Hadopi : le recours devant le Conseil Constitutionnel en détail

Comme promis, voilà les 11 points du recours contre la loi Hadopi, devant le Conseil constitutionnel, que nous avons révélés en cette fin de journée.

Le défaut d’information des parlementaires et l’atteinte au principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires.

On retrouve ici les critiques de la CNIL à savoir l’absence d’étude sérieuse sur ce texte, notamment les effets du piratage sur le C.A. des majors. Les députés indiquent que « l'élaboration et la discussion de cette loi au Parlement ont reposé exclusivement sur des analyses avancées par le Gouvernement et dénuées de toute objectivité ». Résultat des courses, le parlement n’a pu être à même de légiférer sereinement. « L'expression de la volonté générale ne peut reposer sur une information partielle et partiale des représentants de la Nation. En n'assurant pas une information complète des parlementaires, le législateur a donc méconnu le principe de clarté et de sincérité du débat parlementaire (…) ainsi que l’article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en vertu duquel « la loi est l'expression de la volonté générale ».

Des mesures législatives manifestement inappropriées à l'objectif poursuivi par le législateur

Sur ce chapitre, les auteurs de la saisine estiment que les modalités de la loi sont manifestement inappropriées à l’objectif poursuivi. Inadéquation qui avait déjà fait l’objet d’une censure devant le Conseil Constitutionnel. Le dispositif mis en place est aisément contournable, contre-productif, inapplicable et coûteux ». Inutile d’évoquer chacun de ces points qui ont été répétés tant de fois dans l’hémicycle : multiplication des réseaux Wifi ouverts, explosion du chiffrage, adaptation coûteuse et importante des réseaux, silence assourdissant de la loi sur la prise en charge des frais, alors que les FAI les chiffrent à 100 millions pour l'infrastructure et 100 millions pour les frais de fonctionnement..

Une conciliation manifestement déséquilibrée entre la protection des droits d’auteurs et la protection de la vie privée.

« Votre juridiction considère que le respect des droits ayant valeur constitutionnelle suppose que le législateur édicte de manière suffisamment précise les garanties permettant d’éviter que l’application concrète de la loi soit placée sous le signe de l’arbitraire » rappellent les députés. Or ici, on évoque une surveillance généralisée des réseaux, sans que les limites relatives aux moyens techniques employés aux fins d’assurer la surveillance du réseau en application de cette loi aient été fixées. « Vous pourrez à cet égard constater que les débats parlementaires n'ont pas permis de combler les silences de la loi ».

La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence

C’est la sanction de « l’incompétence négative » où le législateur renvoie à de très nombreux textes administratifs ce qu’il aurait du prendre à sa charge compte tenu du domaine d’application qui lui est imposé par l’article 34 de la Constitution : les labels, le sursis à exécution, les juridictions compétentes pour connaître des recours, la labellisation des mouchards électroniques dont on ne sait rien, la gestion des fichiers des abonnés suspectés d’avoir mal sécurisés leur ligne (10 000 par jour), ou encore les règles applicables à la procédure et à l’instruction des dossiers devant le collège et la commission de protection des droits de la haute autorité. Tout est renvoyé au pouvoir réglementaire… « Imagine-t-on une autorité disposant de pouvoirs de sanction aussi importants et dont les règles de procédure seraient fixées par décret? »

Le caractère flou et imprécis du manquement institué par la loi.

C’est une atteinte au principe de la légalité des délits et des peines et encore de l’article 34 de la Constitution,. Cette combinaison exige des textes « clair et précis », or, ici, on en est loin, estiment les parlementaires. « Les abonnés seront sanctionnés pour n'avoir pas procédé à la sécurisation de leur connexion. Or, les moyens de sécurisation se développent et évoluent constamment, ce qui implique corrélativement l'obligation pour les abonnés de suivre et de s'adapter à ces évolutions. L'obligation ainsi imposée est donc évolutive et de ce fait incompatible avec l'exigence constitutionnelle de sécurité juridique ».

Le flou devient dramatique quand on voit que « le seul fait de disposer d'une connexion Internet constituera un risque juridique qui pèsera sur tout abonné. Ce risque sera considérablement accru dès lors que la connexion sera utilisée par différentes personnes, dans le cadre familial, dans le cadre d'une entreprise ou encore d'une collectivité territoriale ».

Une sanction manifestement disproportionnée

C’est l’un des points les plus argumentés des 31 pages de la saisine. Pour ses auteurs, pas de doute : « la sanction prévue par la loi (…) excède manifestement ce qui était nécessaire à la poursuite des objectifs que s'est assignés le législateur en l'espèce ». On cible évidemment la suspension jusqu’à un an de l’accès à internet et encore l’obligation de payer son abonnement durant cette pendaison numérique. .

