Hadopi, la peur et l’alphabétisation des parasites resquilleurs

Olivier Bomsel est un professeur d'économie et chercheur au Centre d'économie industrielle de l'École des Mines, qui fut l’un des quatre membres de la mission Olivennes où dès septembre 2007, furent tracées les fondations de la future loi Hadopi.

Lors d’une conférence organisée à l’Assemblée nationale en 2009, l’intéressé était intervenu entre Patrice Geoffron et Franck Riester. Ce dernier, on le sait, fut député-rapporteur d’Hadopi. Le premier, coauteur de l’étude (contestée) sur les effets du piratage sur l’emploi, qui servit ensuite de caution économique à Marielle Gallo dans la défense de son rapport européen pro-ACTA.

aromates colloque piratage
(Programme de la conférence Aromates de 2009)

Durant cette conférence, Bomsel expliqua que « l’accord de l’Élysée [acte de naissance d’Hadopi] a eu essentiellement pour objet de trouver le moyen d’élever pour le consommateur le prix du piratage ou la désutilité du piratage. Comment rendre le piratage moins confortable pour le consommateur. »

En tant que membre de la mission Olivennes, ses explications sont toujours riches d’enseignements. D’ailleurs, côté FAI, la thèse de cet économiste fut alors simple : « Le mérite de ce dispositif est d’élever à la marge le coût du piratage pour le consommateur - qui anticipe éventuellement de pouvoir être suspendu - et il transfert ce coût au FAI qui va devoir gérer la suspension des abonnements, le cas échéant. Il fait donc apparaitre le coût d’application de la propriété pour ce qu’il est, et supporté par les acteurs économiques. Résultats des courses, cela va être que très vraisemblablement les FAI qui vont subir des coûts pour suspendre leurs consommateurs vont vouloir mettre en place des solutions de filtrage, qui tendanciellement, vont permettre d’abaisser les coûts d’application de la propriété… »

Si l’on compile : le risque de suspension va conduire le consommateur tout naturellement vers l’offre légale. Le FAI, lui, va subir des coûts tellement importants dans la mise en place de la coupure d’accès qu’en acteur sensé, il décidera de mettre le cap vers un système de filtrage. Près de trois ans plus tard, le ministère de la Culture rechigne encore et toujours à rembourser les frais supportés par les intermédiaires techniques du fait d’Hadopi. Le filtrage se prépare dans les coulisses de la Haute Autorité. Et certains FAI anticipent des coûts liés à la prévention de contenus illicites.

olivier bomsel télérama

On retrouve Bomsel dans le dernier Télérama de la semaine (p.16 et s.) qui a consacré un dossier sur l’innovation. Au fil des lignes, l’ex-membre de la mission Olivennes revient sur Hadopi : « L’innovation c’est qu’Hadopi introduit une forte probabilité d’amende, ou au moins d’embarras pour le contrevenant. Mais la question, ce n’est pas de savoir si les gens vont souscrire à ce concept, mais plutôt, dans les faits : Hadopi va-t-elle faire peur ? ». Pour l’économiste, la réponse du public à cette question « va introduire une nouvelle norme sociale. Quelque chose va se dessiner, c’est évident, et faire sens. » 

"La phase d’alphabétisation touche à sa fin"

L’échange gratuit étant tellement entré dans les mœurs, cette évidence n’est-elle pas tardive ? Bomsel décrit alors deux phases : dans une première, qui fut celle précédant HADOPI et son application, les pouvoirs publics ont considéré que « l'alphabétisation [à l’univers numérique, ndla] était une priorité absolue, et tant pis si les gens piquaient de la musique, des séries télés ou des livres ». Un « choix » qui a « largement profité » aux opérateurs télécoms. Mais aujourd’hui, nous sommes à l’aube d’une nouvelle période : « Avec Hadopi, et beaucoup d’autres dispositifs dans le monde, on assiste à la restauration du droit des auteurs et des producteurs. La phase d’alphabétisation touchant à sa fin, on remet du bon sens, on remet du droit. En vérité, on revient aux fondamentaux du droit économique de cette institution qu’est la propriété. Et à cette idée qu’il ne peut y avoir d’économie s’il n’y a pas de propriété. » Cela tombe bien, Hadopi prévoit d'inculquer les bonnes bases du droit d'auteur aux plus jeunes (*).

