
Elle fait suite à plusieurs déclarations publiques du secrétaire d’Etat Luc Chatel minimisant la portée de ce problème à l’Assemblée : « Beaucoup de fabricants proposent déjà des ordinateurs nus, ou fonctionnant sous le système d’exploitation gratuit Linux ». La déclaration ne fut guère appréciée par ce groupe, alors que le même Luc Chatel dénonçait plus tôt ces pratiques quand il était député. L'attitude du gouvernement s'explique cependant par l'arrivée surprise de la Cour de cassation dans ce débat.
Plusieurs violations du code de la consommation
Dans le courrier précité, il est rappelé que depuis plusieurs années déjà, la DGCCRF est saisie ou informée de ces questions et surtout qu’à ce jour, aucune décision n’a été prise pour faire stopper ces pratiques.
Par contraste, les auteurs de la missive dressent l'inventaire des infractions générées par la vente couplée ordinateur et logiciels (OS, etc.) : vente forcée, défaut d’affichage des prix ventilés des éléments compostant le lot, et obligation d’information sur les caractéristiques essentielles des biens ou services vendus. La liste est longue, et l’on n’hésite pas à rajouter une possible pratique anticoncurrentielle au regard de l'article L. 420-2 du code de commerce : la mesure blinderait la position dominante de Microsoft (95% de parts du marché grand public) en rendant complexe, voire impossible, toute pénétration du marché par un concurrent.
Une justice de proximité en opposition
Mais Microsoft n’est pas la seule entreprise en cause : tous accords passés entre constructeurs avec les éditeurs constituent un terreau favorable à ce type d’atteintes aux droits des consommateurs. En bout de chaîne, le préjudice est pourtant réel. Un consommateur s‘est par exemple fait rembourser 310 euros sur un achat de 599 euros, pour cause de vente liée (jugement du tribunal de proximité de Puteaux). Mais d’autres décisions de premier degré (Schiltigheim) ont laissé supposer que la vente liée PC/OS pouvait être excusée par une exception montrée de toute pièce par la justice : l’intérêt du consommateur.
Du côté DGCCRF, face à ces hésitations, le dossier est toujours à l’étude même si l’on considère que dans une vente PC et OS, il y a bel et bien deux élements distincts : d'un côté une licence d’utilisation sur un logiciel, substituable avec d’autres produits du marché, et de l'autre, un droit de propriété sur du matériel. Et que forcer ce couplage, est une vente liée.
Deux tours de table, un tour de passe-passe
Ce qui est encore acquis, c’est une partie des tours de table organisés voilà un an par cette même DGCCRF. Lors d’une première réunion, la direction de la concurrence et de la répression des fraudes avait invité avec des représentants de l'UFC Que Choisir, de l’AFOC (FO), de la CLCV, de l'ADEIC (association de défense, d'éducation et d'information du consommateur), du groupe de travail Détaxe, de l’April et de l’AFUL. Des solutions concrètes furent proposées. Un deuxième tour de table fut organisé avec les industriels dès décembre 2006.
Arguments des industriels
De cette dernière réunion, les industriels, fournisseurs, ont exposé leur point de vue : premièrement, face à une offre avec logiciels préinstallés, il n’y a pas de vente liée puisqu’un ordinateur ne peut fonctionner sans système d’exploitation. En somme, Il n’y a qu’un seul et même ensemble, un produit unique. Deuxième couche d’arguments : quand bien même il y aurait deux produits distincts, l’offre du marché répond à la demande des consommateurs et rentre donc dans l’exception jurisprudentielle (définie dans d’autres domaines que l’informatique, dans les années 80.) Enfin, dernière couche, ceux qui le désirent, peuvent toujours s’adresser à un monteur de PC.
Une synthèse impossible
Logiquement, une réunion de synthèse aurait dû aboutir à une issue, mais en vain : cette dernière manche n’a jamais été organisée. De fait, entre partisan et adversaire de la vente liée, les oppositions étaient telles que la DGCCRF préféra ajourner cette synthèse promise dans les agendas.
Néanmoins, on nous l'assure, pendant toute l’année 2007, plusieurs consultations juridiques et économiques ont eu lieu au sein de la DGCCRF, notamment en droit comparé. On a par exemple étudié le cas de la vente liée sur le terrain concurrentiel (y a-t-il abus de position dominante, etc.).
Une décision politique, suspendue à une décision de justice
En attendant, c'est le point mort. La cause est simple : la balle est dans le camp du politique, puisque compte tenu de la sensibilité du dossier, Bercy se refuse à prendre une décision qui pourrait modifier profondément le schéma économique de la distribution informatique.
Côté gouvernement, la position actuelle a été justement exposée dans une réponse récente mais passée inaperçue. Elle a été faite au sénateur Lecerf fin novembre qui questionnait Luc Chatel sur la problématique. Prenant appui sur des décisions de proximités contradictoires, le gouvernement a fait preuve encore d'une grande prudence: « sur le fond, l'analyse du mode de commercialisation des micro-ordinateurs montre qu'il comporte des avantages, mais aussi des inconvénients pour les consommateurs » a estimé M. Chatel.
Celui-ci explique au surplus que « sur le plan juridique, des décisions de justice sont attendues au début de l'année 2008, notamment à la suite de l'action engagée par une association agréée de consommateurs ». En somme, la décision politique est elle-même suspendue à une décision de justice menée par l’UFC Que Choisir. Mais quelle décision ? Et en quoi une décision de première instance est-elle si importante ?!
En réalité, nous avons appris aujourd'hui l'existence d’un recours en cassation contre la décision précitée du tribunal de proximité de Puteaux. Acer, qui a été condamnée à rembourser les logiciels vendus en lot, a contesté devant la juridiction suprême l’application du code de la Consommation sur ces questions.
Intervention risquée de la Cour de cassation
La décision est attendue dans les prochains mois et sera historique puisque jamais la haute juridiction n’a donné sa position sur ce marché très particulier. En attendant, pris dans cet étau, l'attitude de prudence de Luc Chatel s’explique enfin : « Il est prématuré d'établir un bilan concret des initiatives en cours, largement tributaires de procédures judiciaires dont il a été fait état, même si une vigilance doit être maintenue afin d'encourager les distributeurs à mieux satisfaire la demande légitime des consommateurs ».
Du côté d'Acer cette fois, et des industriels plus largement, on joue son va-tout : la justice pourrait, en un arrêt de principe, chambouler le régime bien huilé de la vente liée. Là même où DGCCRF et politiques peinent à trouver des solutions depuis des années.
A l'opposé, si la Cour de cassation légitimait malgré tout la vente liée, ou si le dossier trainait trop, rien n'est totalement perdu. Des pistes alternatives sont prêtes dans les cartons du Ministère des Finances : on évoque par exemple une possible ventilation des prix sur les étiquettes afin d’informer le consommateur sur les éléments constituant le lot. Cette issue aurait le mérite d'éclairer le consommateur lequel ferait alors son choix en pleine responsabilité. Mais, souligne-t-on, ce n’est qu’une piste.