Pour le premier point, le document fait évidemment référence à l’importance que revêt aujourd’hui Internet. La coupure d’accès, c’est une atteinte à la liberté d’expression, à l'accès à la culture, au droit à l'éducation, à la liberté d'entreprendre, etc. « D’une manière générale, l'impact d'une telle sanction est à ce point variable selon la situation personnelle des abonnés qu'elle porte manifestement atteinte au principe d'égalité dès lors que la loi ne prend nullement en considération les situations particulières ».

Le tout est évidemment aggravé par les peines sandwich. « Le caractère disproportionné d’une telle sanction doit par ailleurs être apprécié au regard de la possibilité de cumuler les sanctions administrative, civile et pénale. En effet, aucune disposition n'empêche les représentants des ayants droit de s'adresser tant à la haute autorité qu'à la juridiction pénale en vertu du droit en vigueur. » Et les auteurs de rappeler ce fameux article 40 du NCPC : « un tel cumul de sanctions est d'autant plus plausible que les agents publics de la HADOPI sont soumis à l'article 40 du code de procédure pénale qui fait obligation aux agents publics de saisir le procureur de la République de tout délit dont ils auraient connaissance dans le cadre de l'exercice de leur fonction »

Pour le deuxième point, l’obligation pour l’abonné suspendu de payer son abonnement. Ceci « viole (…) le principe de la légalité des peines qui s’impose aussi bien aux autorités juridictionnelles qu’aux autorités administratives indépendantes ». L’explication est simple : « la disposition contestée revient à instaurer une sanction financière dont elle ne détermine pas le montant et qui variera non pas en fonction de la gravité du manquement reproché, mais selon les dispositions contractuelles en vigueur entre l’abonné et son fournisseur d’accès, la privant ainsi de base légale ». Une sanction à la carte. L’abonné Orange paiera ainsi une plus lourde sanction que l’abonné Free, tout simplement parce qu’il a choisi Orange et non pas parce que sa faute a été plus grave chez l’opérateur historique.

Dans le document, on évoque aussi un cas d’enrichissement sans cause, une disposition civile condamnable : « le législateur contribuant à l’enrichissement du fournisseur d’accès, corrélativement à l’appauvrissement de l’abonné, le tout en supprimant la cause à l’origine de leurs obligations respectives » (pour l’abonné, la « cause » contractuelle du paiement, est l’accès à Internet).

Une telle sanction ne peut être prononcée que par l'autorité judiciaire

On flirte ici avec l’amendement Bono dont on renifle les parfums (et dont la chaude actualité est rappelée en annexe). « Vous avez jugé (…) « que la méconnaissance du droit au respect de la vie privée peut être de nature à porter atteinte à la liberté individuelle ». Or, l'article 66 de la Constitution impose que cette liberté soit placée sous le contrôle de l'autorité judiciaire ».

Les compétences et les pouvoirs exorbitants reconnus à la HADOPI

Il s’agit ici de tacler tous les points noirs de la loi Hadopi source d’arbitraires. Super pouvoirs confiés aux agents assermentés, qui sont les maillons forts de la loi Hadopi qui devront constater la matérialité des faits en fonction de leur libre appréciation, de leur libre arbitre, d’obtenir l’identité de milliers de personnes et d’une masse d’informations personnelles dont on ne connait pas exactement les frontières. Les députés rappellent ainsi que « lors de l'examen de la loi relative à la lutte contre le terrorisme, sujet hautement plus sensible, vous aviez relevé que le législateur avait pris soin d'assortir la procédure de réquisition de données techniques, de limitations et de précautions propres à assurer une juste conciliation entre le respect de la vie privée et la prévention des actes terroristes

D’autres agents assermentés aux pouvoirs bien trop vastes sont visés. Ce sont ceux qui vont traquer de l’IP sur les réseaux P2P. Traitement automatisé, pouvoir discrétionnaire, possibilité de saisir au choix la Hadopi et/ou le juge civil et/ou le juge pénal « c’est-à-dire leur laisse le choix de la politique répressive à appliquer sur la base d’un fondement juridique dont les contours sont mal définis ». Bref, un régime hors des sentiers de la sécurité juridique et surtout du juge, comme l’a encore dénoncé la CNIL dans son rapport.

