Diffamation : les premières condamnations sur fond d'Hadopi

Hadopi n’est pas seulement la riposte graduée. C’est aussi un nouveau régime de responsabilité pour les sites internet rangés sous le terme – extrêmement vaste – de « service de communication au public en ligne ».  

Sur ce terrain, indique un « confidentiel » du Figaro, l’actrice Louise Bourgoin a fait condamner Carl Zéphir, le directeur du Mixbeat.com pour plusieurs diffamations postées sur ce site « people ». Le tribunal s’est appuyé justement sur la loi Hadopi du 12 juin 2009 pour constater ces infractions. L’éditeur de Mixbeat a été condamné à 1000 euros d’amende et 10 000 euros de dommages et intérêts. On ne sait pas encore s’il fera appel.

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Un peu plus tôt, c’est Claire Chazal qui a mis sans trop le vouloir et pour la première fois en pratique HADOPI. Ce fut là cependant une semi-victoire. L’affaire était jugée dans deux décisions du Tribunal de Grande Instance de Paris rendues le 9 octobre dernier. Elle mettait là aussi sur la sellette Carl Zéphir et MixBeat ainsi que des contenus diffamatoires. 

Avant analyse, un petit rappel à l’aide d’une actualité postée en juin 2009 dans nos colonnes. Durant les débats Hadopi, un amendement « surprise » de Jean Dionis du Séjour avait vite été voté pour définir un nouveau statut de la presse en ligne. Ce statut fut codifié à l’article 27 de la loi Hadopi :  

Article 27
I. ― L'article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« On entend par service de presse en ligne tout service de communication au public en ligne édité à titre professionnel par une personne physique ou morale qui a la maîtrise éditoriale de son contenu, consistant en la production et la mise à disposition du public d'un contenu original, d'intérêt général, renouvelé régulièrement, composé d'informations présentant un lien avec l'actualité et ayant fait l'objet d'un traitement à caractère journalistique, qui ne constitue pas un outil de promotion ou un accessoire d'une activité industrielle ou commerciale.
« Un décret précise les conditions dans lesquelles un service de presse en ligne peut être reconnu, en vue notamment de bénéficier des avantages qui s'y attachent. Pour les services de presse en ligne présentant un caractère d'information politique et générale, cette reconnaissance implique l'emploi, à titre régulier, d'au moins un journaliste professionnel au sens de l'article L. 7111-3 du code du travail. »
II. ― L'article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l'infraction résulte du contenu d'un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, le directeur ou le codirecteur de publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s'il est établi qu'il n'avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message. »
III. ― Après le 1° bis de l'article 1458 du code général des impôts, il est inséré un 1° ter ainsi rédigé :
« 1° ter. ― Les services de presse en ligne reconnus au 1er janvier de l'année d'imposition dans les conditions précisées par le décret prévu au troisième alinéa de l'article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse ; ».
IV. ― Le III s'applique aux impositions établies à compter de l'année qui suit la publication du décret prévu au troisième alinéa de l'article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse dans sa rédaction issue du présent article et au plus tard à compter du 31 décembre 2009.

Ce texte façonne un régime de responsabilité « atténuée » pour les directeurs de publication de services de communication au public par voie électronique, quand des injures ou des diffamations sont proférées dans les espaces ouverts (forum, commentaires, etc.) du service qu’ils dirigent.  

Responsabilité conditionnelle du directeur de publication d'un site

En pratique, en cas d’un message diffamatoire ou injurieux le « directeur ou le codirecteur de publication » en ligne ne peut voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal que s’il est démontré « qu’il avait effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou que, dès le moment où il en a eu connaissance, il n’a pas agi promptement pour le retirer. » C’est une exception au droit commun nettement plus nerveux.

Dans l’affaire Claire Chazal, 24 messages jugés diffamatoires avaient été mal supportés par la présentatrice. La star de TF1 était traitée de tous les noms sous deux fils de discussion du site MixBeat. Mis en accusation, le directeur de publication Carl Zéphir fit valoir d’une part qu’il n’était pas l’auteur des messages et d’autre part qu’il s’agissait d’un site participatif sans modération a priori. En somme, qu’il était blanc comme neige.

Hadopi s'applique à tous les services de communication au public en ligne

Claire Chazal tenta d’esquiver cette défense issue du régime dérogatoire d’Hadopi : selon elle, le texte Hadopi ne concernait que les sites de presse en ligne, les autres sites de communication électronique comme les blogs, les forums et donc MixBeat doivent être soumis au régime de droit commun. Un régime où le directeur de publication est responsable si l’auteur d’un message n’est pas identifié (responsabilité en cascade...)

Application directe de la loi pénale plus douce

Le TGI de Paris assena une gifle à cette offensive :

Premièrement, les faits de l’espèce étaient antérieurs à la loi Hadopi. Mais cette loi pénale étant plus « douce » que l’ancien régime, elle s’applique immédiatement comme le veut les principes du droit pénal (non-rétroactivité du droit pénal, sauf pour les lois moins sévères).

Le tribunal souligna ensuite que les dispositions de la loi Hadopi, s’appliquent au contraire à tous les espaces publics de contributions personnelles – et pas seulement à la presse en ligne – que ces espaces soient modérés a priori, modérés a posteriori ou non modérés : le régime de l’engagement de responsabilité du directeur est donc désormais unifié avec la loi Hadopi, quoi qu’en pense Claire Chazal & co. Conformément au texte, deux hypothèses supposent maintenant cet engagement de responsabilité : 1) le directeur a la connaissance effective du message avant sa mise en ligne ou 2) dès le moment où il a eu connaissance du message, il n’a pas agi promptement pour supprimer la diffamation. La faute par la passivité, l’excuse par l’ignorance.

Des doutes sur l’auteur du message

Pour la plupart des messages, aucune preuve n’aura été rapportée par l’avocat de Claire Chazal démontrant que Zéphir en fut l’auteur. Il y eut certes une saisie du matériel informatique au domicile du directeur de publication, mais cela ne démontrait rien « faute d’identification possible de l’adresse IP de leur expéditeur ».

Des certitudes sur trois messages

Pour la quasi-totalité des posts, il n’y avait pas davantage de certitude selon laquelle Carl Zéphir eut connaissance des messages litigieux avant leur mise en ligne ou, informé d’une demande de suppression, il ait préféré ne rien faire. Sauf... pour trois messages que Carl Zéphir avait décidé de remettre en ligne. Cette action ne laissait donc aucun doute sur sa connaissance de ces contenus, sauf à tapoter sur son PC, l’écran éteint. 

La démonstration de cette preuve étant rapportée, Zéphir fut condamné à 1000 euros d’amende et 1 euro de dommages et intérêts pour Claire Chazal, majorés de 3500 euros pour couvrir les frais. Carl Zéphir sera relaxé pour d’autres messages, encore dénoncé par l’animatrice de TF1, faute pour elle d’avoir démontré leur caractère diffamatoire.

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