"Des parasites resquilleurs"

Dans ce processus en deux étapes, il y aura du déchet : la génération des plus jeunes, habitués à échanger librement. Cette génération « sera difficile à convertir. Mais une nouvelle va apparaître, qui aura grandi dans un autre environnement : post-alphabétisation. Elle aura aussi envie de se démarquer de la génération d’avant, qu’elle considérera comme des parasites resquilleurs. »

L'impatience des producteurs

Aujourd'hui la transition tarde entre les parasites resquilleurs analphabètes et la future génération bien droite dans ses bottes et armée d’une carte bleue. A l'AFP David El Sayegh, le directeur général du Syndicat national de l'édition phonographique (Snep) fait part de son impatience : « Il est évident que cet effet psychologique initial d'Hadopi ne va pas durer si les internautes qui téléchargeaient retrouvent un sentiment d'impunité », prévient-il. Difficile en effet d’avoir une loi qui fasse peur lorsque les décrets d’application tardent à faire trembler ces générations élevées au .Torrent.

Faire de chaque internaute son propre Big Brother

Entre les plans du rectorat (Hadopi) et la pratique dans des écoles primaires (alphabétisation), il y a parfois un fossé. Tous ces acteurs sont persuadés que cette stratégie de la peur va fonctionner, mais oublie certains fondamentaux rappelés encore récemment par notre confrère Jean March Manach : « le fait que l’Hadopi veut faire de tout un chacun son propre petit Big Brother, contraignant les internautes à “surveiller” ce qui est fait de et sur leur ordinateur. Cela peut se faire un mécanisme prévu par le droit civil français: le renversement de la charge de la preuve. Ce sont les accusés qui ont à prouver leur innocence. Dans ce que prévoit l’Hadopi, chaque internaute devra, s’il veut prouver son innocence, installer un mouchard pour surveiller l’activité de son ordinateur. C’est le même principe que pour la vidéo-surveillance (pardon… “protection”): vous n’avez rien à craindre si vous n’avez rien à vous reprocher. Les individus fichés par le biais d’un traitement de données informatisées seront quant à eux considérés comme suspects jusqu’à ce qu’ils aient fait la preuve du contraire. »

Les grilles de la cour de récré

Le récent fiasco d’Orange avec son logiciel de sécurisation bloquant les applications P2P s'inscrit dans une longue liste de couacs autour d'Hadopi.  Fait piquant : le retrait du verrou des grilles de la cour de récré fait suite à une petite leçon d’alphabétisation inculquée par tous les resquilleurs-parasites-dans-un-garage...


(*) extraits d'Hadopi 1 :
« Dans le cadre de ces enseignements, les élèves reçoivent une information sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d'oeuvres ou d'objets protégés par un droit d'auteur ou un droit voisin pour la création artistique. »
« Dans ce cadre, notamment à l'occasion de la préparation du brevet informatique et internet des collégiens, ils reçoivent de la part d'enseignants préalablement sensibilisés sur le sujet une information sur les risques liés aux usages des services de communication au public en ligne, sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d'oeuvres ou d'objets protégés par un droit d'auteur ou un droit voisin pour la création artistique, ainsi que sur les sanctions encourues en cas de manquement à l'obligation définie à l'article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle et de délit de contrefaçon. Cette information porte également sur l'existence d'une offre légale d'oeuvres ou d'objets protégés par un droit d'auteur ou un droit voisin sur les services de communication au public en ligne. »

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