Hier de 16h30 à 1h30 du matin, ont repris les débats à l’Assemblée nationale. (notre compte rendu intégral, partie I,partie II) La soirée s’est surtout manifestée par une succession d’avis défavorables émis par Christine Albanel et Franck Riester contre tous les amendements déposés sur le texte, quelle que soit l’épaisseur des arguments avancés par leurs auteurs (de toutes les couleurs politiques). Mais des éléments importants ont été donnés sur les technologies de filtrage qui se cachent dans le projet de loi.
L’un des points forts a donc été ce chapitre du filtrage. Dans les nombreuses missions confiées à la Hadopi est prévue une évaluation d’expérimentation du filtrage. Que dit le texte ? « [La Hadopi] évalue (…) les expérimentations conduites dans le domaine des technologies de reconnaissance des contenus et de filtrage par les concepteurs de ces technologies, les titulaires de droits sur les œuvres et objets protégés et les personnes dont l’activité est d’offrir un service de communication au public en ligne. Elle rend compte des principales évolutions constatées en la matière, notamment pour ce qui regarde l’efficacité de telles technologies, dans son rapport annuel. (…) Elle identifie et étudie les modalités techniques permettant l’usage illicite des œuvres et des objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sur les réseaux de communications électroniques. Dans le cadre du rapport (…)elle propose, le cas échéant, des solutions visant à y remédier ».
Des accords de l'Elysée oubliés
Les termes sont limpides : reconnaissance des contenus et filtrages, expérimentation avec les sociétés spécialisées en collaboration forcée avec les FAI, le tout consigné dans un rapport annuel. Ce texte, qui a été voté hier soir par les députés, en l’étant va ainsi conduire à des tests grandeurs natures visant à mettre place le filtrage des contenus.en France.
Ce ne sont que des tests, mais les accords de l’Élysée étaient limpides : ils n’envisageaient ces mesures qu’en cas de faisabilités techniques et financières, pas au-delà. Avec cet article, le projet pousse l’expérimentation en faisant l’économie de ces contraintes. Il y aura et devra y avoir des tests, un point c’est tout.
Le député Brard, avec sa verve bien connue, avait eu beau expliquer que l’utilisation des technologies de reconnaissance des contenus et de filtrage « relève de logiques de régimes autoritaires non démocratiques » et que ce dispositif était « inacceptable ». En vain.
Le député Bouillonnec, qui a démultiplié hier soir les arguments constitutionnels contre ce texte, critiquait lui aussi cet article estimant que l’on va confier à une autorité administrative un dossier présentant « une dimension quasi scientifique et technologique. Pensez-vous que la Hadopi va pouvoir suivre quand le reste du monde ne s'occupera pas de cette technocratie sans mesure ? » s’interrogeait en substance l’intéressé. En vain.
La CNIL et l'Arcep éjectées
Plusieurs parlementaires demandèrent que l’ARCEP soit associée pour évaluer ces outils (Tardy et Brard), aidée de la CNIL (Billard). « l'Arcep s'occupe des tuyaux, non des utilisateurs » répondra le rapporteur Riester qui ne veut pas associer l’autorité qui réglemente les tuyaux, lorsque ces intermédiaires sont justement cités dans l’article de loi. « C'est une technologie de reconnaissance des contenus menés par les acteurs d'internet (!) et l'industrie de la Culture » insistera Christine Albanel. On se souvient aussi que la Fédération Française des Télécoms, l’AFA mais aussi Free via Xavier Niel s’étaient tous opposés à ces mesures. En vain.
Martine Billard constatera ainsi un glissement d’ampleur dans le projet puisqu’on passe de la protection des droits d'auteurs à la reconnaissance de l'ensemble des contenus qui vont circuler. « Ce n'est plus création et internet, mais surveillance de l'internet ! N'introduisez pas la surveillance de la toile ! » réclamera la députée Vert, suivie d’un Mathus qui reprochera à la Ministre de fabriquer « un Frankenstein de l'ère numérique, délégué aux mains des intérêts privés avec des listes officielles labélisées (…) On peut être stupéfait de l'énormité des moyens, mais aussi au regard des principes de droit qui régissent nos libertés dans notre République. Il y a une fuite en avant ! »… Et tout cela, en dehors de la sphère judiciaire.
Un filtrage qui pourra être intrusif
L’un des autres points chauds de la discussion sera l’amendement de Martine Billard qui a voulu que ces technologies de filtrage « ne soient pas intrusives ». Avis défavorable, en chœur, d’Albanel et Riester. Très avare d’explications, la ministre de la Culture lâchera tout de même qu’avec cet article, « il n’y a aucune espèce de surveillance, mais de simples expérimentations menées par les acteurs de la Culture avec les FAI sur la possibilité de mettre en place un système qui empêcherait de pirater. C'est tout. Il n'y a aucun dispositif de surveillance ». La ministre s’est voulue rassurante : elle décrira en quelques mots ce dispositif qui sera « un tatouage sur les œuvres qui permettrait d'empêcher le piratage à la source ultérieurement. Il n'y a aucune espèce de filtrage ». Un filtrage qui ne filtre pas, donc... mais qui pourra être intrusif. Voilà qui peut inquiéter alors que le projet de loi Hadopi va pouvoir s'intéresser, en l'état actuel du texte, aux échanges par mails et toute autre forme de communication électronique.
