Un rapport dénonce les coûts tordus des sociétés d’ayants droit

La 7e édition du rapport annuel de la Cour des comptes sur les sociétés de gestion collective a été publiée voilà quelques jours(*). Manque de chance pour la SACEM et autres SCPP & co, le rapport est calamiteux et met en lumière plusieurs points noirs dans leur mode de fonctionnement, tant pour la politique de rémunération que pour les frais de gestion de ces organismes.

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Le siège (fleuri) de la Sacem à Neuilly-sur-Seine

Le hic est que plus ces postes budgétaires gonflent, moins importante est la rémunération qui tombe dans les poches des artistes, pourtant au plus mal si l’on en croit les débats HADOPI.

Signé de la Commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits, ce rapport est « la synthèse des vérifications opérées au cours de l’année écoulée et des recommandations qu’elles lui ont inspirées ». En clair, un examen approfondi des rouages des sociétés chargées de collecter les droits des titulaires et de les répartir. Avec des perceptions qui ont atteint 1,2 milliard d’euros en 2008, glanés par 26 organismes (SACEM, SCPP, etc.) on comprend la sensibilité du sujet.

Cette année, ce sont les flux financiers entre les sociétés de perception qui sont examinés à la loupe par la Commission de contrôle. Mais ce n’est pas tout : la politique de rémunération est l’autre grand pan de ce rapport : « les charges de personnel constituent une part majeure des frais de structure qui s’imputent sur les ressources en gestion collective. Elles méritent d’autant plus d’attention que les perceptions subissent une tendance moins expansive » note la Commission.

Le miel et les abeilles

C’est peu de le dire cette année encore, la gestion collective est caractérisée en France par une organisation des plus complexes : c’est la présence de sociétés intermédiaires « qui regroupent elles-mêmes d’autres sociétés ».

Résultat des courses ? Cet amas de sociétés organisées en poupée russe ou en étages, génère des frais de gestion galopants. Dans cette usine à gaz, chaque société facture ses services à une autre société, ce qui a le mérite de gonfler la note au final. Et le malheureux avantage d’éviter que  les sommes perçues ou récoltées (rémunération pour copie privée) passent directement dans la case « artiste » qu’on dit floués par le téléchargement gratuit et hors marché sur le net.  

La Cour des comptes a d’ailleurs promis en 2010 « une enquête visant à mieux mesurer les charges que ces opérations inter-sociétés conduisent indirectement à imputer sur les sommes à répartir et à éclairer les bases économiques de fixation des coûts ainsi refacturés  ». En attendant, les premières conclusions sont dressées.

Des charges de gestion qui augmentent plus vite que les perceptions

« Entre 2000 et 2008, les charges de gestion augmentent de 32 %, et donc moins vite que les perceptions (+35,2 %). Cependant, au cours de la période 2004/2008, le mouvement s’inverse avec des charges de gestion qui progressent plus vite que les perceptions (+13 % contre + 5,6 %) » explique la Cour des comptes, armée de ses calculettes et de juristes chevronnés.

La faute à qui ? La Commission de contrôle résume ainsi le système français avant d’examiner dans les détails la situation de chaque société de gestion : « Globalement, les sociétés de gestion collective ont pour objet final de reverser à leurs ayants droit, personnes physiques ou morales, les droits qui leur sont dus après les vérifications d’usage, et après diverses retenues effectuées pour financer essentiellement la gestion et les actions sociales et culturelles. Les affectations de ces sociétés (que l’on qualifiera de sociétés d’ayants droit ou sociétés « primaires ») représentent ainsi le flux financier sortant du dispositif. »

Des chiffres et des guêpes

Problème : ce schéma, simpliste ou normal, est devenu nettement plus compliqué avec le temps. La faute à des sociétés intermédiaires chargées de percevoir des droits primaires, et pas qu’un peu puisqu’elles prennent sous le bras un tiers des sommes (plus de 400 millions sur 1,2 milliard d’euros). Et c’est là que le miracle comptable vient pourrir ce fruit bien mûr : ces sommes sont ensuite affectées « non pas à des ayants droit personnes physiques ou morales, mais à leurs associés constitués par d’autres sociétés de perception ». En bout de chaîne, les déductions vont ainsi bon train pour dégonfler le reversement naturel des sommes collectées.

