Hadopi : le débat sur la sécurisation est « un peu hypocrite »

Pouvoir faire partir les mails d’avertissement sans labéliser des moyens de sécurisation est ce joli paradoxe auquel a pu arriver la Hadopi, après la censure du Conseil constitutionnel.

Interrogé sur ce découplage par L’Expansion, Éric Walter se veut à la fois historien et critique : « ce débat est un peu hypocrite: l'obligation de sécurisation date de la loi Dadvsi » précise-t-il, expliquant ensuite qu’il existe quantité de solutions pour sécuriser son accès (« logiciels de contrôle parental, pare-feu, clés WEP pour les accès Wi-Fi » - nous y reviendrons).

marais walter toubon

C'est là une excellente occasion pour remonter aux racines de l'obligation de sécurisation dont Walter juge le débat « hypocrite ». Comment est arrivée cette obligation de sécurisation en France ?

Le secrétaire général de l’HADOPI la fait remonter à la DADVSI. C’est vrai. Outre la pénalisation du contournement des DRM, la loi de 2006 prévoyait alors que :
Art. L. 335-12. - Le titulaire d'un accès à des services de communication au public en ligne doit veiller à ce que cet accès ne soit pas utilisé à des fins de reproduction ou de représentation d'œuvres de l'esprit sans l'autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II, lorsqu'elle est requise, en mettant en œuvre les moyens de sécurisation qui lui sont proposés par le fournisseur de cet accès en application du premier alinéa du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. »
C’était alors un article pour rien, pour la forme, pour du beurre, puisqu’aucune sanction n’était attachée à la violation de ce défaut de sécurisation. Mais replongeons-nous justement dans la DADVSI et ses passionnants débats, pour pister les sources de cette obligation.

amendement DADVSI sécurisation hadopi

L’obligation de sécurisation n’était pas dans la version introduite ou discutée à l’Assemblée nationale. Elle est arrivée tout simplement lors de la séance du 10 mai 2006, au Sénat par le biais d’un article additionnel.

C'est l’amendement 103 qui s'est chargé de cette introduction. Le texte fut cosigné des sénateurs UMP Dufaut et Longuet celui-ci étant, excusez du peu, président du groupe UMP au Palais du Luxembourg. Ces deux sénateurs proposent ainsi ces quelques lignes de texte
« Art. L. ... - Le titulaire d'un accès à des services de communication au public en ligne doit veiller à ce que cet accès ne soit pas utilisé à des fins de reproduction ou de représentation d'oeuvres de l'esprit sans l'autorisation des titulaires des droits prévus aux livres I et II, lorsqu'elle est requise, en mettant en oeuvre les moyens de sécurisation qui lui sont proposés par le fournisseur de cet accès. »
Voilà toutes les motivations apportées en séance :
« Nous avons été nombreux, dans la discussion générale, à nous interroger sur la fiabilité des contrôles et sur l'effectivité des sanctions. Cet amendement n° 103 vise à répondre pour partie au souci d'effectivité de la sanction, souci qui a également été évoqué tout à l'heure par M. le ministre, en limitant les procédures judiciaires sans fin ».
« Limiter les procédures judiciaires sans fin » ne vous rappelle rien ? Tous les efforts d’HADOPI 1 pour repousser l’intervention du juge dans la coupure d’accès…

Continuons…
« En effet, afin de rendre applicables les sanctions contraventionnelles, il paraît nécessaire de responsabiliser davantage le titulaire de l'abonnement. Cette responsabilisation éviterait d'alourdir la procédure, avec des enquêtes parfois intrusives pour identifier l'utilisateur premier responsable, utilisateur qui peut bien évidemment être un tiers ».
« Éviter d’alourdir la procédure », toujours ce point commun avec la philosophie Hadopienne qui veut éviter des perquisitions, coûteuses en temps, hasardeuses dans ses résultats et parfois très médiatisées. Une plaie. D'ailleurs, Dufaut reprendra ces arguments dans sa seule intervention au Sénat en 2008 pour Hadopi 2 où il défendera encore bec et ongles ce projet de loi à l'aide des chiffres du SNEP.

Poursuivons la lecture de son passage durant l'examen du projet de loi DADVSI :
« L'abonné devrait notamment s'assurer que son abonnement n'est pas utilisé à des fins de partage illicite, en utilisant les outils de sécurisation proposés par les fournisseurs d'accès à Internet ».
Les « outils de sécurisation », et la boucle est bouclée : les abonnés doivent maitriser leur abonnement et la technologie qui l’entoure, les FAI sont mis dans la boucle et tenus dans un avenir proche de fournir ces fameux logiciels qui évitent le «partage illicite », sans que soient exactement définis ces « outils » magiques.

Le président du Sénat demandera les avis des uns des autres : le ministre de la Culture d’alors, Renaud Donnedieu de Vabres, sera favorable. Tout comme Michel Thiollière, rapporteur du texte, devenu depuis membre de la HADOPI (au passage, il ne démissionnera finalement pas, malgré son retrait du Sénat).

Fait symptomatique, toujours en 2009, Alain Dufaut tenta aussi de faire naitre une juridiction spécialisée en matière de DPI, mais l’amendement fut retiré... L’idée fut cependant resservie avec HADOPI, avec plus de succès.

hadopi logo rue texel

En clair : sur l’obligation de sécurisation, toute la tâche des parlementaires HADOPI fut alors de finir le petit travail organisé avec DADVSI. Cette fameuse obligation de sécurisation, que les parlementaires greffaient à une proposition de l’industrie du cinéma, présentée en 2005, la riposte graduée. La stratégie aura été d’opérer par étape. Une version juridique de l’allégorie de la grenouille où l’on commence par un texte à blanc (DADVSI), avant de placer dans les tuyaux législatifs une bonne grosse cartouche (Hadopi 2), après un premier coup de tromblon raté (Hadopi 1). 

Une stratégie payante : les débats sur les moyens de sécurisation furent inexistants durant la DADVSI : seulement quelques minutes le 10 mai 2006, un grand désintérêt lié à l'absence de sanction. Et ces mêmes débats furent stériles avec HADOPI 1 puis HADOPI 2 puisque jamais les parlementaires, mêmes futurs membres de l'Autorité, ou le ministère de la Culture n'ont voulu nous dire ce qu'étaient ces moyens.

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