Loi Numérique : l’art et la manière de donner la priorité au logiciel libre

Loi Numérique : l’art et la manière de donner la priorité au logiciel libre

Le Code de la root

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Marc Rees

Publié dans

Droit

26/04/2016 6 minutes
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Loi Numérique : l’art et la manière de donner la priorité au logiciel libre

Une petite bataille parlementaire se déroule sur l’un des articles du projet de loi Lemaire. Il vise à favoriser le logiciel libre au sein de l’État et ses ramifications. Seulement, tous les amendements en ce sens ne déploient pas la même musculature.

Souvenez-vous. À l’Assemblée nationale, les députés avaient adopté une disposition au sein de l’article 9 ter du projet de loi sur le Numérique, visant à ce que « les services de l'État, administrations, établissements publics et entreprises du secteur public, les collectivités territoriales et leurs établissements publics encouragent l'utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l'achat ou de l'utilisation d'un système informatique ». Après un rude échange, ils n'avaient pas souhaité aller plus loin en donnant la priorité au libre comme le plebiscitait la consultation citoyenne.

Seulement, ce texte même allégé n’a pas survécu en Commission des lois au Sénat. Le rapporteur a jugé en effet non souhaitable « de maintenir […] une disposition exempte de portée normative et qui comporte, en outre, une injonction au Gouvernement. »

La priorité au libre accordée par plusieurs groupes

Cette semaine, en préparation des débats en séance, le Groupe communiste républicain et citoyen a malgré tout réintroduit la disposition initiale : « La priorité envisagée est une option et non une injonction, dès lors l’argument de contrariété au droit européen de la concurrence n’est pas recevable. »

Même réaction du groupe écologiste, avec une proposition déjà amendée par Gaetan Gorce. Le sénateur PS veut, non donner la priorité à l’utilisation du libre, mais imposer que les administrations recourent à ces licences, nuance importante !

Du côté de la sénatrice Garriaud Maylam, suivie d’une dizaine d’autres parlementaires LR, on estime que malgré la circulaire Ayrault de 2012, « le recours aux logiciels libres ne progresse pas significativement dans les administrations, comme en a témoigné par exemple le renouvellement en 2014 du contrat cadre liant en exclusivité le Ministère de la Défense à Microsoft Europe (dont le siège social est en Irlande) ».

Comme ses collègues des autres bords, elle dégomme donc les arguments du rapporteur considérant qu’« une telle priorité n’interdit nullement l’acquisition d’un logiciel fermé, si celui-ci répond mieux que les logiciels libres aux spécifications d'exigence fonctionnelle définies par l'adjudicateur public dans son cahier des charges ». Et elle rappelle que la priorité au libre a déjà été reconnue dans le secteur de l’enseignement supérieur en 2013. « Il serait donc surprenant qu’un principe jugé opportun pour le service public d’enseignement supérieur et de recherche soit rejeté pour les autres administrations. »

Fait notable, son amendement renvoie à un décret le soin de définir les modalités d’application de cette priorisation du libre dans le domaine public, ce qui rend plus nerveuse et normative sa proposition.

Le critère de la souveraineté

Chez les centristes, Catherine Morin-Desailly et Loic Hevré reprennent cette logique, mais sous une autre plume :

« Parmi les critères d’attribution des marchés publics ayant pour objet le recueil et le traitement des données publiques, ainsi que le développement, l’achat ou l’utilisation d’un système informatique, le recours à un prestataire ou à une solution technique ne menaçant pas la souveraineté numérique nationale et assurant une maîtrise des données publiques concernées est pris en compte par priorité par les pouvoirs adjudicateurs au sens de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ainsi que par les établissements publics et entreprises ayant le caractère de service public industriel et commercial. »

Dans leur angle d’attaque, plutôt qu’évoquer un objectif d’encouragement ou de priorisation au logiciel libre, les deux sénateurs demandent à ce que les marchés publics aient pour critères l’utilisation d’un système ou d’un prestataire non menaçant pour la souveraineté numérique nationale, tout s’assurant de la maitrise des données. « L’indépendance technologique, l’interopérabilité, l’auditabilité du code source, et surtout la maitrise de leurs données par les administrations doivent être des éléments essentiels dans les choix des prestataires ayant en charge le recueil et le traitement des données publiques, tout comme la gestion ou l’équipement des parcs informatiques publics » exposent-ils en appui de leur texte.