Pour couronner le tout, ou lester un peu plus les opérations, la Cour des comptes constate des superpositions de sociétés qui suscitent de nouveaux flux intermédiaires ou croisés entre elles : « la Commission l’avait déjà souligné dans son rapport 2006, une ou plusieurs sociétés peuvent s’interposer entre celle qui perçoit les droits primaires et celle qui les répartira. »

La Cour des comptes prend l’exemple des droits perçus par la SORECOP sur la copie privée sonore : ces droits « sont affectés à l’ADAMI, à la SPEDIDAM, à la SCPA et à la SDRM. Cette dernière en affecte une fraction à son tour aux sociétés d’auteurs : la SACD, la SACEM et la SCAM, tandis que la SCPA opère un reversement à la SCPP et à la SPPF ».

La fleur initiale se voit alors délestée de plusieurs pétales à chacun de ces étages.

Le brouillage financier complète ce flou artistique du fait de l’utilisation de règles comptables différentes entre chaque acteur : « Incontestablement, la juxtaposition de sociétés, leur rôle parfois mixte (primaire, intermédiaire, mandataire), rend particulièrement complexe le dispositif existant. La recherche d’économie d’échelle conduisant à mutualiser certaines tâches entraîne qu’une part importante des coûts imputables sur la rémunération finale des ayants droit soit prélevée en amont des sociétés d’ayants droit » constate sans trop de mal la Cour des comptes, sensible à la rémunération des artistes (du micro, non de la calculette).

Une politique de rémunération très payante

Le deuxième volet du rapport 2010 de la Commission de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD) vise spécialement la politique de rémunération de ces structures.

On reste dans la même « logique » que celle constatée pour les flux financiers : « les charges de personnel, indique la Cour des comptes, constituent une part majeure des frais de structure qui s’imputent sur les ressources en gestion collective. Leur poids comme leur évolution résultent tant des effectifs en place que des rémunérations qui leur sont versées. »

Là encore, l’organisation par étages des SPRD qui se facturent les unes aux autres génère des charges de personnelles par cascade.

Un nouvel exemple : « une part des moyens en personnel centraux ou régionaux de la SACEM est dévolue à la perception de droits qui, via diverses sociétés intermédiaires, sont destinés aux membres d’autres sociétés. Les reversements qui s’opèrent de ce fait à partir des sociétés [en] amont vers les organismes d’ayants droit trouvent pour contrepartie tout un système de refacturations ou de prélèvements de gestion s’opérant dans l’autre sens en vue de rémunérer les organismes intermédiaires et, en dernière analyse, la prestation technique de collecte confiée aux services de la SACEM ».

Absence de comptabilité analytique

Aveu de faiblesse pour le moins incroyable de la Cour des comptes : « La Commission permanente a dû constater qu’un exercice aussi simple et nécessaire du point de vue de la vérité des tarifs et des coûts s’avérait impossible en l’état actuel de l’information des sociétés elles-mêmes. La SACEM, principal prestataire de services pour le reste des organismes de gestion collective, n’a pu fournir qu’une estimation forfaitaire et globale de la charge de personnel s’y appliquant, et a indiqué qu’elle n’avait pas, jusqu’ici, retenu comme une priorité de sa gestion l’établissement d’une gestion analytique des coûts permettant de fonder avec plus d’exactitude et d’objectivité ses facturations directes ou indirectes à d’autres sociétés. Quant aux sociétés destinataires de ces prestations, aucune d’entre elles n’a été en mesure, au-delà de l’indication des barèmes contractuels des prélèvements auxquels elles sont soumises, de fournir d’évaluation motivée de la charge salariale implicite à ceux-ci. » Bref, personne n'en veut, curieusement.

Ce brouillard ou brouillage expose pourtant une situation pour le moins alambiquée : Il prive « les associés de chaque société d’une appréciation complète et vérifiable de l’ensemble des frais de structure et charges de personnel justifiant les prélèvements de gestion qui grèvent, en cascade, les montants de droits mis en répartition ».

