Le recours du PS a été déposé aujourd’hui devant les sages du Conseil constitutionnel. Le site Ecrans l’a diffusé cet après-midi en exclusivité. Nous le publions à notre tour avec notre analyse.
Plusieurs moyens d’inconstitutionnalité ont été soulevés par ces opposants au projet Hadopi 2. On rappellera brièvement que ce nouveau projet de loi avait été rendu nécessaire suite à une première sanction devant le juge constitutionnel. Ce dernier – pour faire simple et court – interdisait qu’une autorité non judiciaire puisse couper l’accès à Internet, élément essentiel de la liberté d’information et de communication.
Après cette gifle infligée sur le fronton de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le gouvernement ficelait rapidement un nouveau texte – Hadopi 2 donc. Celui-ci est une armurerie à deux canons : le premier ajoute la coupure d’accès comme l’une des sanctions au délit de contrefaçon. Le second prévoit une suspension similaire en cas de négligence caractérisée, une nouvelle contravention floue injectée dans notre droit.
Pour faire bonne mesure, c’est le juge qui sera chargé de décider de cette peine, mais après une procédure ficelée fissa par l’Hadopi. Afin que la justice ne prenne son temps, la loi Hadopi 2 prévoit que la coupure pourra alors être infligée dans le cadre de l’ordonnance pénale, procédure TGV où l’abonné n’aura par principe pas droit à la parole (sauf s’il le demande) mais où l’ayant droit pourra réclamer des dommages et intérêts.
Une précipitation assumée... contourner la décision Hadopi 1
« Une précipitation assumée » estiment les auteurs du recours, car « loin de tirer les conséquences de votre décision du 10 juin 2009, la loi présentement soumise à votre contrôle la contourne et encourt les mêmes critiques que la précédente ».
Dès les premières lignes, le ton est ainsi donné, puisque le PS évoque une atteinte au droit à un procès équitable. Droit protégé par la plupart des textes fondamentaux. « L’intervention du juge judiciaire ne constitue qu’un habillage commode pour contourner votre décision du 10 juin 2009 et ne saurait donc tromper votre vigilance »
Atteintes multiples aux principes constitutionnels
Ils évoquent ainsi un « système disproportionné et approximatif de sanctions incompatible avec nos principes constitutionnels », alors que l’atteinte à la liberté d’information reste la même : la plaie est identique, seule la lame du couteau change... le PS se souvient ainsi de la décision de juin 2009 où le juge constitutionnel expliquait que « les atteintes portées à la liberté d’expression doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ». Pour les auteurs de la saisine, pas de doute : « en punissant l’infraction dite de « négligence caractérisée » par la coupure de l’accès à Internet, il est peu de dire que le législateur a établi une sanction évidemment et manifestement disproportionnée ».
Les atteintes constitutionnelles frappent également à la porte du principe d’égalité puisque l’Arcep a bien souligné que les réalités du dégroupage ne permettaient « pas d’appliquer la suspension de l’accès à l’Internet dans les mêmes conditions sur l’ensemble du territoire. En effet, dans les zones non dégroupées, il sera difficile techniquement de maintenir au profit de l'abonné un service de téléphonie IP si, dans le même temps, l'accès à Internet est coupé. Dès lors, il est manifestement contraire au principe d’égalité devant la loi pénale d’établir une sanction dont la mise en œuvre ne sera pas la même sur l’ensemble du territoire national et dépendra des contingences techniques. »
Voilà quelques points notables dans le recours.
Des faits un peu trop susceptibles
Dans l'article 1er , les auteurs fustigent l’utilisation de l’adjectif « susceptible » lorsqu’il s’agit de définir les pouvoirs de l’Hadopi de constater les « faits susceptibles de constituer des infractions ». Pourquoi ? Si le PV sert de rampe à une procédure en contrefaçon, il devra être complété par une enquête un peu plus solide qu’une maigre adresse IP. C’est la loi qui établit cela, puisqu’elle exige des informations « établies ». Mais si le PV sert de rampe à une procédure pour négligence caractérisée, alors il y a un problème. En effet, « le procès verbal constituera l'unique élément permettant la condamnation des abonnés » précise le PS. Une preuve bien maigre reposant uniquement sur des « faits susceptibles de constituer des infractions ».
