exemple, s’appuie sur la « distribution de contenus audiovisuels légaux sur une architecture de réseau P2P contrôlée et sécurisée ». Le projet chante les louanges de « l’utilisation de DPI (Deep Packet Inspection) », qui permet de « détecter les flux au niveau applicatif et favoriser le transport P2P vidéo et déprioriser les autres flux (approche intrusive) en cas de congestion réseau ». Fait piquant, l'entreprise TMG fut l'un des acteurs du système P2Pim@ages d’Orange dès 2007. Elle est aujourd’hui la société qui fournit des trains d’IP à l’Hadopi, à charge pour cette dernière de les identifier et de menacer les abonnés. Astucieux, non ?
Dans une interview accordée à Électron Libre, le secrétaire général, Éric Walter a juré qu’Hadopi n’était pas le premier étage d’une fusée avant un filtrage généralisé du net. « Je ne crois pas du tout à ce scénario, d’autant que le filtrage existe déjà. Sur les postes clients, sans parler de la question particulière de la pédophilie, le pare-feu, le contrôle parental sont des filtres ! Sur les réseaux on parle d’une tout autre dimension et certains sont d’ores et déjà, et pour différentes raisons, filtrés ». L’affirmation est immédiatement relativisée : « Cela dit, je ne crois pas à l’accélération des technologies de filtrage qui seraient dangereuses pour les libertés individuelles ».
En clair : pas de filtrage généralisé, le filtrage existe déjà partout et le filtrage n’est pas dangereux pour les libertés. Un glissement séduisant qui montre comment opèrent ces stratèges de la communication. Problème : cette fusée est déjà conçue, planifiée, imposée par Nicolas Sarkozy, celui-là même qui soulignait par exemple en janvier 2010 : « indépendamment des avertissements, la Haute autorité devra concevoir en permanence les solutions les plus modernes pour protéger les œuvres. Mieux on pourra dépolluer automatiquement les réseaux et les serveurs de toutes les sources de piratage, moins il sera nécessaire de recourir à des mesures pesant sur les internautes. Il faut donc expérimenter sans délai les dispositifs de filtrage. »
Mais Walter le jure encore et toujours : « Nous, Hadopi, avons la mission d’évaluer les méthodes de filtrage, et je réfute l’idée selon laquelle les résultats de ces évaluations seraient déjà connus. Nous ne sommes pas en train d’écrire la fin du scénario. Ce serait mentir, ce serait aussi remettre en question la sagesse des membres du collège Hadopi ».
Les sages d'Hadopi
La sagesse ? Parmi les « sages », signalons la présence de Jacques Toubon. Cet ancien ministre avait combattu les amendements imposant l'intervention judiciaire avant la coupure en faisant croire qu'ils « empêchent les sanctions effectives contre la pédopornographie en ligne au nom de la liberté d’expression et de l’information ». Une autre des sages, Marie Françoise Marais, est magistrate à la Cour de Cassation. Elle a défendu en tant que rapporteur, de nombreux arrêts facilitant la responsabilité des intermédiaires ou réduisant le périmètre de la copie privée ; Franck Riester fut le fidèle rapporteur du projet de loi Hadopi à l’Assemblée nationale (voir cette vidéo de iTélé). Jean Berbineau, lui, a déjà fait état de son intérêt pour le filtrage par Deep Packet Inspection. Des sages...
Jean Berbinau au 1er plan
Pascal Nègre, derrière
Habituer l'internaute au filtrage Pascal Nègre, derrière
À la lecture des propos d'Eric Walter, il ne fait aucun doute que la nouvelle stratégie d’Hadopi sera de faire domestiquer le filtrage par les internautes, le présenter sous son meilleur angle. Une approche cosmétique, esthétique, mais aussi associative : « nous pratiquons le dialogue et l’ouverture. Ce n’est pas pour nous asseoir les arguments avancés dans ce cadre. Donc ce filtrage généralisé du net tel qu’il est présenté non, mais l’analyse sous toutes ses composantes lorsque l’on parle de circulation d’oeuvres, oui. Encore faudra-t-il préciser si l’on parle de filtrage protocolaire, de filtrage de contenus, etc. » Des broutilles.
Les labs, cellules d'inoculation
Le triptyque dialogue, échanges et ouverture pour préparer une mise à pied du net, il faut le faire. Les « labs », petites cellules de discussions que compte monter la Hadopi, sont instrumentalisées, taillées dans cette unique optique : « la méthodologie que l’on met en place c’est le contre-exemple parfait des arguments de nos contradicteurs. Nous allons ouvrir les Labs Hadopi, et on verra alors si nous sommes dans le vrai. Je n’ai pas peur d’évaluer, on ne va pas vers le zéro filtrage, mais il faut se poser les bonnes questions pour parler sérieusement : qu’est ce qu’on filtre, qui filtre, et comment on filtre. Nous verrons qui viendra en parler avec nous. La porte est ouverte ». Moi, Hadopi, on ne peut m'accuser de pratiquer le filtrage, puisque je m'appuie sur l'ouverture.
