Rapport Gallo, IPRED 2 et ACTA, petites moeurs entre amis

On s’en souvient : en septembre 2009, la commission européenne publiait une communication visant à « renforcer l’application des droits de propriété intellectuelle sur le marché intérieur ». 

Dans ce document, la Commission Marché Intérieur souhaitait encourager les ayants droit « et les autres parties concernées » (plateforme, FAI, etc.) « à dialoguer et à mettre leurs intérêts en commun dans la lutte contre les atteintes aux droits de propriété intellectuelle ». Collaboration, échange d’informations, lutte pro active, etc. Un véritable terreau pour faire pousser l’ACTA dans les esprits européens, avec derrière le spectre de la riposte graduée, de la responsabilité accrue des intermédiaires techniques, du filtrage et des multiples atteintes à la neutralité.

Après cette publication de septembre 2009, le Conseil de l’Europe se félicitait malgré tout de la démarche qu’il cautionnait. Ne manquait plus alors que le Parlement européen pour tenter le carton plein…

C’est là qu’une certaine Marielle Gallo intervient : cette eurodéputée du groupe du Parti Populaire Européen s’était saisie du dossier pour rédiger un projet de rapport tout juste présenté devant la Commission des affaires juridiques du Parlement européen. Une opération harmonieuse rondement menée cette semaine : le document a été présenté juste après une importante conférence de presse de la Commission européenne, destinée à vanter les charmes d’ACTA. 

Que dit en substance le projet de rapport Gallo « sur le renforcement de l'application des droits de propriété intellectuelle sur le marché intérieur » ?

rapport gallo

On enfonce d’abord de multiples portes ouvertes à coup d’affirmations sans mesure : d’un côté « le phénomène de piratage en ligne a atteint des proportions très inquiétantes », de l’autre, « un cadre juridique communautaire existe déjà en ce qui concerne le phénomène de contrefaçon et de piratage des biens matériels, mais que des lacunes persistent en ce qui concerne la lutte contre le piratage sur internet ». C’est pour corriger ces deux éléments que le rapport Gallo pousse donc le Parlement à émettre une « résolution ». Certes, il  ne s’agit que d’une future déclaration formelle, mais on doit surtout peser le sérieux poids politique du document dans les négociations ultérieures.

Dans ce « rapport Gallo », on se félicite de la possible mise en place de « l’Observatoire européen sur la contrefaçon et du piratage » demandé par la Commission. Un « outil de centralisation des statistiques et des données qui serviront de base pour orienter les propositions à mettre en oeuvre pour lutter de manière efficace contre les phénomènes de la contrefaçon et du piratage, y compris le piratage en ligne ». On note d’ores et déjà que le rapport constate un piratage aux « proportions très inquiétantes » alors que cet observatoire destiné à qualifier et certifier les chiffres n’est pas en place ! Nous reviendrons là-dessus.

Poursuivre les efforts sur ACTA

Marielle Gallo veut par ailleurs que la commission pousse l’accélérateur sur ACTA (ou ACAC, en français) : le rapport « invite la Commission à poursuivre ses efforts en vue de faire avancer les négociations de l'accord commercial anti-contrefaçon (ACAC) afin d'améliorer l'efficacité du système de mise en oeuvre des DPI contre la contrefaçon, et d'informer pleinement le Parlement des progrès et des résultats des négociations ».

Efforts, progrès, résultats… Le champ lexical pour décrire ACTA oublie juste de frétillants petits mots comme « atteinte » « vie privée », « neutralité », « données personnelles », « libertés », etc. A la trappe…! Le gardien européen aux données personnelles appréciera.

Le rapport soutient par contre sans sourcilier
« la poursuite et le renforcement, par la Commission, des initiatives de coopération bilatérale, y compris les dialogues sur la propriété intellectuelle avec les pays tiers et les projets d'assistance technique »
ou encore
« l'importance de combattre la criminalité organisée dans le domaine des DPI, en particulier la contrefaçon et le piratage »
ou encore
« la nécessité de mettre en place une législation européenne adéquate sur les mesures pénales »…
N’en jetez plus : voilà un véritable plaidoyer pour la dégénérescence sécuritaire d’ACTA et ses ramifications.

Favoriser mollement l'offre légale

On soulignera dans le lot des mesures demandées, une démarche en faveur des licences multiterritoriales, dont l’absence est un véritable poison pour les services en ligne. Néanmoins, Gallo fait preuve d’une violence molle.

Elle « invite la Commission à réfléchir aux méthodes permettant de faciliter l'accès de l'industrie au marché numérique sans frontières géographiques en examinant au plus vite la question des licences multiterritoriales » estimant là « qu'il s'agit d'une exigence pour le développement de services légaux répondant à la demande des consommateurs pour un accès total, immédiat. » Mais quand on invite à « réfléchir » à une « méthode » pour « faciliter » ce développement… On mesure sans mal le degré d’urgence !

Manque de fiabilité

Ce n’est pas tout : lors de la présentation de ce rapport devant la commission des affaires juridiques, l’étude Tera fut remise sur la table, cette fameuse étude contestée qui accuse les téléchargements illégaux d’être à l’origine de la destruction de 1,2 million d’emplois en Europe.

En face, l’eurodéputée Françoise Castex, contre rapporteur sur ce texte pour le groupe Socialistes et Démocrates, a tenu à mettre les points sur les « i », notamment sur l’utilisation de chiffres fournis par « des études dont la méthodologie et l’indépendance laissent à désirer ». « Je pense que nous devons être très vigilants dans le traitement d’études commandées par les industries culturelles elles-mêmes. Le manque de fiabilité de ces études ont conduit la Commission à faire un appel à proposition, avec un budget d’un demi-million d’euros, pour une étude sur l’impact de la contrefaçon et de la piraterie dans le marché intérieur. » La parlementaire est une habituée : elle avait déjà été co-auteure d'une résolution destinée à demander enfin la transparence sur ACTA...