Ajoutons aussi que l'article 5 du projet, qui permet au juge d'imposer toute mesure à toute personne donc au FAI et donc le filtrage, ne sera pas rediscuté. IL a été voté conforme, il n'en sera plus question. IL est définitivement adopté.
"Elle est finalement utile cette deuxième lecture. On va avoir une vision globale de ce texte. Et nous n'avons pas encore adopté la question des logiciels de sécurisation !" nous commente-t-on en fin de matinée à l'Assemblée nationale. Justement...
Un pont possible avec la mission Sirinelli sur le dépôt des oeuvres
Fait piquant, nous avions interrogé Oliver Henrard, juriste de Christine Albanel sur les outils de sécurisation lors d’une soirée organisée par le Club Parlementaire sur l’audiovisuelle, tenu par Frédéric Lefebvre.
En marge de cette rencontre, nous avions posé la question suivante à l’éminent juriste : il n’existe aucune base exhaustive des œuvres protégées (MP3, DIVX, etc.). Comment l’outil de sécurisation que devra installer l’abonné internet va permettre à celui-ci de ne pas télécharger du Carlos si l’outil ne sait pas quelles sont les œuvres à protéger. Faudra-t-il envisager un filtrage protocolaire ? La réponse ci-dessous (en présence d'un journaliste tiers auprès de qui nous nous sommes présentés dans les premiers instants de l'extrait audio) :
Olivier Henrard relativisera néanmoins l’interventionnisme étatique, assurant que le ministère est agnostique sur les technologies de filtrage et que toute la confiance sera portée sur le marché libre : la fameuse main invisible sera chargée de définir la meilleure solution entre filtrage de contenu, protocolaire… etc. La riche conversation fut interrompue par l’arrivée de M. Lefebvre.
L’un des points forts a donc été ce chapitre du filtrage. Dans les nombreuses missions confiées à la Hadopi est prévue une évaluation d’expérimentation du filtrage. Que dit le texte ? « [La Hadopi] évalue (…) les expérimentations conduites dans le domaine des technologies de reconnaissance des contenus et de filtrage par les concepteurs de ces technologies, les titulaires de droits sur les œuvres et objets protégés et les personnes dont l’activité est d’offrir un service de communication au public en ligne. Elle rend compte des principales évolutions constatées en la matière, notamment pour ce qui regarde l’efficacité de telles technologies, dans son rapport annuel. (…) Elle identifie et étudie les modalités techniques permettant l’usage illicite des œuvres et des objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sur les réseaux de communications électroniques. Dans le cadre du rapport (…)elle propose, le cas échéant, des solutions visant à y remédier ».
Des accords de l'Elysée oubliés
Les termes sont limpides : reconnaissance des contenus et filtrages, expérimentation avec les sociétés spécialisées en collaboration forcée avec les FAI, le tout consigné dans un rapport annuel. Ce texte, qui a été voté hier soir par les députés, en l’étant va ainsi conduire à des tests grandeurs natures visant à mettre place le filtrage des contenus.en France.
Ce ne sont que des tests, mais les accords de l’Élysée étaient limpides : ils n’envisageaient ces mesures qu’en cas de faisabilités techniques et financières, pas au-delà. Avec cet article, le projet pousse l’expérimentation en faisant l’économie de ces contraintes. Il y aura et devra y avoir des tests, un point c’est tout.
Le député Brard, avec sa verve bien connue, avait eu beau expliquer que l’utilisation des technologies de reconnaissance des contenus et de filtrage « relève de logiques de régimes autoritaires non démocratiques » et que ce dispositif était « inacceptable ». En vain.
Le député Bouillonnec, qui a démultiplié hier soir les arguments constitutionnels contre ce texte, critiquait lui aussi cet article estimant que l’on va confier à une autorité administrative un dossier présentant « une dimension quasi scientifique et technologique. Pensez-vous que la Hadopi va pouvoir suivre quand le reste du monde ne s'occupera pas de cette technocratie sans mesure ? » s’interrogeait en substance l’intéressé. En vain.
