Piratage, offre légale : interview de l'éditeur X Marc Dorcel

L’actualité liée à Magmafilm, éditeur de film X qui transmet des lettres aux P2Pistes les enjoignant à verser plusieurs centaines d’euros sous peine d’une action en justice, nous a poussés à contacter un autre grand nom du secteur. Nous avons interrogé à cette fin Gregoire Dorcel, directeur de publication de Marc Dorcel.

marc dorcel

Des éditeurs de films pornos ont lancé des procédures sur les réseaux P2P. Qu’en est-il des éditions Marc Dorcel ?

Cela fait longtemps que l’on fait cela, plus de huit ans. Et c’est assez simple : à partir du moment où on détecte un contenu internet et non seulement en tire un revenu commercial, on attaque.

Est-ce que vous avez fait appel comme Magmafilm à des sociétés suisses pour traquer l’IP ?

Pour être clair, on n’a pas un système de poursuite global et généralisé, on traite au cas par cas en fonction d’abus identifié. Des sites abusent beaucoup plus que d’autres. Ceux-là, clairement, quel qu’en soit le prix, ils sont poursuivis.

Nous avons pourtant eu l’écho selon lequel vous faisiez appel à Copyright Agency comme Magmafilm…

On fait appel à Copyright pour protéger certaines de nos productions ; la démarche n’est pas la même : le coût de protection de tous nos programmes serait beaucoup trop cher et ne peut être supporté par une société comme la nôtre. Par contre, on le fait systématiquement pour tous nos blockbusters, celles à plus fortes potentielles.

Mais est-ce que vous faites comme Magmafilm, avec la lettre de menace mettant l’abonné devant une alternative : soit vous nous payez X centaines d’euros pour le dommage subi, soit c’est la plainte éventuelle ?

Nous on ne poursuit pas l’usager. On ne poursuit que les professionnels qui en font commerce. Globalement, on poursuit systématiquement tout ce qu’on appelle nous les professionnels du piratage, ceux qui en tirent une rémunération.

Sur les réseaux P2P, on n’arrive pas à déterminer ce caractère…

En ce qui concerne Copyright, leurs actions se limitent à avertir les usagers qu’ils ont tenté de télécharger un fichier de façon piratage. On leur rappelle que ceci est illégal. Bien sûr, on pourrait envisager toutes mesures légales, mais on ne l’a jamais fait pour l'instant, car on ne s’est pas heurté à des usagers qui pirataient massivement malgré nos alertes.

Vous évaluez à combien vos pertes avec la généralisation prolifération des réseaux P2P ?
C’est simple : 90% des volumes de films tout confondus, que ce soit de l’adulte ou traditionnel, sont consommés de manière pirate sur le Net. On a 10% qui se font de façons légales, incluant la consommation DVD. Le débat actuel nous fait sourire ! Aujourd’hui : 90% de la consommation se fait de façon illégale sur le net.

Pourquoi cela vous fait-il sourire ?

Car les gens qui en débâtent ont 10 ans de retard. On parle du piratage aujourd’hui comme si cela représentait 5 à 10% des volumes. Ce n’est pas 5 ou 10 qu’il représente, c’est 90%. C’est valable pour nous comme les tuyaux hollywoodiens. Clairement les demi-mesures proposées par les gouvernements ou les professionnels nous font doucement sourire, rires jaunes malheureusement. On n’en est plus là, d’avertir l’usager, de lui envoyer des lettres, etc. Nous ce qu’on prône : c’est couper l’accès au réseau P2P.

Donc un filtrage protocolaire

Évidemment, oui.

Ce filtrage avait été envisagé dans des livres blancs d’ayants droit comme possible solution…

C’est déjà appliqué par certains FAI à l’étranger, d’autres y réfléchissent. Aujourd’hui, les mêmes FAI sont encore en train de travailler pour engranger de l’abonnement. Il y a deux ans, l’ensemble de la communication de ces intermédiaires était basé sur la mention « téléchargement de vidéo et musique en illimité ». Voilà : d’un côté, le business pour ces FAI est d’engranger de l’abonnement encore sur ces bases-là. De l’autre côté, ces mêmes FAI qui sont aujourd’hui pour la majorité dans le monde des offres triple play, fournissent aussi de la VOD et d’autres services qui vendent du contenu. Donc, d’un côté, ils donnent tous moyens à l’usager pour accéder à un contenu illicite gratuit. De l’autre, ils sont également chargés de commercialiser ce même contenu. Il arrivera un jour, peut être trop tard, où ces opérateurs seront bien obligés de prendre les mesures qui s’imposent, c'est-à-dire permettre l’accès au contenu de façon légale et payante et rendre impossible l’accès au contenu illégal. Pour nous ce dossier du piratage est simple : il y a eu un transfert de valeur qui s’est fait. L’ensemble du chiffre d’affaires perdu pour les producteurs et éditeurs de contenu a été gagné par les FAI en ventes d’abonnement.

Donc pour vous le projet Hadopi n’est ni sérieux, ni assez vigoureux ?

On est plutôt impliqué sur le net à la différence de la plupart des acteurs qui parlent de ces projets et qui ont une méconnaissance totale du web. Pour notre part, la majorité des internautes que l’on connait et qui piratent du contenu, nous disent : « merveilleux, on était dans l’angoisse en ce moment plus qu’avant d’être attaqué ou inquiété juridiquement parce qu’on piratait trop. Si cette fameuse loi passait, au moins on serait préalablement avertis ce qui laisse toute tranquillité pour continuer à pirater allègrement ».

