
Cette version pourra évidemment être modifiée avant sa présentation au Parlement, mais elle montre déjà une certaine évolution par rapport aux versions antérieures.
La riposte graduée, renversée
L’une des principales modifications est que, lorsqu’elle est saisie d’atteintes aux droits d’auteur, la commission de protection des droits aura le choix de la riposte. En cas de manquements répétés à l’obligation de sécurisation de la ligne internet, elle pourra ordonner directement la suspension de l’accès Internet pour une durée d’un an assortie de l’impossibilité, pour l’abonné, de souscrire une offre chez un FAI concurrent. Selon la version du texte, il ne sera pas nécessaire de respecter les deux premiers étages de la riposte graduée (mail puis LRAR) et le caractère répété des manquements s’appréciera sur une période d’une année. Qu'est-ce que ce caractère répété ? Deux téléchargements de MP3 devraient en théorie pouvoir justifier une coupure, puisqu'il y a répétition.
Du jour au lendemain, M ou Mme Dupont pourra donc être déconnecté si sa ligne internet a servi plusieurs fois à télécharger sur eMule... Ces mécanismes confirment les critiques de l’ASIC que nous révélions en exclusivité ce matin et promettent de grosses économies dans le traitement de masse du piratage apparent.
Transaction : de 1 à 6 mois de coupure
Dans cette procédure, il pourra y avoir transaction entre le titulaire de la ligne et la Commission afin d’éviter le coup de ciseau. La carotte au lieu du bâton : la suspension de son abonnement internet pour une durée plus courte, d’un mois ou de six mois. S’il refuse : c’est un an de mort numérique. Maigre consolation, son téléphone et sa télévision par IP devront continuer de fonctionner. D’ailleurs, il aura l’obligation de payer son abonnement internet plein pot, comme si rien ne clochait. « Cette suspension n’affecte pas le versement du prix de l’abonnement au fournisseur du service, car celui-ci ne doit pas assumer les conséquences d’un comportement dont la responsabilité incombe à l’abonné » dit en des termes guillerets l’avant-projet.
Le filtrage de masse confié à une autorité dite indépendante, non à un juge
La Haute Autorité pourra demander aux intermédiaires techniques, « de prendre (…) toute mesure propre à faire cesser ou à prévenir une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne ». En clair, à filtrer un contenu qu’un ayant droit ne veut pas voir sur le web. Cette mission « extraordinaire » est actuellement dévolue au président du tribunal de grande instance statuant sur requête qui se verra donc dessaisi. Pour les ayants droit, c’est l’assurance d’une procédure rapide, discrète, bien huilée et surtout très économique, et pas seulement au regard des droits de la défense.
Coupure + peine civile + peine pénale : la riposte multipliée
Un abonné dont la ligne a servi au piratage et qui a donc été suspendu, pourra être en plus poursuivi au pénal (sanction) comme au civil (réparation des ayants droit). C’est là la double (triple) peine que nous évoquions ce matin et qui donne une saveur de plomb à la riposte qu’on pensait graduée.
Des abonnés délaissés, experts en sécurité
L’article 22 de l’avant-projet enlève une belle épine des pieds des FAI. Ils ne sont plus obligés de fournir des dispositifs pour permettre aux abonnés de sécuriser leur ligne. À eux donc de se débrouiller seuls. Monsieur Tout-le-Monde devra maîtriser au mieux la sécurisation du protocole Wifi…
Un abonné d’une ligne qui a servi au piratage pourra toujours échapper à la riposte graduée s’il prouve qu’il a utilisé des moyens de protections efficaces contre le piratage ou s’il démontre qu’il y a eu contournement de ces protections par un tiers ou en cas de force majeure. Des preuves très complexes à apporter, on s’en doute, pour le simple particulier qui ne parvient même pas à sécuriser sa ligne.,
De son côté, la Quadrature du Net demande « instamment à François Fillon d'intervenir pour que les institutions de la République cessent de se déshonorer et de perdre leur temps et l'argent du contribuable à essayer de rendre acceptable ce projet par des artifices rhétoriques ».
Nous reviendrons au fil du temps sur ce texte en gestation et dont l’accouchement semble bien douloureux.