Le Sénat adopte le volet Open Data de la loi Numérique, ses reculs avec

Le Sénat adopte le volet Open Data de la loi Numérique, ses reculs avec

Des hauts débats

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Xavier Berne

Publié dans

Droit

27/04/2016 11 minutes
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Le Sénat adopte le volet Open Data de la loi Numérique, ses reculs avec

Les sénateurs ont adopté hier la majeure partie des dispositions « Open Data » du projet de loi Numérique. La plupart des reculs observés en commission des lois ont été entérinés par la Haute Assemblée.

Des formats ouverts « optionnels »

Sur les conditions d’ouverture des documents administratifs (rapports, études, statistiques, codes sources...), les élus du Palais du Luxembourg ont tout d’abord refusé de contraindre les administrations à transmettre leurs fichiers aux citoyens dans un « format ouvert et aisément réutilisable ». Cela se fera uniquement « si possible » – tout du moins si ces dispositions sont maintenues en l’état d’ici à l’adoption définitive du texte. « L'interopérabilité n'est pas une obligation démesurément lourde » a pourtant tenté de faire valoir le sénateur Jean-Pierre Sueur (PS), rejoint notamment par l’écologiste Corinne Bouchoux : « La mention « si possible » limite l'exercice du droit à communication par la publication et constitue un obstacle à l'accès et à la réutilisation des informations publiques. »

Axelle Lemaire, la secrétaire d’État au numérique, a elle aussi plaidé pour que les formats ouverts soient la règle, non une exception. « Les données publiées par les administrations prennent trop souvent la forme d'un simple scan, généralement au format PDF, ce qui les rend difficilement réutilisables par les entreprises, les citoyens, les associations (...). La publication dans un standard ouvert n'aura pas de coût significatif pour les organismes publics, croyez-moi : elle ne s'applique qu'à des documents déjà disponibles sous forme numérique. Les gains, eux, sont considérables, tant pour les entreprises que pour nos concitoyens. Et même pour les parlementaires ! »

Le rapporteur Frassa (LR), qui avait proposé l’ajout de cette mention « si possible » durant les débats en commission, n’a cependant pas voulu lâcher de lest : « La rédaction ne fait que reprendre les termes de la loi sur la gratuité de la réutilisation des informations du service public [votée fin 2015, ndlr]. Je vous invite donc à la constance. »

Suppression de la référence au « secret des affaires »

La principale avancée des débats d’hier concerne probablement le « secret des affaires », qui aurait pu devenir un « justificatif » permettant aux administrations de ne pas communiquer un document administratif – de la même manière qu’il est aujourd’hui interdit de divulguer des fichiers portant atteinte au secret médical, à la protection de la vie privée ou au secret industriel et commercial. Ce qui avait inquiété au plus haut point l’association Regards Citoyens : « Citoyens, journalistes ou associations n'auront plus du tout accès aux documents décrivant les dessous d'un partenariat public privé, ceux d'un marché public, les contrats commerciaux d'administrations comme l'IGN avec Google ou Microsoft, ou encore les informations liées au bon fonctionnement des services de transport en commun. »

Sur le banc du gouvernement, Axelle Lemaire a défendu la suppression de cette référence. « Depuis quarante ans, la notion de secret industriel et commercial a été précisément définie : secret des procédés – code source d'un logiciel par exemple – des informations financières, des stratégies commerciales et industrielles, de la liste des fournisseurs... En revanche, la notion de secret des affaires, mentionnée ici et là, n'est jamais définie dans notre droit. Le projet de directive en cours de discussion est très polémique, car il ignore les lanceurs d'alerte. Attention à la confusion juridique, voire au recul démocratique ! » a prévenu la locataire de Bercy.