Autre module aux contours louches, la Commission des droits, celle qui inflige quotidiennement les 10 000 mails, 3000 lettres recommandées et les 1000 décisions allant jusqu’à la coupure. Est mis à l’index le caractère discrétionnaire de cette institution qui pourra selon la météo enjoindre l’abonné de mettre un logiciel mouchard, ou « à chaque degré de la « riposte graduée », (…) décider si elle sanctionne ou non les « abonnés » (…) Un tel dispositif conduit potentiellement à sanctionner dans certains cas, un internaute suspecté d'avoir à trois reprises commis une infraction et de laisser d'autres internautes commettre un nombre indéfini d'infractions sans que cela donne lieu ne serait-ce qu'à une seule recommandation ». Au terme de longs développements, les auteurs concluent qu’un « tel dispositif de sanction aléatoire se conjugue mal avec un système de sanction massive (…) le dispositif mis en place constitue un système de sanction automatique déguisé puisqu'il sera matériellement impossible de procéder à une individualisation des peines prononcées ».

Une atteinte caractérisée au principe du respect des droits de la défense et au droit à un recours effectif.

L'effectivité du respect des droits de la défense suppose la reconnaissance du droit de connaître les faits qui sont reprochés. Or, ce n’est qu’à la demande expresse de l’abonné, que ce dernier pourra obtenir « des précisions sur le contenu des œuvres ou des objets concernés… ». Sans cela, il recevra un simple courrier dans lequel il devra deviner quelle est l’œuvre qui a été téléchargée avec son IP. Autre atteinte aux droits de la défense, l’impossibilité de contre-attaquer avant la décision de sanction (coupure ou injonction de mettre un logiciel payant). La loi estime que les mails et lettres sont de simples recommandations, des rappels à la loi. Or, « l'impossibilité de former un recours contre ces recommandations placera les abonnés dans une situation où ils n'auront pas l'occasion de pouvoir établir une erreur matérielle». Il devra subir et se taire, du moins quand il aura eu la chance de recevoir le mail (quid si l’abonné Free préfère utiliser Gmail).

« D’une manière générale, le dispositif mis en place se traduit par une robotisation de la justice incompatible avec les exigences précédemment citées du droit à un procès équitable, du respect des droits de la défense et de la présomption d’innocence »

 L’instauration d’une présomption de culpabilité. L’imputabilité des actes de téléchargement et l’atteinte caractérisée au principe de personnalité des délits et des peines.

On s’attaque ici le fondement du texte puisque la loi repose uniquement sur l’adresse IP, faible petite série de chiffres aux effets dévastateurs pour une famille ou une entreprise, sans que la moindre perquisition n’ait eu lieu. En vertu du principe constitutionnel de présomption d’innocence, il appartient à celui qui porte l’imputation d’apporter la preuve de la matérialité et de la réalité du manquement », là ? On se base uniquement sur « les faits susceptibles de constituer un manquement à l’obligation » de sécurisation. Et la présomption ne peut être renversée que dans le cas de la force majeur, de la démonstration d’une intrusion par un tiers, ou si l’abonné a mis en place un logiciel de sécurisation. « Cette obligation de surveillance est potentiellement discriminante dans la mesure où son respect est largement dépendant des compétences informatiques de chaque abonné puisqu’il sera nécessaire d’installer et de mettre à jour régulièrement ce logiciel de sécurisation. (… ) L’application de la loi conduira à une rupture d’égalité entre ceux qui pourront accéder à ce service payant et les autres ». Sans parler du partage de connexion dans une colocation


L’article 10 viole le principe de proportionnalité et porte atteinte à la liberté d’expression

C’est l’ultime point de la saisine qui concerne le filtrage. Dans le texte de la Hadopi, le juge peut exiger tout et n’importe quoi chez quiconque dès lors que cette action permet de stopper l’accès à un contenu protégé par le droit d’auteur. « Une telle disposition méconnaît, d’une part, le principe de proportionnalité et, d’autre part, la liberté d’expression » estime-t-on. Pour le second point, « la possibilité de bloquer, par des mesures et injonctions, le fonctionnement d’infrastructures de télécommunications (allant donc au-delà des hébergeurs et fournisseurs d’accès à Internet) pourrait priver beaucoup d’utilisateurs d’Internet du droit de recevoir des informations ou des idées, droit qui est protégé par » cette liberté constitutionnelle ; de plus, les destinataires de ces mesures « n’auront d’autre choix que de prendre des mesures préventives (…) [comme] des mesures restrictives de l’accès (par exemple, un filtrage automatique pour un certain protocole) fondées sur de pures conjectures quant à leur responsabilité potentielle. Une telle attitude risque de freiner, de manière injustifiée, l’accès à des informations disponibles en ligne et donc de porter atteinte à la liberté d’expression. »

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