La CNIL et l'Arcep éjectées
Plusieurs parlementaires demandèrent que l’ARCEP soit associée pour évaluer ces outils (Tardy et Brard), aidée de la CNIL (Billard). « l'Arcep s'occupe des tuyaux, non des utilisateurs » répondra le rapporteur Riester qui ne veut pas associer l’autorité qui réglemente les tuyaux, lorsque ces intermédiaires sont justement cités dans l’article de loi. « C'est une technologie de reconnaissance des contenus menés par les acteurs d'internet (!) et l'industrie de la Culture » insistera Christine Albanel. On se souvient aussi que la Fédération Française des Télécoms, l’AFA mais aussi Free via Xavier Niel s’étaient tous opposés à ces mesures. En vain.
Martine Billard constatera ainsi un glissement d’ampleur dans le projet puisqu’on passe de la protection des droits d'auteurs à la reconnaissance de l'ensemble des contenus qui vont circuler. « Ce n'est plus création et internet, mais surveillance de l'internet ! N'introduisez pas la surveillance de la toile ! » réclamera la députée Vert, suivie d’un Mathus qui reprochera à la Ministre de fabriquer « un Frankenstein de l'ère numérique, délégué aux mains des intérêts privés avec des listes officielles labélisées (…) On peut être stupéfait de l'énormité des moyens, mais aussi au regard des principes de droit qui régissent nos libertés dans notre République. Il y a une fuite en avant ! »… Et tout cela, en dehors de la sphère judiciaire.
Un filtrage qui pourra être intrusif
L’un des autres points chauds de la discussion sera l’amendement de Martine Billard qui a voulu que ces technologies de filtrage « ne soient pas intrusives ». Avis défavorable, en chœur, d’Albanel et Riester. Très avare d’explications, la ministre de la Culture lâchera tout de même qu’avec cet article, « il n’y a aucune espèce de surveillance, mais de simples expérimentations menées par les acteurs de la Culture avec les FAI sur la possibilité de mettre en place un système qui empêcherait de pirater. C'est tout. Il n'y a aucun dispositif de surveillance ». La ministre s’est voulue rassurante : elle décrira en quelques mots ce dispositif qui sera « un tatouage sur les œuvres qui permettrait d'empêcher le piratage à la source ultérieurement. Il n'y a aucune espèce de filtrage ». Un filtrage qui ne filtre pas, donc... mais qui pourra être intrusif. Voilà qui peut inquiéter alors que le projet de loi Hadopi va pouvoir s'intéresser, en l'état actuel du texte, aux échanges par mails et toute autre forme de communication électronique.
Ajoutons aussi que l'article 5 du projet, qui permet au juge d'imposer toute mesure à toute personne donc au FAI et donc le filtrage, ne sera pas rediscuté. IL a été voté conforme, il n'en sera plus question. IL est définitivement adopté.
"Elle est finalement utile cette deuxième lecture. On va avoir une vision globale de ce texte. Et nous n'avons pas encore adopté la question des logiciels de sécurisation !" nous commente-t-on en fin de matinée à l'Assemblée nationale. Justement...
Un pont possible avec la mission Sirinelli sur le dépôt des oeuvres
Fait piquant, nous avions interrogé Oliver Henrard, juriste de Christine Albanel sur les outils de sécurisation lors d’une soirée organisée par le Club Parlementaire sur l’audiovisuelle, tenu par Frédéric Lefebvre.
En marge de cette rencontre, nous avions posé la question suivante à l’éminent juriste : il n’existe aucune base exhaustive des œuvres protégées (MP3, DIVX, etc.). Comment l’outil de sécurisation que devra installer l’abonné internet va permettre à celui-ci de ne pas télécharger du Carlos si l’outil ne sait pas quelles sont les œuvres à protéger. Faudra-t-il envisager un filtrage protocolaire ? La réponse ci-dessous (en présence d'un journaliste tiers auprès de qui nous nous sommes présentés dans les premiers instants de l'extrait audio) :
Dans l’esprit des coauteurs de ce texte, il y aura un jour ou l’autre une liaison entre les outils de sécurisation, le filtrage et le dépôt légal des œuvres. Le pont n’est pas en béton armé, mais c’est une potentialité. Olivier Henrard poursuivra en indiquant qu'i"l n'y a pas de lien nécessaire mais il y a une cohérence".
Le dépôt des œuvres légales est actuellement étudié par une mission confiée au Pr. de droit, Pierre Sirinelli au sein du CSPLA (notre actualité, et celle-ci). Elle reviendra à inciter les créateurs à déposer leurs œuvres afin qu’elles soient justement marquées par un tatouage numérique, ce fameux tatouage dont faisait référence Albanel hier soir. La boucle serait-elle bouclée ?
Le dépôt des œuvres légales est actuellement étudié par une mission confiée au Pr. de droit, Pierre Sirinelli au sein du CSPLA (notre actualité, et celle-ci). Elle reviendra à inciter les créateurs à déposer leurs œuvres afin qu’elles soient justement marquées par un tatouage numérique, ce fameux tatouage dont faisait référence Albanel hier soir. La boucle serait-elle bouclée ?