
Dans le même temps, elle a décidé de ne plus tenir compte des usages illicites pour l’évaluation des pratiques de copie privée qui servent à établir les montants. Ce jeu de vases communicants a cependant conduit non à une baisse de la ponction pour copie privée, mais à son maintien au centime près. Et Thierry Desurmont nous explique pourquoi. (on pourra consulter tous les barèmes dans cette actualité)
La Commission d’Albis devait augmenter les barèmes de la rémunération pour copie priée (RCP), pourquoi ? Et pourquoi ne l’a-t-elle pas fait finalement ?
D’abord, c’est aller vite en besogne que de dire que la RCP devait augmenter, pour deux raisons.
D’abord, il ne s’agissait pas d’augmenter mais d’actualiser la rémunération en francs constants pour tenir compte de l’érosion monétaire depuis 2001. Ce n’est pas une augmentation, mais un maintien des rémunérations existantes en francs constants. D’autre part, la commission devait délibérer hier et on ne pouvait pas donc préjuger de ce que serait cette décision. La commission a donc examiné la question de savoir si les RCP devaient ou non être actualisées pour tenir compte de cette érosion monétaire, et elle a décidé que ce n’était pas en l’état actuel des choses, opportun.
… Et pourquoi ?
Parce que la Commission, et plus précisément les ayants droit, a considéré que le contexte n’était pas favorable compte tenu de la situation difficile que connaissent les Français et qu’il ne serait pas facile de faire accepter et comprendre par les consommateurs, une telle actualisation. Les ayants droit ont donc pris cette initiative de ne pas demander à la Commission de procédure à cette actualisation de 15% envisagée. Si elle était parfaitement justifiée dans le principe, elle n’était pas opportune compte tenu du contexte.
L’actualisation est donc simplement mise entre parenthèses ?
L’éventualité n’est pas abandonnée. Maintenant, quel est le calendrier ou le montant de cette actualisation, en l’état actuel des choses, rien n’est fixé. Comme avec ce qui s’est passé hier, personne ne préjuger de ce que seront les décisions de la commission et de l’évolution des discussions et la position des ayants droit.
Le Conseil d’État avait pourtant exigé que les usages illicites soient exclus des barèmes. Comment se fait-il que malgré l’exclusion de ce paramètre, on en arrive à des barèmes identiques au centime près ?
Le Conseil d’Etat a estimé que les copies de sources illicites ne devaient pas être prises en compte pour le calcul de la RCP. Et la décision prise hier applique strictement ce principe : les rémunérations décidées excluent les copies réalisées à partir d’une source illicite.
Vous me dites pourquoi arrive-t-on aux mêmes rémunérations ? Le Conseil d’État et le Commissaire du gouvernement dans ses conclusions n’ont jamais dit que les rémunérations étaient trop élevées et que les rémunérations devaient baisser. Le Conseil d’Etat a simplement considéré que la Commission avait commis une erreur de raisonnement dans la mesure où elle n’avait pas fait la distinction, pour calculer le montant de la RCP, entre les copies de sources licites et les copies de sources illicites. La Commission a hier rectifié cette erreur de raisonnement en excluant les sources illicites du calcul de la RCP.
Alors pourquoi les rémunérations ont été maintenues ? Les ayants droit avaient fait un certain nombre de concessions extrêmement importantes pour, en prenant en compte les copies de sources illicites, arriver aux rémunérations qui avaient été adoptées auparavant et faire en sortes qu’elles soient acceptables par le marché, par les industriels et par les consommateurs. À partir du moment où on excluait les copies de sources illicites, il était parfaitement normal que la commission s’interroge sur le bien-fondé du maintien de ces concessions.
A cet égard, la décision a été prise de prendre en compte dans les conditions beaucoup plus exactes, la réalité des pratiques de compressions des particuliers lorsqu’ils procèdent à des copies privées.
On s’est aperçu – ce n’était pas un secret - que si on prenait en compte cette réalité, on arriverait à des rémunérations qui en réalité auraient été beaucoup plus élevées que celles adoptées hier.
Donc, en réalité, ce qu’a fait la commission c’est deux choses : d’abord sur la base d’une étude qui avait été commandée à l’Institut TNS Sofres, elle a apprécié l’importance des copies de sources illicites réalisées par les particuliers. Et à ce titre et en proportion, elle a diminué le montant de la rémunération applicable, pour exclure ces copies de sources illicites.
Deuxième aspect des choses : la commission a réexaminé la manière dont avaient été prises en compte les pratiques de compression dans les décisions antérieures. Elle a considéré que ces pratiques n’avaient pas été prises en compte suffisamment et que, dès lors, si on voulait effectivement avoir une vision exacte des pratiques de copies des particuliers et calculer la rémunération à proportion de ces copies et dans des conditions qui correspondant à ces pratiques, il fallait augmenter la RCP.
En fait, la rémunération aurait pu augmenter plus qu’un simple maintien des RCP en vigueur, mais les ayants droit non pas réclamés une RCP plus élevée et la Commission a estimé que dans ces conditions, le bonne équilibre, c’est effectivement le maintien des rémunérations pour tenir compte à la fois de l’étude TNS Sofres, de l’exclusion des copies de sources illicites et d’autre part, de la réalité des pratiques de compression.
La rémunération pour les DVD devait baisser de quelques centimes. Cela n’a pas été voté ?