Toujours dans cet article, les auteurs refusent que l’audition de la personne soupçonnée soit une simple faculté. Pour piquer dans le vif du sujet, le PS estime que « la garantie des droits des citoyens impose, dans le cadre d'un tel contentieux, qu’une audition soit réalisée au stade de la constitution du dossier d'incrimination tout particulièrement lorsque, durant la phase de jugement, il est prévu une procédure pénale simplifiée sans audience. »
Des critères trop flous dans le choix des procédures
Mais ce n’est pas tout. Ils décèlent encore une atteinte aux principes de sécurité juridique et d'égalité. En effet, on ne sait pas quels seront les critères ce qui décideront le ministère public à choisir entre la voie du délit et celle de la contravention (négligence caractérisée). Or les nécessités d’une bonne administration de la justice exigent des critères « objectifs et rationnels. « Ce flottement est d’autant plus remarquable que ces deux procédures seront déclenchées à partir de constatations identiques : les relevés d’adresses IP. Aucune différence objective ne justifiera donc le choix entre ces dernières et donc entre les sanctions encourues qui sont d’une sévérité incomparable ».
L'ordonnance pénale, une procédure injustifiée face à des faits complexes
Contre l’article 6, qui prévoit la procédure du juge unique et de l’ordonnance pénale applicable aux délits de contrefaçon commis en ligne. Le Conseil constitutionnel admet des procédures particulières, mais à la condition que le traitement obéit à une discrimination « justifiée ». Or là, seul le fait d’avoir effectué une contrefaçon en ligne justifie cette différence. Le Conseil constitutionnel avait pourtant déjà refusé dans la décision DADVSI que les téléchargements sur réseaux P2P soient soumis à un régime de sanction propre, comparativement aux échanges sur le web ou dans la cour de récréation...
Le recours aux ordonnances pénales pour les délits de contrefaçon constitue également « une régression de la garantie des droits des justiciables ». Pourquoi ? Tout simplement parce que cette procédure axée sur la vitesse va se frotter à des infractions complexes qui peuvent supporter tout, sauf une procédure d’urgence. D’ailleurs,la complexité est d’autant plus alimentée que le juge devra en plus statuer sur la demande de dommages et intérêts de l’ayant droit qui s’estime victime.
Plus d'internet, mais toujours un abonnement : une sanction hasardeuse
Le PS demande encore que l’article 7 soit purement et simplement supprimé. Cet article concerne et précise la sanction de suspension : c’est lui qui impose que l’abonnement continue à être versé au FAI comme s’il n’y avait pas de suspension. Outre un cas éventuel d’enrichissement sans cause, ceci porte atteinte au principe de légalité des délits et des peines puisque la sanction que voilà va dépendre non pas de la loi mais du type de contrat passé par l’abonné.
Une négligence caractérisée, une atteinte à la présomption d'innocence
Sur l’article 8, qui concerne l’incrimination de « négligence caractérisée », la suspension est considérée comme manifestement disproportionnée puisque trop floue. Alors qu’il y a une certitude : celle de l’atteinte à une liberté fondamentale.
Continuons : toujours en raison du manque de précision, cette disposition engendre comme dans Hadopi 1 un risque d’atteinte à la présomption d’innocence mise en exergue dans différentes questions laissées sans réponse par le ministère de la Culture (« une condamnation prononcée sur le fondement d'une négligence caractérisée exigera-t-elle que la preuve d'une contrefaçon soit apportée ? Une négligence caractérisée pourra-t-elle entraîner une condamnation sans que la réalité d’un dommage quelconque soit établie ? À défaut, sur quel élément matériel et intentionnel reposera cette infraction ? S'agira-t-il du fait de ne pas avoir installé un logiciel de sécurisation de sa connexion ou de ne pas l’avoir activé ? ») Pire : en raison du silence du texte, « l'abonné incriminé n'aura (...) aucun moyen de dégager sa responsabilité » s’il est mis en cause alors qu’il s’agit –répétons-le - d’infractions complexes où la vraisemblance de l’imputabilité est difficile à établir...