Maintenant, pour notre part, il est complètement stupide de vouloir condamner un usager pour une consommation illégale, si de l’autre côté on ne met pas tous les moyens à disposition pour favoriser la consommation de ce contenu illégal ! Nous on considère qu’on ne peut pas reprocher aux usagers de consommer de façon pirate puisque les robinets sont grands ouverts. Il faudrait qu’on arrête d’agiter du contenu gratuit et illégal sous le nez des internautes. On ne peut faire l’un et taper sur les doigts, de l’autre. C’est un non-sens. Pour nous, l’usager consomme de la façon la plus facile. L’usager n’est pas pirate dans l’âme. Lui, ce qu’il veut, c’est d’avoir accès aux films de la façon la plus simple.
D’un côté, il nous apparait évident qu’il faut proposer déjà à l’usager les meilleures plateformes et les meilleures offres possibles pour accéder aux contenus tout à fait légalement. C’est ce qu’on a fait nous chez Marc Dorcel puisque ça fait huit ans qu’on a lancé nos plateformes VOD qui ont la réputation d’être leader en la matière sur toute l’Europe.

DorcelVision.com c’est plusieurs millions de téléchargements par an. Vraisemblablement, force est de constater que quand on a un service correct pour le consommateur, il préfère aller sur un service légal bien identifié, sécurisé, où il pourra trouver facilement le contenu qu’il souhaite, plutôt que s’attarder sur les réseaux P2P. Ça c’est la base. Ensuite : développement des plateformes sur le web, mais … elles y sont déjà. L’autre contrainte : il faut du contenu frais ! Aujourd’hui, nous en la matière, décision a été prise de mettre à disposition nos contenus sur ces plateformes le premier jour de leur disponibilité, et parfois même avant. Et de plus en plus avant. Avant que le film soit disponible par d’autres moyens, le premier moyen par lequel il est disponible, c’est sur Dorcel Vision. Je pense que si l’ensemble des acteurs de l’audiovisuel faisaient la même chose, cela réglerait une partie du problème. Aujourd’hui, le marché audiovisuel tente à vous donner envie au maximum de consommer un film, mais vous oblige à le consommer uniquement en allant au cinéma pendant les 6 premiers mois d’exploitation. Un non-sens marketing, commercial, d’usage ! Dans le monde dans lequel on vit, les consommateurs veulent consommer où ils veulent, instantanément. Aujourd’hui, on est dans le kolkhoze dans l’audiovisuelle.

Mais le souci, ce sont les chaînes payantes qui ne veulent pas de cette publication immédiate en VOD…

Aujourd’hui ce qui bloque, c’est ceci : un, les revenus des gros producteurs hollywoodiens, sont assurés par la distribution DVD, par les entrées en salles, et par les chaînes payantes. Donc, déjà, clairement, il y a une grande frilosité des producteurs pour changer de modèles, car aujourd’hui la VOD ne représente pratiquement rien terme de chiffres d’affaires. Évidemment, il y a la crainte de perdre un modèle qu’on connait pour aller vers un modèle qu’on ne connait pas.

La chose la plus importante n’est pas celle-ci : c’est qu’on a un blocage complet des chaînes payantes et des exploitants de salles. Maintenant, malheureusement la réalité un jour sera celle-ci : on ne pourra pas protéger les chaînes payantes et les exploitants en salle en n’ayant comme conséquence que de favoriser le piratage. Les chaînes payantes et les salles n’auront bientôt plus de contenu à se mettre sous la dent. Pourquoi ? Car le volume du piratage sera trop important. Le piratage a eu déjà raison du marché du locatif, la première fenêtre. Les audiences générées aujourd’hui par des films traditionnels hollywoodiens en TV ne font plus recettes. Regardez les audiences sur TF1, F2, M6…. C’est un sinistre. Pourquoi ? Car proposer des films qui ont 3 ans à la TV alors que 60% de la population y a déjà eu accès en autre par voie de piratage, c’est un non-sens. Résultat : il n’y a plus que les programmes frais, les programmes flux en direct, sports, talkshow, TV réalité, etc. qui arrivent à générer de l’audience.

Globalement, d’un côté, nous on entend le discours des chaînes TV et des salles qui essayent de protéger mordicus leur marché, maintenant, ils ont une vision à court terme ; le problème est de s’occuper de la consommation pirate qui ne profite à personne. Le problème n’est pas de savoir si le revenu des chaînes et des salles va baisser ou pas en cas de sortie simultanée en VOD. Je ne le crois pas : au contraire, cette sortie simultanée parait tout à fait normale. Pour n’importe quel autre produit, culturel ou non, quand vous le sortez vous essayez d’être présent partout. C’est le phénomène de masse qui amplifie la consommation et la notoriété d’un film.

Globalement, je pense que c’est encore complètement méconnaitre aujourd’hui le web et le volume que représente le piratage. On est en plus de cela dans une vision ultraconservatrice qui a dix ans de retard sur les produits de consommation. Pour l’usager c’est évident, il est tout à fait en droit de le réclamer : on vous « tease », on vous pousse à aller un consommer un film, et de l’autre côté, on vous dit qu’il est consommable pendant quelques semaines qu’en salle de cinéma et puis après vous devrez attendre 6 mois pour trouver un autre moyen, vers d’autres temps, d’autres usages, ceux que ma génération de trentenaires ne connait plus. Et le pire c’est que ceux qui ont 20, 25 ans aujourd’hui, clairement, ces modes consommation là, eux, ne les ont jamais connus. Quand ils auront 10 ans de plus, globalement, ils conserveront les mêmes usages et ce sera encore plus inconcevables pas pour eux qu’ils soient obligés d’aller le voir en salle de cinéma.

Merci Grégoire Dorcel.

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