Sans mentionner des acteurs comme Microsoft ou l’expression même de « logiciel libre », les deux élus considèrent que « les choix par défaut de solutions commerciales les plus répandues sans considération des questions de souveraineté numérique ne peut perdurer au sein de nos administrations : l’exigence du choix de solutions techniques garantissant que l’institution publique concernée pourra conserver le contrôle de ses données et la maitrise du code source est essentielle ».

Le PS y va aussi de son amendement

Ces amendements ont été enfin enrichis en dernière ligne droite par un texte signé du groupe socialiste. En tête de fil, le sénateur Jean-Pierre Le Sueur voudrait que les administrations « veillent à préserver la maîtrise, la pérennité et l’indépendance de leurs systèmes d’information ». Elles doivent ainsi encourager « l'utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l'achat ou de l'utilisation, de tout ou partie, de ces systèmes d’information ».

Sa version initiale demandait à ce que les administrations soient « tenues de préserver » la maitrise, la pérennité et l’indépendance de leur SI. Rectifié, le texte actuel est donc un cran en-dessous puisqu’elles ne doivent plus que « veiller à préserver » ces critères.

Même si l'amendement est plus en retrait que les autres, la petite phrase est intéressante car de deux choses l’une : ou bien le groupe socialiste considère que les administrations ne parviennent pas à « préserver la maîtrise, la pérennité et l’indépendance de leurs systèmes d’information » et il y a un cinglant message adressé au gouvernement. Ou bien cette phrase est inutile car sans effet.

Écrit par Marc Rees

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

La priorité au libre accordée par plusieurs groupes

Le critère de la souveraineté

Le PS y va aussi de son amendement

Commentaires (12)


Ce qui m’étonne le plus, c’est qu’aucun n’ait attaqué par le coût de la chose, que l’on soit obligé de justifier que c’est bien nécessaire de dépenser de l’argent là où un logiciel libre est disponible…



Ils annonceront le pourquoi, et si le pourquoi n’est pas réaliste… Il faudrait les empêcher d’acheter et qu’ils prennent le logiciel libre.

Je leur laisse chercher le moyen de briser l’inertie administrative, pour ma part, je n’ai aucune idée de comment faire (l’inertie de l’armée ou du ministère de l’intérieur vu de l’intérieur est impossible à freiner de ce que j’en ai vu).


Le truc c’est que le coût du libre n’inclue pas que la licence d’origine…



Si on demande un contrat pour du support, sur certaines solutions libres/opensource/toussa il n’existe absolument rien de “global” applicable à tout un état/une administration… idem pour les cycles de formation etc…



Au final, tu trouves des cas où le libre coute plus cher que le pas libre…



Un exemple ? Ok, je veux monter un serveur de cloud avec owncloud (par exemple) pour les mairies, je suis obligé de faire face à une install par site (ou presque) d’un soft à déployer et gérer à la mano (donc avec un consultant dispo sur place ou en hotline), ça va couter plus cher qu’une solution dropbox entreprises… Donc autant insister sur le fait que la solution owncloud permet de conserver la souveranneté sur les données


si on commence a freiner l’inertie, jusqu’où s’arrêtera-t-on … ?   :)

Mais je ne pense pas que les coûts soient si eloignés que ça, ce ne sont pas seulement le prix des licenses qui font la difference, mais plutot le suivi et la formation des agents, la maintenance des systemes, et toussa .



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Les deux compères ci-dessus ont déjà pointé du doigt le problème de l’argument du coût, mais je vais malgré tout en remettre une (plusieurs ?) couches.



&nbsp;Premièrement, anéfé, le coût total de possession d’un logiciel s’apprécie sur plusieurs années en prenant en compte développement, installation, maintenance évolutive et corrective, ainsi que formation et support des utilisateurs.

De ce fait, mettre en avant le “moindre coût” peut s’avérer trompeur pour celui à qui l’on vante les solutions libres, car s’il est certain que les économies d’échelle sont bien supérieures à celles du logiciel propriétaire, ceci ne vaut que sur le moyen / long terme. À court terme, c’est généralement kif-kif, voire pire dans certains cas.