Le Conseil constitutionnel a désormais un mois pour statuer.
Plusieurs moyens d’inconstitutionnalité ont été soulevés par ces opposants au projet Hadopi 2. On rappellera brièvement que ce nouveau projet de loi avait été rendu nécessaire suite à une première sanction devant le juge constitutionnel. Ce dernier – pour faire simple et court – interdisait qu’une autorité non judiciaire puisse couper l’accès à Internet, élément essentiel de la liberté d’information et de communication.
Après cette gifle infligée sur le fronton de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le gouvernement ficelait rapidement un nouveau texte – Hadopi 2 donc. Celui-ci est une armurerie à deux canons : le premier ajoute la coupure d’accès comme l’une des sanctions au délit de contrefaçon. Le second prévoit une suspension similaire en cas de négligence caractérisée, une nouvelle contravention floue injectée dans notre droit.
Pour faire bonne mesure, c’est le juge qui sera chargé de décider de cette peine, mais après une procédure ficelée fissa par l’Hadopi. Afin que la justice ne prenne son temps, la loi Hadopi 2 prévoit que la coupure pourra alors être infligée dans le cadre de l’ordonnance pénale, procédure TGV où l’abonné n’aura par principe pas droit à la parole (sauf s’il le demande) mais où l’ayant droit pourra réclamer des dommages et intérêts.
Une précipitation assumée... contourner la décision Hadopi 1
« Une précipitation assumée » estiment les auteurs du recours, car « loin de tirer les conséquences de votre décision du 10 juin 2009, la loi présentement soumise à votre contrôle la contourne et encourt les mêmes critiques que la précédente ».
Dès les premières lignes, le ton est ainsi donné, puisque le PS évoque une atteinte au droit à un procès équitable. Droit protégé par la plupart des textes fondamentaux. « L’intervention du juge judiciaire ne constitue qu’un habillage commode pour contourner votre décision du 10 juin 2009 et ne saurait donc tromper votre vigilance »
Atteintes multiples aux principes constitutionnels
Ils évoquent ainsi un « système disproportionné et approximatif de sanctions incompatible avec nos principes constitutionnels », alors que l’atteinte à la liberté d’information reste la même : la plaie est identique, seule la lame du couteau change... le PS se souvient ainsi de la décision de juin 2009 où le juge constitutionnel expliquait que « les atteintes portées à la liberté d’expression doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ». Pour les auteurs de la saisine, pas de doute : « en punissant l’infraction dite de « négligence caractérisée » par la coupure de l’accès à Internet, il est peu de dire que le législateur a établi une sanction évidemment et manifestement disproportionnée ».
Les atteintes constitutionnelles frappent également à la porte du principe d’égalité puisque l’Arcep a bien souligné que les réalités du dégroupage ne permettaient « pas d’appliquer la suspension de l’accès à l’Internet dans les mêmes conditions sur l’ensemble du territoire. En effet, dans les zones non dégroupées, il sera difficile techniquement de maintenir au profit de l'abonné un service de téléphonie IP si, dans le même temps, l'accès à Internet est coupé. Dès lors, il est manifestement contraire au principe d’égalité devant la loi pénale d’établir une sanction dont la mise en œuvre ne sera pas la même sur l’ensemble du territoire national et dépendra des contingences techniques. »
Voilà quelques points notables dans le recours.
Des faits un peu trop susceptibles
Dans l'article 1er , les auteurs fustigent l’utilisation de l’adjectif « susceptible » lorsqu’il s’agit de définir les pouvoirs de l’Hadopi de constater les « faits susceptibles de constituer des infractions ». Pourquoi ? Si le PV sert de rampe à une procédure en contrefaçon, il devra être complété par une enquête un peu plus solide qu’une maigre adresse IP. C’est la loi qui établit cela, puisqu’elle exige des informations « établies ». Mais si le PV sert de rampe à une procédure pour négligence caractérisée, alors il y a un problème. En effet, « le procès verbal constituera l'unique élément permettant la condamnation des abonnés » précise le PS. Une preuve bien maigre reposant uniquement sur des « faits susceptibles de constituer des infractions ».