Telle une gangrène, ce déficit de transparence et donc de contrôle sur ce poste budgétaire génère d’autres infections : celui de ne pas permettre « de s’assurer que les économies d’échelle censées s’attacher à la mutualisation de moyens entre sociétés sont réelles et leur sont redistribuées en toute équité ». On a connu jugement plus doux.

La rémunération des dirigeants ne connaît pas crise

Le chapitre le plus piquant du rapport de la Commission de contrôle vise spécialement les rémunérations (et avantages annexes en résultant) des principaux dirigeants des SPRD (p.255 et suivantes).

« La rémunération de l’encadrement supérieur des sociétés de perception et de répartition des droits mérite attention de la part des ayants droit tant au regard de la responsabilité incombant à ces dirigeants dans la bonne conduite et la modernisation de la gestion collective qu’en considération du fait que la charge s’en impute, en dernière analyse, sur le montant des ressources collectées » souligne la Commission, avant de gifler : « Pour autant, les dispositions en vigueur du code de la propriété intellectuelle ne garantissent sur cette question sensible qu’une transparence très mesurée et restent surprenantes au regard des intentions auxquelles elles devaient répondre ».

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Bernard Miyet (Sacem)

Les meilleures rémunérations à la SACEM et la SCPP

La commission n’a malheureusement pas jugé utile de diffuser la rémunération exacte des dirigeants de la SACEM, de la SCPP, et d’autres sociétés de gestion. Pour autant, des indices et des bases comparatives donnent une idée assez exacte des niveaux de salaire. Dans un tableau p. 259, on voit que les deux rémunérations les mieux payées sont à rechercher à la tête de la SACEM, dont le président du directoire, Bernard Miyet (en photo). La deuxième société qui offre les meilleures rémunérations est la SCPP, dirigée par Marc Guez.

Les écarts ne sont pas minces : « la rémunération la plus élevée, celle du président du directoire de la SACEM, se situe à plus de 87 % au-dessus de celle qui la suit immédiatement au sein de sa propre société et à 165 % au dessus de celle du principal dirigeant de société le suivant dans ce classement, celui de la SCPP ».

tableau rémunération dirigeants sprd


Deux rémunérations supérieures à 400 000 €

La commission de contrôle indiquera au détour d’une phrase que « deux rémunérations (dépassent) 400 000 €, dont l’une très substantiellement. » A la SACEM d’ailleurs, la moyenne des 5 principales rémunérations brutes est exactement de 363 908 euros pour 2008. Plus de 135 000 à la SCPP.

En guise de réponse, la SACEM mettra en avant son importance économique et son « rôle central dans la collecte des droits de toutes natures en France (…) Dans ce contexte, il est normal que les rémunérations moyennes soient plus élevées à la SACEM que dans les autres SPRD ». Pour justifier en partie la rémunération du président du directoire de la SACEM, la société rappelle que Bernard Miyet « occupait précédemment les fonctions de Secrétaire général adjoint de l’ONU, chargé des opérations de maintien de la paix ». Prière donc de respecter la sienne.

Croissance de 10,3% des 5 principales rémunérations (malgré la crise)

Les salaires de ces principaux dirigeants ne connaissent pas la crise du disque : « Pour l’ensemble des sociétés, la croissance moyenne des (cinq ou dix, selon la taille des sociétés) principales rémunérations a crû d’environ 9 % entre 2005 et 2008, et de près de 10,3 % si l’on s’en tient aux cinq principales d’entre elles pour toutes les sociétés. »

Mieux : « la rémunération [des dirigeants] ne correspond qu’imparfaitement à celle de l’importance de leur effectif ou des flux de droits qui s’y rapportent ». Un exemple ? « le dirigeant principal de la SCPP se situe au deuxième rang par rapport à ses pairs, alors que sa société n’emploie qu’une quarantaine de collaborateurs et ne traite qu’un peu plus de 60 M€ de droits, ce qui correspond à un chiffre d’affaires trois fois moindre que celui de la SACD et à un effectif inférieur de plus des deux tiers à celui de la SCAM ».

Quelles justifications pour un secteur non soumis à la concurrence ?

Ces salaires sont-ils justifiés ? Pas si sûr, pour la Commission permanente de contrôle.