Du coup, celui à qui l’on a vanté “l’économie”, dont le pouvoir ne dure généralement que quelques années, se retrouve face à un coût de mise en oeuvre bien supérieur à celui qu’il s’était imaginé, et sera parti lorsque les premiers bénéfices se feront sentir (si tant est que le projet ait été correctement réalisé, ce qui est un autre sujet). Du coup, ça le met dans la merde pour sa carrière personnelle. Et comme, quoique l’on puisse le regretter, l’homme politique se préoccupe de sa carrière avant tout, et démontre souvent une forte tendance à la rancune (cf les politiques et internet de manière générale ^^), il fera une croix définitive sur le concept.



&nbsp;Deuxièmement, cela participe à une course au moindre prix qui n’est pas forcément bénéfique sur le long terme parce qu’elle peut contribuer à fragiliser l’écosystème des prestataires.



&nbsp;Enfin, et surtout, cela incite à restreindre la compréhension du politique à “libre = moins cher”, passant ainsi complètement à côté des raisons bien plus profondes et bien plus essentielles de privilégier le libre, à commencer par le contrôle des données et leur exploitation.



&nbsp;Moralité : mieux vaut axer tout effort de pédagogie auprès des politiques sur le fait que le libre est un choix de raison, dont la finalité première est la sécurité de l’État et des citoyens, et qui a comme gros bonus des économies d’échelle allant croissant en fonction des années d’exploitation.



C’est bien moins casse-gueule et plus pérenne comme approche que “pas de coût de licence = économies”. :)


Ça me fait bien rire le logiciel libre…

Je travaille dans l’enseignement supérieur, et le coût de revient d’une licence RedHat Enterprise est quasiment le double d’une licence Windows Server (à fonctionnalités identiques) !


Personne ne t obligé à choisir redhat, et le niveau de support n est quand même pas le même que pour Windows server


Ma enième couche aussi, mais c’est comparer l’incomparable.

Le logiciel de RedHat est libre, donc ce n’est pas ça que tu achètes.

Le logiciel de Microsoft est ce que tu achètes, et uniquement ça.



“ préserver la maîtrise, la pérennité et l’indépendance de leurs systèmes d’information ”



A mon avis, c’est le meilleur angle d’attaque pour défendre le logiciel libre, et le meilleur argument à leur utilisation. Comment être sur de l’indépendance / la maîtrise / la pérennité de quelque chose que l’on a interdiction de regarder ?


“une injonction au Gouvernement.&nbsp;»



&nbsp;Il est vrai que cela serait dommage que l’assemblée nationale (nous entre autre) donne des directives au gouvernement. Et moi qui ai toujours cru que la république Française était basée sur ce système.


Pour remettre 2 sous dans la musique…

Dans ma boite on paie les licences Windows, on paie les licences Visual Studio, mais si je veux du support je me retrouve à payer en plus en plus, un abonnement MSDN.

Dans le logiciel libre, y’a des coûts cachés, mais y’en a aussi dans les logiciels propriétaires !








linuxludo a écrit :



Ça me fait bien rire le logiciel libre…

Je travaille dans l’enseignement supérieur, et le coût de revient d’une licence RedHat Enterprise est quasiment le double d’une licence Windows Server (à fonctionnalités identiques) !







Red Hat tu ne payes pas une « licence », tu payes ta souscription au support Red Hat, ce n’est pas la même chose.



Avant de faire ce genre de comparaison il faudrait peut-être savoir de quoi on parle…



Effectivement, j’ai utilisé le terme “licence” à tort.

Je voulais simplement dire qu’en optant pour RHEL, cela nous revient plus cher que Microsoft (+SA).

&nbsp;








linuxludo a écrit :



Effectivement, j’ai utilisé le terme “licence” à tort.

Je voulais simplement dire qu’en optant pour RHEL, cela nous revient plus cher que Microsoft (+SA).







Voilà, dit comme ça c’est déjà un peu plus spécifique.



Pas besoin de généraliser en disant « le libre ça me fait marrer » : toutes les solutions libres n’ont pas le même coût ni les mêmes prestations. Et ton employeur avait choisi une solution chez Linagora ou chez Ubuntu, ça n’aurait pas été le même prix. Si le département IT s’en occupait lui-même (en utilisant gratuitement une distrib du genre CentOS), le coût ne serait pas le même non plus.



Bref il faut se méfier quand on fait des généralités sur « le Libre »… Il n’existe pas qu’une solution, mais de multiples solutions, certaines meilleures que d’autres, certaines plus coûteuses que d’autres.