Mise à jour 16:46 : Nos informations sont confirmées : en cassant la décision d’appel, la Cour de cassation a estimé que les offres étrangères qui occultent dans leurs tarifs en ligne la taxe copie privée, génèrent une concurrence déloyale et une distorsion de concurrence. La haute juridiction s’est basée sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.
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Exclusif PC INpact : Quinze euros les 100 CD vierges de l’autre côté de la frontière, soixante euros en France. La Cour de cassation va faire aujourd'hui toute la lumière sur le marché gris de la copie privée et les obligations pesant sur la tête des boutiques étrangères. Sauf surprise, elle devrait confirmer l'obligation pour les sites étrangers de vente de supports vierges, d'inclure dans leurs tarifs la taxe copie privée.
Selon nos informations, une importante décision est attendue par la haute juridiction en matière de rémunération pour copie privée. L’affaire oppose le site français RueduCommerce à Dabs.com, un des gros spécialistes dans la ventre de supports vierges. Fond du litige : l'affichage de la rémunération pour copie privée sur ces sites étrangers.
Des prix sans taxe, une concurrence déloyale ?
Comme plusieurs boutiques étrangères, Dabs propose des supports vierges sur le territoire français notamment. Or, pour RueduCommerce, aucun doute : il y a là une forme de concurrence déloyale puisque ces sociétés situées dans des États membres s’adressent au marché français sans que l’acheteur soit informé des obligations de paiement de la rémunération pour copie privée.
C’est à l’importateur et donc le plus souvent au consommateur situé en France, qu’il revient de procéder à ce paiement. Une formalité le plus souvent oubliée, déjà parce que les boutiques étrangères taisent totalement cette information. On comprend du coup leurs bons résultats dans les comparateurs de prix…
Victoire devant le tribunal, échec en appel
En justice, le site français obtenait pleine satisfaction. Un tribunal interdisait à ces sociétés étrangères de faire de la publicité en France sans mentionner la redevance pour copie privée, afin de bien informer le consommateur sur ses obligations. Le marché européen est libre, mais sûrement pas sauvage… toutefois, la victoire de Rueducommerce n’était que de courte durée.
L’affaire remontait en appel où une décision exactement inverse était rendue : pour la Cour d’appel de Paris, il n’y avait ni concurrence déloyale, ni obligation d’information sur le montant ou le versement de la taxe Sacem. Les Dabs.com et autres sociétés équivalentes pouvaient donc continuer tranquillement leurs petites affaires sur le marché Français, au grand dam des vendeurs installés dans l’hexagone, désarmés face aux différences de taxe entre la France et ses voisins européens. La gangrène du marché national pouvait-elle durer ?
Décision portée devant la Cour de cassation
La décision a finalement été portée devant la Cour de cassation qui va donc pouvoir analyser si le droit a été correctement dit dans ce dossier. Dans l’attente de cette décision, (d'un instant à l'autre) on peut déjà évoquer les longues conclusions de l’Avocat Général de la Cour de Cassation, assez souvent suivies par les magistrats chargés de rendre la décision.
Plusieurs branches d’arguments ont été écartées, sauf celles justement relatives à « l’obligation générale de renseignement » qui pèse sur le vendeur. Cette obligation, estime l’avocat général, doit conduire le professionnel à informer le consommateur des taxes, de toutes les taxes qu’il pourrait avoir à payer notamment au titre de la rémunération pour copie privée contrairement à ce qu’avait décidé la cour d’appel.
Une étude de la DGCCRF
Fait intéressant, l’avocat général a sollicité de la DGCCRF une étude plutôt riche et pas seulement parce qu’il en a retenu les principales conclusions. Cette étude atteste ainsi de l’importance du marché gris sur certains supports vierges, soit un marché qui n’est guidé, contorsionné que par les différences de taxes.
Chiffres à l’appui, la Répression des fraudes indique que lorsque le montant était de 1 euro pour les DVD-R, il ne grimpait qu’à 17 centimes en Allemagne. Difficile pour les boutiques bleu blanc rouge de tenir le cap surtout lorsque les vendeurs étrangers se placent au minimum syndical sur les informations données au consommateur. Résultat ? Globalement, le marché gris est estimé à 57% en 2006 pour ces supports. Cela signifie que plus d’un DVD sur deux échappe donc à toute perception
Application du droit français et recommandation du FDI
La lettre de la DGCCRF rappelle d’une part que le droit français s’applique en matière de concurrence déloyale et de protection du consommateur, matière d’ordre public. Or, les vendeurs ont des « obligations fortes » face aux consommateurs en France. Un arrêté de 1987 indique par exemple que l’information sur le prix des produits ou service doit faire apparaître, « quel que soit le support utilisé, la somme totale, toutes taxes comprises qui devra être effectivement payé par le consommateur ».
Une recommandation du Forum des droits sur l’Internet insiste elle aussi pour que les « professionnels étrangers actifs sur le marché français [informent] les consommateurs sur le montant de l’ensemble des sommes dues du fait de leur commande en ligne ».
Une cassation qui ne peut être que totale
Résultat ? Pour la DGCCRF, « la non intégration de la rémunération pour copie privée dans les prix de vente par les sociétés de vente en ligne étrangères constitue un défaut d’information du consommateur sur les prix, celui-ci pensant que le prix annoncé est le prix total qu’il aura à payer. Elle constitue pour les industriels français agissant sur le même marché une concurrence déloyale, en ce que les prix annoncés par les concurrents étrangers sont, de ce fait, toujours inférieurs et plus attractifs ». Et de ces multiples pistes, l’avocat général conclut à une cassation qui « ne peut être que totale ».
Il faudra attendre la décision finale de la Cour de cassation (nous l'attendons d'une minute à l'autre), mais si ces conclusions sont suivies, l’affaire enverra un signal clair aux boutiques étrangères qui jouent facilement sur le marché de la taxe pour écraser les boutiques françaises. Elle militera aussi à sa façon pour l’unification des taux en Europe, un thème à l’étude à Bruxellles puisque les différences de niveau perception restent une véritable plaie pour la transparence de ce marché. On se souviendra d'ailleurs que plusieurs boutiques, des distributeurs et fabricants ont saisi Bruxelles sur ce dossier (voir cette actualité, oui celle-ci).
Mission des sociétés de perception en France ?
D'ores et déjà, une condamnation des sites étrangers va conduire les sociétés de perception à revoir leurs méthodes et relire leurs missions. En effet, ce qu'elles ne perçoient pas sur les ventes internationales, entraîne mécaniquement des hausses sur le marché français sur qui se concentre tous les efforts de perception. n'ont elles pas demandé voilà peu une hausse de 15% de la taxe pour copie privée en France ? Or, dans ce dossier, on a surtout assisté à la passivité des acteurs chargés de la collecte alors qu'ils y ont pourtant un intérêt évident...