La secrétaire d’État au Numérique a clairement mis en garde les sénateurs : « Si la notion de secret des affaires est introduite ici, on estimera que le Sénat a enterré l'Open Data en France. » L’intéressée fut notamment rejointe par la sénatrice Corinne Bouchoux. « Il n'y a pas d'inquiétude à avoir : les secrets sont bien protégés. Y ajouter le secret des affaires ne sert à rien et donnera une image contraire à ce que nous voulons faire. Revenons aux garanties de la loi CADA, a exhorté l’élue. On ouvre tout, et on fabrique un coffre-fort à mettre à la cave... Qui comprendra ? »

Cette fois, les sénateurs n’ont pas suivi l’avis (défavorable) du rapporteur aux amendements de suppression soutenus par le gouvernement, les écologistes et les socialistes. « Quel est ici l'enjeu ? s’est défendu Christophe-André Frassa. Ouvrir les données de nos SPIC [services publics industriels et commerciaux, ndlr] sans entraver leur innovation ni leur compétitivité. Car la définition française du secret professionnel est large et elle s'étend à des activités confrontées à une concurrence mondiale. L'acception large du secret en matière industrielle et commerciale faite par la CADA a évité les abus, mais le Conseil d'État lui préfère celle de « vie privée » des personnes morales, notion qui laisse d'ailleurs assez perplexe la Cour de cassation... Ne figeons pas cette jurisprudence. »

Possibilité de diffuser certaines données personnelles

Toujours dans les points positifs, notons l’adoption de cet amendement du groupe socialiste, en vertu duquel certaines données personnelles contenues dans des documents administratifs pourront être rendues publiques, sans qu’il ne soit nécessaire de les anonymiser. Dans certains cas de figure, cela s’avère aujourd'hui aberrant (par exemple lorsqu’il s’agit d’organigrammes). « Une start-up a voulu cartographier tous les médecins grâce aux données de la Cnam, a de son côté raconté Axelle Lemaire. Celle-ci lui a enjoint de retirer les informations publiées : il fallait de nouveau obtenir le consentement des médecins concernés, anonymiser les données – quel intérêt alors ? – ou obtenir une modification réglementaire. »

En pratique, il est prévu qu’un décret, pris après avis de la CNIL, fixe une liste des « catégories de documents » pouvant être rendus publics sans avoir fait l’objet d’une anonymisation.

Les normes AFNOR sortent du périmètre des documents administratifs

Retour au rayon des points noirs. Les élus du Palais du Luxembourg ont fait sortir du périmètre des documents administratifs communicables au citoyen « les documents produits dans le cadre du processus de normalisation ou en résultant ». Le centriste Olivier Cadic estimait que sans l’adoption de son amendement, le modèle économique de l’AFNOR – et par la même occasion les entreprises et la compétitivité françaises – serait négativement impactée. « L'AFNOR est une association qui exerce une mission de service public et reçoit des subventions publiques. Les normes qu'elle produit sont, par nature, publiques » a objecté la secrétaire d’État au numérique. En vain.

Restrictions également sur les codes sources

Autre recul : les sénateurs ont certes rejeté l’amendement qui tendait à exclure les « codes sources » du périmètre des documents administratifs communicables par principe au citoyen qui en fait la demande, mais les « personnes publiques ou privées chargées d’une mission de service public dans un secteur exposé à la concurrence » seront néanmoins « dispensées » de cette obligation de transparence – à l’image de la SNCF. « Votre crainte est infondée » a pourtant rétorqué Axelle Lemaire au sénateur Doligé, qui affirmait que les GAFA risquaient de s'approprier les technologies de certains acteurs français « sans avoir à effectuer le moindre investissement ». Les sénateurs n’ont suivi ni l’avis défavorable de la secrétaire d’État au numérique, ni celui du rapporteur.

Limitations en série pour l'Open Data par « défaut »

Les discussions d’hier se sont enfin concentrées sur l’article 4 du projet de loi Numérique, lequel instaure un régime d’ouverture « par défaut » de certaines données publiques – alors que le citoyen doit aujourd’hui réclamer un document administratif pour en obtenir, individuellement, la communication. Tandis qu’il était jusqu’ici expressément prévu que toutes les personnes chargées d’une mission de service public (ministères, collectivités territoriales, autorités administratives indépendantes, établissements publics, opérateurs privés d’eau ou d’électricité, etc.) diffusent systématiquement ces fichiers « dans un standard ouvert aisément réutilisable », les sénateurs ne sont pas revenus sur la suppression de cette précision capitale par la commission des lois. En l’état, il sera donc question d’une simple mise en ligne – qui ne garantira en rien que les données libérées soient juridiquement et techniquement réexploitables...