Toujours dans cet article, les auteurs refusent que l’audition de la personne soupçonnée soit une simple faculté. Pour piquer dans le vif du sujet, le PS estime que « la garantie des droits des citoyens impose, dans le cadre d'un tel contentieux, qu’une audition soit réalisée au stade de la constitution du dossier d'incrimination tout particulièrement lorsque, durant la phase de jugement, il est prévu une procédure pénale simplifiée sans audience. »
Des critères trop flous dans le choix des procédures
Mais ce n’est pas tout. Ils décèlent encore une atteinte aux principes de sécurité juridique et d'égalité. En effet, on ne sait pas quels seront les critères ce qui décideront le ministère public à choisir entre la voie du délit et celle de la contravention (négligence caractérisée). Or les nécessités d’une bonne administration de la justice exigent des critères « objectifs et rationnels. « Ce flottement est d’autant plus remarquable que ces deux procédures seront déclenchées à partir de constatations identiques : les relevés d’adresses IP. Aucune différence objective ne justifiera donc le choix entre ces dernières et donc entre les sanctions encourues qui sont d’une sévérité incomparable ».
L'ordonnance pénale, une procédure injustifiée face à des faits complexes
Contre l’article 6, qui prévoit la procédure du juge unique et de l’ordonnance pénale applicable aux délits de contrefaçon commis en ligne. Le Conseil constitutionnel admet des procédures particulières, mais à la condition que le traitement obéit à une discrimination « justifiée ». Or là, seul le fait d’avoir effectué une contrefaçon en ligne justifie cette différence. Le Conseil constitutionnel avait pourtant déjà refusé dans la décision DADVSI que les téléchargements sur réseaux P2P soient soumis à un régime de sanction propre, comparativement aux échanges sur le web ou dans la cour de récréation...
Le recours aux ordonnances pénales pour les délits de contrefaçon constitue également « une régression de la garantie des droits des justiciables ». Pourquoi ? Tout simplement parce que cette procédure axée sur la vitesse va se frotter à des infractions complexes qui peuvent supporter tout, sauf une procédure d’urgence. D’ailleurs,la complexité est d’autant plus alimentée que le juge devra en plus statuer sur la demande de dommages et intérêts de l’ayant droit qui s’estime victime.
Plus d'internet, mais toujours un abonnement : une sanction hasardeuse
Le PS demande encore que l’article 7 soit purement et simplement supprimé. Cet article concerne et précise la sanction de suspension : c’est lui qui impose que l’abonnement continue à être versé au FAI comme s’il n’y avait pas de suspension. Outre un cas éventuel d’enrichissement sans cause, ceci porte atteinte au principe de légalité des délits et des peines puisque la sanction que voilà va dépendre non pas de la loi mais du type de contrat passé par l’abonné.
Une négligence caractérisée, une atteinte à la présomption d'innocence
Sur l’article 8, qui concerne l’incrimination de « négligence caractérisée », la suspension est considérée comme manifestement disproportionnée puisque trop floue. Alors qu’il y a une certitude : celle de l’atteinte à une liberté fondamentale.
Continuons : toujours en raison du manque de précision, cette disposition engendre comme dans Hadopi 1 un risque d’atteinte à la présomption d’innocence mise en exergue dans différentes questions laissées sans réponse par le ministère de la Culture (« une condamnation prononcée sur le fondement d'une négligence caractérisée exigera-t-elle que la preuve d'une contrefaçon soit apportée ? Une négligence caractérisée pourra-t-elle entraîner une condamnation sans que la réalité d’un dommage quelconque soit établie ? À défaut, sur quel élément matériel et intentionnel reposera cette infraction ? S'agira-t-il du fait de ne pas avoir installé un logiciel de sécurisation de sa connexion ou de ne pas l’avoir activé ? ») Pire : en raison du silence du texte, « l'abonné incriminé n'aura (...) aucun moyen de dégager sa responsabilité » s’il est mis en cause alors qu’il s’agit –répétons-le - d’infractions complexes où la vraisemblance de l’imputabilité est difficile à établir...
Le Conseil constitutionnel a désormais un mois pour statuer.