D’un, les ressources collectées par les organismes de gestion collective correspondent à une obligation de versement assignée aux utilisateurs par la loi, et non pas des compétences particulières de ces têtes pensantes.

De deux, les sociétés de perception ou de répartition disposent dans leur secteur d’activité d’un quasi-monopole de fait sur le territoire national. Exit le savoir-faire des entreprises concurrentes.

De trois, si les tâches de répartition individuelle appellent techniquement « une réelle vigilance technique », leur complexité « n’est par nature, exposée à aucun risque de marché ». Pour la Cour des comptes, ces sociétés de gestion collective s’apparentent plus à des services fiscaux qu’à des sociétés privées exposées aux quatre vents d’un marché ultra concurrentiel.

Certes, « outre la conduite de ces tâches opérationnelles, quelques-uns des principaux dirigeants de société jouent cependant un rôle actif dans la défense des intérêts collectifs de la gestion collective, notamment à travers les négociations auxquelles donne lieu la fixation de barèmes comme ceux de la « rémunération équitable » ou de la rémunération pour copie privée ». Mais ces rémunérations « semblent, au moins pour quelques cas individuels, s’écarter notablement des normes de rémunération en vigueur dans les entreprises de taille comparable alors même que celles-ci sont, elles, pleinement exposées à la concurrence ».

Les salaires de la SCPP défendus par l’une des majors membres de…la SCPP

Ainsi mise en causes, les principaux intéressés se défendent avec les moyens du bord. La SCPP, deuxième société la plus généreuse avec ses dirigeants, a produit devant la Commission « d’un courrier électronique du directeur général adjoint d’une des majors (…) confirmant que les salaires des principaux salariés de la SCPP « sont tout à fait conformes à ceux des personnes ayant des fonctions équivalentes au sein de la profession » ». Une major qui est elle-même membre de la SCPP !

Des dépenses de péage…le week-end

Au fil de ses vérifications et analyses, la Cour des comptes aura examiné les frais de mission et de réception payés par carte bancaire au sein des sociétés de gestion. Ainsi en 2007, un dirigeant de la SACEM (aujourd’hui parti) avait payé via cette CB différents biens et services : « des repas qu’il prenait seul, des frais de location de voiture, des fournitures de bureau, de la documentation, des abonnements, des dépenses de « Budget artistique – Cadeaux » (compte 623-3400, à hauteur de 10 512 €) ». Mieux encore, « cette carte était également utilisée pour régler des achats dans des grands magasins, des frais de péage de week-end ou encore des frais de séjour en Guyane (entre le 27 décembre 2006 et le 6 janvier 2007) ».

Un miracle en déplacement

Les artistes ainsi défendus apprécieront le dévouement, qui touche au miracle parfois : « il semble même, au vu de la date figurant sur les relevés de carte bancaire, qu’à deux reprises en 2007, des dépenses aient pu être engagées le même jour avec cette carte dans le Vaucluse, dans l’Eure-et-Loir et dans le Morbihan ».

La Cour des comptes n’aura pas pu examiner plus en profondeur ces affectations financières avec les sommes collectés par la société d’auteur : « La société s’est cependant déclarée dans l’incapacité de fournir un tableau récapitulant, pour 2007 et 2008, d’une part, les frais de mission, d’autre part, les frais de restauration et de réception qu’elle assume pour chacun de ses cadres dirigeants, pour la raison qu’elle « ne dispose pas d’un suivi analytique par nature de dépenses et par personne en ce qui concerne les dépenses payées par carte ». La Commission permanente ne peut que s’en étonner ». La SACEM répondra cette fois qu’une telle comptabilité analytique « sera très coûteuse à implémenter et surtout à mettre à jour chaque année ». Un coût qui permettrait pourtant de faire des économies ou de traquer les points noirs dans le système des SPRD.

A la SACEM, le dernier contrôle de l’URSAFF – qui s’est soldé par un redressement de 44 548 euros - s’est achevé en novembre 2005 avec des situations pour le moins capilotractées ! « Les inspecteurs citaient notamment un exemple amusant : « des dépenses auprès de salons de coiffure féminin pour des salariés de sexe masculin » ».

(*) Sur le même sujet on pourra lire cet article de Numérama et celui du Point, complémentaires.

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