On se souvient en outre que le fameux cabinet Tera avait comme par magie autofinancé et publié un rapport sur les liens entre piratage et économie. C’était quelques mois après que la CNIL ait reproché l’absence de pareille étude d’impact pour justifier la riposte graduée en France. Seul hic, le très sérieux Tera s’était appuyé sur les chiffres de l’industrie, officiellement… faute de temps. Le tout fut alors remis à Christine Albanel qui s’en était intellectuellement nourrie dans l’hémicycle.

Des dizaines d'amendements pour rééquilibrer le texte

Françoise Castex, Stavros Lambrinidis, Christian Engström ou encore Cecilia Wikström ont de leur côté officiellement déposé plusieurs amendements au rapport Gallo pour prendre son exact contre-pied (la liasse complète des 120 amendements).

L’un d’eux veut par exemple rappeler l’existence de la Convention européenne des droits de l’homme dès les visas du document. Un oubli fâcheux !

Un autre veut éradique l’expression « piratage » du rapport car le terme « ne se rapporte à aucune réalité juridique récente, notamment dans le domaine culturel, et qu’il ne peut seul désigner un délit qui n’aurait pas été défini juridiquement. »

Signalons celui-ci : quand Gallo veut faire dire au Parlement que
« les données relatives à l’étendue des atteintes aux droits de propriété intellectuelle sont incohérentes, incomplètes, insuffisantes et éparpillées »
Ces eurodéputés marquent leur préférence pour cette version
« les données relatives à l’étendue des atteintes aux DPI sont incohérentes, incomplètes, insuffisantes et éparpillées et ne sauraient dès lors servir de base à d’éventuelles initiatives législatives pénales supplémentaires ».
C’est justement parce que les données statistiques sont incomplètes qu’il est hasardeux de lancer un arsenal pénal !

Autoriser la copie privée sur Internet

Un autre amendement défendu :
« considérant que les efforts déployés en vue de lutter contre le partage de fichiers en ligne à des fins non commerciales ont généré un antagonisme marqué et préjudiciable entre les industries créatives et leur public, et qu’il est dès lors nécessaire d’explorer de nouvelles manières de créer des synergies entre les droits du public et les revenus des auteurs et créateurs »
On constate sans mal la différence de point de vue et où se porteront les préférences de l’industrie culturelle…

D’ailleurs, on soulignera l’amendement 101 qui sollicite l’extension de la copie privée au partage de fichiers à des fins non commerciales. Une manière nettement moins policière d’explorer une solution à la rémunération des artistes.

Enfin, sur ACTA, Françoise Castex, Antonio Masip Hidalgo, Bernhard Rapkay, Stavros Lambrinidis, Cecilia Wikström, Christian Engström demandent d’une seule voix que « les dispositions de l’ACAC respectent pleinement l’acquis communautaire en matière de DPI et de droits fondamentaux ». Là encore, un curieux oubli du rapport Gallo.

Un terreau pour ACTA et IPRED 2

Le débat autour de ce rapport va reprendre le 19 avril prochain. Le texte devra être voté le 27 ou 28 avril avant un passage en plénière prévu en mai-juin où il pourra devenir une véritable « déclaration » du Parlement.

Et alors ? Ce débat va en fait conditionner tout le futur du droit de la propriété intellectuelle en Europe, car si le rapport Gallo est voté en l’état, il affirmera une volonté politique unique entre la Commission, le Conseil et le Parlement. Une forme de grand chelem pour les tenants d’une réponse pénale au phénomène social de l’échange sur internet.

Justement, revenons sur ce qui s’est dit en début de semaine à la Commission Européen. Le négociateur Luc-Pierre Devigne expliquait que jamais cet accord anti-contrefaçon ne remettrait pas en cause « l’acquis communautaire », que jamais Bruxelles n’irait plus loin que ce seuil juridique. Un discours chanté fidèlement par le gouvernement français.

Et ? C’est là qu’un autre texte arrive sur les rails pour justement nourrir cet « acquis communautaire ». Ce texte, c’est la directive IPRED 2, qui « s’inspire de la première version d’une directive rédigée en 2003 par Janelly Fourtou, eurodéputée ALDE (UDF) et épouse du PDG de Vivendi Universal » rappelaient à l’époque la FFII et l’APRIL. IPRED 2 veut criminaliser à tour de bras le « piratage », et favoriser les réponses non judiciaires contre les pratiques d’échange en ligne. Ce texte attendu devrait être géré dans les semaines ou mois à venir par Michel Barnier, président de la Commission Marché intérieur.

Voilà comment la Commission peut sans rougir affirmer qu’ACTA ne remettra pas en cause l’acquis communautaire, pour la simple et bonne raison que ces textes partagent un ADN commun.

michel barnier marielle gallo europe liste UMP

Barnier et Ballo, des européens très unis

Enfin, plus près de nous, et comme l’a pointé dans une bonne synthèse, ElectronLibre, Marielle Gallo, l’auteur du rapport au Parlement, avait été poussée à la quatrième place sur la liste de l'UMP pour les Européennes en Île-de-France. Un geste de Nicolas Sarkozy lui-même, selon le Figaro.. Autre détail, Michel Barnier était lui-même... premier de la liste de Marielle Gallo aux élections européennes de 2009.

Quand on vous dit que l'Europe c'est le marché commun...

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