La situation est un peu différente. Quand les ayants droit ont indiqué à la commission qu’il leur paraîtrait normal de tenir compte de l’érosion monétaire depuis 2001, il y a eu des discussions au sein de la commission. Les ayants droit avaient accepté que si effectivement l’actualisation était votée, elle ne s’applique pas aux DVD. L’idée avait été de prévoir une actualisions générale de 15%, mais de prendre une décision spécifique pour que la RCP applicable aux DVD – actuellement 1 euro. À partir du moment où les ayants droit ont renoncé d’eux-mêmes, compte tenu du contexte, à demander à la Commission de réévaluer les rémunérations a hauteur de 15%, il n’y a pas de raison de demander une baisser la rémunération des DVD qui reste donc inchangés.
Vous avez élaboré un nouveau tarif couvrant l'ensemble des téléphones utilisables à des fins de copie privée. Quels sont les critères retenus pour définir le caractère multimédia du téléphone et d’assujettir tel Nokia, tel Samsung et non tel autre téléphone ?
Les critères sont simples. Ce sont les critères prévus par la loi pour qu’un appareil d’enregistrement ou un support soit assujetti à la RCP, c’est que ces appareils puissent être utilisés pour copier et restituer des contenus protégés (phonogramme, vidéogramme, des œuvres littéraires, etc.). Pour les téléphones, sont assujettis ceux qui permettent d’écouter des phonogrammes ou visionner des vidéogrammes.
C’est un barème unique applicable à l’ensemble des téléphones multimédias y compris les baladeurs téléphoniques.
Éric Besson a formulé plusieurs propositions dans son plan de développement de l’économie numérique. Où en sont ces mesures ? Avez-vous un calendrier d’application ?
Je n’ai pas d’information particulière. La seule chose que je sais, c’est que les pouvoirs publics travaillent à traduire dans les faits ces propositions. À propos, lorsqu’on précise quelles sont les suggestions de la mission Besson, on commet souvent une erreur : on dit que le président aura la possibilité de demander une seconde délibération et on présente cela comme une innovation. Le président a toujours eu la possibilité de demander cette seconde délibération. Simplement, aujourd’hui si cette seconde délibération est demandée, elle est à la majorité simple. À l’avenir, elle sera à une majorité qualifiée (NDLR des deux tiers).
Un mot de la fin ?
Je voudrais revenir sur cette histoire des 15%. Ce qui s’est passé montre en réalité que la Commission peut fonctionner dans des conditions tout à fait satisfaisantes à partir du moment où y siègent des gens responsables, compétents et de bonne foi. Comment les choses se sont passées ? À l’occasion des débats, les ayants droit ont estimé que ce n’est pas normal que les rémunérations n’aient pas été réévaluées pour tenir compte de l’érosion monétaire.
La rémunération pour copie privée, c’est la rémunération des artistes interprètes, des auteurs, des sommes qui permettent aussi aux producteurs d’amortir leurs investissements et financer leurs activités. Et il est donc tout à fait normal que ces rémunérations évoluent en fonction de l’érosion monétaire. Tellement normal que lorsqu’en 2001, les rémunérations ont été fixées, elles ont à l’époque été réévaluées pour tenir compte de cette érosion intervenue depuis 1986. Et c’est tellement normal que la décision de 2001 prévoyait que les rémunérations adoptées seraient régulièrement réactualisées pour tenir compte de l’évolution économique.
Les ayants droit ont donc évoqué cette question au sein de la commission. Les ayants droit, qui sont encore une fois des gens responsables, considéraient que le contexte actuel n’était pas favorable à une telle augmentation compte tenu des difficultés que l’on pourrait connaitre et qu’il serait difficile de la faire comprendre et l’accepter. Ils ont de même donc pris l’initiative d’indiquer à la Commission qu’en l’état ils y ont renoncé. Cela montre que la Commission est une enceinte où on peut discuter dans des conditions parfaitement raisonnables et prendre des décisions équilibrées à partir du moment où on veut bien la faire fonctionner correctement.
Et de ce point de vue, je regrette qu’un certain nombre d’industriels et d'organisations de consommateurs prennent l’habitude de pratiquer la politique de la chaise vide, à partir du moment où ils ont le sentiment que les choses n’évoluent pas exactement comme ils voudraient. Je pense que ce n’est pas une manière de procéder, je pense que ce n’est pas conforme à ce que veut la loi et je pense que ce n’est pas comme cela qu’on arrive à des solutions satisfaisantes, justes et équilibrées. Et je ferai d’ailleurs observer que la décision prise hier l’a été sans que personne n’ait voté contre.
Encore une fois, la décision est parfaitement conforme à l’arrêt du Conseil d’État. Les rémunérations ont été calculées après qu’aient été exclus sur la base de l’étude TNS Sofres et de manière extrêmement précise les copies réalisées à partir de sources illicites. Mais ceci n’empêchait pas, au contraire, que la commission prenne en compte pour calculer les rémunérations cette fois de manière plus exacte, les pratiques de compression des particuliers. Tout cela me paraît extrêmement correct, équitable, raisonnable.
Les conditions dans lesquelles a été prise cette décision sont un démenti flagrant à tous ceux qui n’ont de cesse depuis très longtemps d’une part d’essayer de critiquer la commission et d’autre part, d’en compliquer le fonctionnement et la remettre en cause.
Merci Thierry Desurmont pour cet entretien.