
« Nous avons procédé par constat d’huissier sur requête, nous avait indiqué l'UFC, avant l’assignation, on [a] fait une liste de constatations à faire pour l’huissier, validée par le tribunal. L’huissier pose ensuite les questions. Il s’agissait par exemple de constater qu’on ne peut acheter un ordinateur sans logiciel. Dire quel OS était pratiquement installé. Dire que le prix donné était le prix global, non le prix détaillé, etc. »
L’affaire est désormais tranchée par le tribunal de grande instance de Paris (jugement du 24 juin 2008).
Trois arguments pour combattre l'action de l'UFC
Face à ces demandes, Darty répondait principalement que l’enseigne n’est qu’un simple distributeur, n’ayant aucune emprise sur la stratégie des fabricants et des éditeurs, lesquels s’arrangent entre eux. Bref : il est impossible pour elle de vendre des PC nus. Par ailleurs, il n’y a là aucune vente liée car le contrat qui touche au logiciel est un contrat de licence qui confère un droit d’usage (le droit d’utiliser le logiciel) non un droit de propriété plein et entier. S’il n’y a pas transfert de propriété, il n’y a mécaniquement pas de « vente » liée. L’enseigne affirmait au surplus que PC et logiciel sont un ensemble unique, répondant à l’intérêt du consommateur. Il serait ainsi aussi illogique de vendre une voiture sans moteur…
La vente est bien liée
Aux remarques de Darty, le juge répondra d’abord que le droit d’usage est une forme de prestation de service. En conséquence, elle peut être analysée comme un des actes susceptibles de vente liée. Par ailleurs, PC et logiciels sont des produits certes complémentaires, mais parfaitement distincts et dissociables. « Ce qui n’est pas le cas pour le moteur d’un véhicule » notera presque avec humour le tribunal saisi qui rappelle enfin que PC et logiciels obéissent bien à des régimes juridiques différents, comme le soulignait justement Darty dans son argumentation.
La vente liée est excusée...
Toutefois, vis-à-vis de l’intérêt du consommateur, un fait excusant la vente liée, le tribunal considèrera celui-ci bien en question lorsqu’une vente PC et OS lui est imposée. « La substitution d’un logiciel par un autre est une tâche particulièrement délicate (…) hors de portée du consommateur moyen (…) la demande de produits « nus » étant à ce jour confidentielle » notera le juge, très sensible également à un rapport produit par Darty. L’enseigne appuiera sa position en produisant une expertise qui conclue que « l’installation de Linux sur un micro-ordinateur répondant aux attentes actuelles des consommateurs est hors de portée de ces derniers ». Selon ces experts (Feuvre et Lemaire, près de la Cour d’appel de Versailles), la désinstallation de logiciels peut compromettre la stabilité de l’ordinateur et l’installation de Linux, effectuée par ces experts donc, leur aura pris trois heures.
En somme, il y a bien vente liée, mais celle-ci est excusée par les problèmes techniques que génèrerait sa sanction. Le consommateur a intérêt d’avoir dans les mains ce couple PC et OS, malgré la vente liée, d’autant qu’installer un autre OS génère des interventions inévitables et donc des surcoûts pour le consommateur en quête d’économie.
« Darty est en droit de privilégier la distribution de produits grand public pour des raisons économiques qui lui appartiennent (…) il n’est pas contesté (…) que les professionnels ou les amateurs éclairés peuvent trouver des produits nus dans des magasins spécialisés »
... mais les prix doivent être indiqués
Cet échec apparent de l’UFC va cependant se muer en une victoire éclatante, Darty ne pouvant gagner sur tous les tableaux. S’il y a vente liée, mais excusée par l’intérêt du consommateur, il reste qu’il y a vente par lot. Conformément à un arrêté de 1987 sur les prix, les produits vendus par lots doivent mentionner le prix de chaque produit composant le lot. Un peu comme un dépanneur qui vient à domicile : le client connait le prix de la main-d’œuvre, des pièces, du transport, etc. Du coup, le tribunal envoie un coup de canon à Darty dans le cas particulier et à tous les distributeurs français : « Darty [doit] indiquer le prix des logiciels d’exploitation et d’utilisation pré-installés sur les ordinateurs qu’elle expose à la vente dans son réseau de magasins ». Le tribunal ne jugera pas l’astreinte nécessaire, puisqu’il n’y a aucune raison de penser que la société ne respectera pas cette obligation qui deviendra impérative fin juillet
Premières réactions
« C'est une décision historique, à quelques jours de la réunion organisée le 3 juillet par la DGCCRF sur la vente liée ordinateurs/logiciels. L'information des consommateurs sur les prix des différents éléments (matériel et logiciels) est un point essentiel de notre démarche. Avec cette décision, nous espérons que cette réunion verra aboutir nos propositions visant à garantir l'information des consommateurs et l'optionnalité des offres » déclare Jérémy Monnet, administrateur de l'April. L’association espère par ailleurs que cette décision du tribunal de grande instance de Paris amènera Luc Chatel à reconsidérer ses récentes prises de position sur le sujet. Luc Chatel, secrétaire d'État à la consommation, s’était opposé à un amendement législatif tentant de contraindre les vendeurs de matériels d’informer les consommateurs sur le prix individuel de chaque élément d’un lot. Autant dire que cette décision aura un goût amer pour l’intéressé.
Le 3 juillet une réunion à la DGCCRF entre les fabricants, les distributeurs et les représentants des consommateurs est organisée. Elle tentera de trouver des solutions à ce nid à problème qu’est la vente liée. À défaut, les représentants des consommateurs pourront toujours démultiplier les actions en justice sur la base de cette décision.