Filtrage/ouverture, blocage/dialogue. Tout est donc dans l'opposition, des instruments parfaits pour disqualifier ceux qui critiquent ces mesures.
Contaminer les blogueurs
La technique employée ici est exactement celle des accords de l’Élysée qui précédèrent la loi Hadopi : inviter tout le monde autour de la table et noyer les mesures préécrites sous un consensus de façade.
Autre avantage : avec cette proximité au sein des « labs », il sera simple de persuader et contaminer les blogueurs plus ou moins influents dans le secteur des nouvelles technologies. Hadopi les impliquera, les anesthésiera sous une pseudo-coresponsabilité pour faire accepter l’inacceptable. Ce n'est pas pour rien qu'Eric Walter multiplie depuis des semaines des rendez-vous informels en tête à tête avec certains d'entre eux, armé de la directrice de la stratégie de communication d'Hadopi.
Voilà pour la scène.
Dans les coulisses de cette pièce, l’approche est tout aussi astucieuse.
En coulisse, habiller le filtrage sous l'apparence de la sécurisation
La Hadopi a confié une mission sur le filtrage à Michel Riguidel, enseignant chercheur travaillant sur le Deep Packet Inspection et qui a déposé un brevet en la matière avec celui qui fut l’ancien conseiller NTIC de Christine Albanel à l’époque des accords de l’Élysée, justement.
La SCPP (les producteurs de musiques français) a déjà fait des tests de filtrage en Allemagne par Deep Packet Inspection, avec une autre société française, Védicis. Mieux : Marc Guez, président de la SCPP, nous a récemment confié que ce dispositif de filtrage sera présenté à Hadopi. L’enjeu sera d’habiller le dispositif comme l’un des moyens de sécurisation labélisés par l’Hadopi.
Faire croire à l'abonné filtré qu'il sera sécurisé
Un rappel : Hadopi s’en prend non au « pirate » mais à l’abonné qui n’a su empêcher que des contrefaçons soient constatées via son accès Internet. On parle d’obligation de sécurisation. Ne pas utiliser de moyens de sécurisation, c’est risquer la sanction (1500 euros d’amende et 1 mois de suspension).
On ne sait quels sont ces moyens de sécurisation, il n’y a pas de liste et tout peut être sécurisation même des actions stupides. Toutefois, la Hadopi va attribuer des labels à certains de ces moyens, via des critères particuliers. Et c'est Michel Riguidel qui va plancher sur cette question et qui doit rendre sa copie fin octobre. Mireille Imbert Quaretta, présidente de la Commission de la Protection des Droits de la Hadopi expliqua sur ce point que « lorsque l’internaute aura installé un système labellisé, son cas sera examiné avec une attention bienveillante ». Il y aura donc une hiérarchisation des moyens de sécurisation.
Donc si sur le devant de la scène, la stratégie est d’impliquer des blogueurs du net dans le filtrage, jouer sur l'ouverture, le dialogue, la proximité, en coulisse, l’autre stratagème sera de faire croire à l’abonné filtré qu’il sera sécurisé grâce au filtrage.
Favoriser l'adoption volontaire du filtrage
Dans l'interview publiée voilà peu sur PC INpact, Marc Guez le dit sans détour : « on va favoriser l’adoption volontaire de ce système, par les FAI à la demande de leurs clients. (…) C’est le meilleur moyen de valider le dispositif. Cela permet de le tester, l’améliorer, voir les problèmes. » C'est donc l'abonné qui va demander le filtrage au FAI. Cela ne sera pas simple, mais pas impossible. Une fois le filtrage par DPI acté rue du Texel, les communicants devront orienter les discours commerciaux en s'appuyant par exemple sur la peur : la sanction pénale, les virus sur les réseaux P2P...
...ou les fichiers pornographiques cachés dans les dessins animés...
Autant de leviers qui permettront d'inciter l’abonné à accepter le filtrage. Ou mieux : c'est l'abonné qui, chauffé à blanc, réclamera le filtrage, acceptera un sacrifice de liberté pour étouffer un sentiment d’insécurité factice.
Document présenté à Bruxelles par l'industrie française de la musique
et relatif au filtrage. Voir spécialement le 3eme point.
et relatif au filtrage. Voir spécialement le 3eme point.
Monnayer le P2P sécurisé à coup de DPI
Dans d’autres sphères, finalement guère éloignées, des acteurs comme Orange travaillent sur des projets pour faire fructifier le P2P sécurisé. Le projet P2PIma@ges, par exemple, s’appuie sur la « distribution de contenus audiovisuels légaux sur une architecture de réseau P2P contrôlée et sécurisée ». Le projet chante les louanges de « l’utilisation de DPI (Deep Packet Inspection) », qui permet de « détecter les flux au niveau applicatif et favoriser le transport P2P vidéo et déprioriser les autres flux (approche intrusive) en cas de congestion réseau ». Fait piquant, l'entreprise TMG fut l'un des acteurs du système P2Pim@ages d’Orange dès 2007. Elle est aujourd’hui la société qui fournit des trains d’IP à l’Hadopi, à charge pour cette dernière de les identifier et de menacer les abonnés. Astucieux, non ?