Parmi ces fichiers à diffuser par principe, devront entre autres figurer les documents administratifs communiqués aux citoyens qui engageront au fil du temps des procédures « CADA », afin d’obtenir des statistiques, une délibération, une circulaire, une correspondance, un code source de logiciel, etc. Sauf que la commission des lois a souhaité que l’administration ne soit contrainte de mettre en ligne ces fameux documents que lorsque ceux-ci auront « fait l’objet de demandes de communication émanant d’un nombre significatif de personnes ».

Mais pour le sénateur Yves Rome (PS), cette faculté de s'opposer à une publication ne pouvait « être laissée à la seule appréciation de l'administration, d'autant que ce critère [de « nombre significatif »] est bien flou ». La rapporteur Frassa s’est sans surprise opposée à ce que cette mention saute. « Protégeons les [administrations] des demandes intempestives, répétitives et infondées : voilà ce que veut dire « significatif » » a-t-il fait valoir. Les sénateurs ne l’ont toutefois pas suivi, puisqu’ils ont adopté l’amendement de suppression des socialistes.

Retour des seuils

Alors que la commission des lois avait souhaité que ces nouvelles obligations d'ouverture par défaut reposent sur toutes les administrations, les parlementaires ont réintroduit en séance publique la référence au seuil d’agents ou de salariés (qui sera défini ultérieurement par décret) permettant de définir précisément quels seront les acteurs publics concernés. « Ce seuil ne serait ni pertinent ni transparent pour les citoyens » avait pourtant objecté Christophe-André Frassa, alors que les sénateurs socialistes demandaient à ce que le législateur tienne compte des difficultés d'application de ces dispositions pour les petites administrations.

Contrairement aux députés, les sénateurs ont d’autre part refusé que les services d’archives soient tenus de diffuser leurs documents d’ores et déjà numérisés. « La publication systématique des archives numérisées ne freinera nullement le processus de numérisation en cours, elle valorisera au contraire le travail des services. Beaucoup restent trop difficiles d'accès, notamment pour les chercheurs » clamait le communiste Jean-Pierre Bosino. Le gouvernement et le rapporteur se sont néanmoins opposé à son amendement : « La charge serait excessive pour les départements responsables de leurs propres archives mais aussi dépositaires des archives des autres administrations, y compris des services déconcentrés de l'État. Le Sénat veut-il s'engager dans cette voie ? s’est faussement interrogée Axelle Lemaire. Déjà, plus de 400 millions de documents d'archives numérisés sont accessibles en ligne. N'allons pas jusqu'à en faire une obligation. »

Une énième restriction a été ajoutée s'agissant de la diffusion par les administrations des « règles définissant les principaux traitements algorithmiques utilisés dans l'accomplissement de leurs missions lorsqu'ils fondent des décisions individuelles ». Le Sénat a en effet souhaité que cela ne s’applique qu’aux acteurs publics dont le nombre d'agents ou de salariés sera supérieur à un seuil fixé ultérieurement par décret. L’entrée en vigueur de ces dispositions sera elle aussi fixée par décret, et au plus tard deux ans après la promulgation de la loi Lemaire, ont tenu à préciser les parlementaires.

sénat
Crédits : Xavier Berne (licence: CC by ND 2.0)

Pour être maintenues en l'état, ces dispositions devront obtenir l'aval des députés, que ce soit dans le cadre d'une commission mixte paritaire ou suite à une nouvelle lecture à l'Assemblée nationale. Les débats entre les deux chambres promettent donc d'être nourris...

Écrit par Xavier Berne

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Introduction

Des formats ouverts « optionnels »

Suppression de la référence au « secret des affaires »

Possibilité de diffuser certaines données personnelles

Les normes AFNOR sortent du périmètre des documents administratifs

Restrictions également sur les codes sources

Limitations en série pour l'Open Data par « défaut »

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Commentaires (4)


Chouette travail de votre part ! Faire un résumé de tout cela ne doit pas être facile.


Axelle Lemaire fait du bon boulot ! Dommage qu’elle ne soit pas suivie.


Les arguments sortis de part et d’autres sont intéressants : charge de travail pour l’administration, constance par rapport à d’autres textes, clarté de la loi, risques en terme de compétitivité…


Leur a-t-on bien expliqué à quoi ça sert ? J’ai l’impression qu’ils n’ont pas tout à fait compris.