Les pistes du Sénat pour accélérer le mouvement de l’Open Data

Les pistes du Sénat pour accélérer le mouvement de l’Open Data

Les sénateurs dévalent les pistes

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Xavier Berne

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Droit

17/06/2014 15 minutes
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Les pistes du Sénat pour accélérer le mouvement de l’Open Data

Fruit de dizaines d’auditions, un rapport d’information a été déposé la semaine dernière au Sénat à propos de l’Open Data et de l’accès aux documents administratifs d'une manière plus générale. Next INpact vous propose aujourd'hui un tour d’horizon des points-clés ce volumineux document de près de 250 pages, riche d’une vingtaine de recommandations et d’un bilan sur la situation actuelle. 

sénat

La question de la transparence et de l’ouverture des données publiques se retrouve décidément de plus en plus régulièrement au cœur du débat public. En novembre 2013, le magistrat Mohamed Adnène Trojette a rendu au Premier ministre un rapport remarqué sur les modèles économiques relatifs à l’Open Data, lequel à conduit Jean-Marc Ayrault à promettre qu’il n’y aurait plus de nouvelle redevance pour l’utilisation de données libérées par l’administration française (statistiques, données géographiques, ressources juridiques, etc.).

 

En décembre, les sénateurs écologistes ont poussé à la mise en place d’une mission commune d’information « sur l’accès aux documents administratifs et aux données publiques ». C’est d’ailleurs au cours d’une des auditions menées au Sénat par cette mission que la ministre de la Réforme de l’État, Marylise Lebranchu, a annoncé que l’Open Data serait très vraisemblablement au programme du projet de loi « numérique » désormais préparé par la secrétaire d’État au Numérique, Axelle Lemaire.

Une mention « peut mieux faire » malgré de réels progrès

La semaine dernière, le président de cette fameuse mission commune d’information, le sénateur Jean-Jacques Hyest (UMP), ainsi que sa rapporteure, l’écologiste Nathalie Bouchoux, ont présenté les conclusions de leurs travaux. Leur bilan, après des dizaines d’auditions menées pendant plus de quatre mois ? « Des progrès ont été accomplis en matière d’accès à l’information publique, sur demande comme par voie de diffusion en ligne sur les sites publics, mais les réticences persistantes de l’administration déçoivent les attentes citoyennes. »

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Crédits : Sénat

Et pour cause. Si le citoyen français dispose depuis la loi dite « CADA » (pour Commission d’accès aux documents administratifs) de 1978 d’un droit de communication des documents détenus par un ministère, une collectivité territoriale ou un établissement dans le cadre de sa mission de service public, l’effectivité de ce droit souffre encore de trop nombreuses limites et exceptions. Le rapport de la MCI retient en ce sens qu’en dépit d’« avancées incontestables en matière de transparence administrative », les efforts réalisés « restent encore très en deçà des enjeux et des attentes de la société civile ».

L’inertie et les réticences de l’administration pointées du doigt

L’administration au sens large se retrouve ainsi vivement pointée du doigt. Les auteurs du rapport critiquent en effet « l’inertie persistante d’un certain nombre de services et une incontestable frilosité » de la part d’administrations, lesquelles n’hésitent pas à faire usage d’une « interprétation extensive » des documents exclus du droit de communication, quand ce ne sont pas « des refus opiniâtres dénués de tout fondement juridique et souvent imputables à des considérations extérieures à la loi de 1978 » qui sont opposés aux citoyens formulant une demande CADA un peu trop gênante...

 

Avec un risque mécanique : si l’administration continue de traîner des pieds en dépit de l’avis de la CADA, le demandeur se voit contraint de saisir le tribunal administratif. Une procédure bien plus lourde mais surtout très lente attend alors le particulier (un délai moyen de 17 mois est mis en avant par les sénateurs), qui peut légitimement être déçu et découragé... Aux yeux de la mission d’information, ce type des situations constitue « une atteinte aux droits des citoyens ».

L’Open Data, un mouvement encore « largement inachevé »

Ensuite, c’est l’impulsion donnée plus spécifiquement en matière d’Open Data qui est questionnée par les auteurs du rapport. Selon eux, le mouvement d’ouverture des données publiques enclenché en particulier depuis 2011 repose certes sur une « une approche incitative et volontariste », mais le tout s’avère « largement inachevé ». Saluant ainsi les « résultats significatifs » dont peuvent aujourd’hui se prévaloir les pouvoirs publics, les sénateurs observent que les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des attentes générées par les différents discours...

 

Ils soulignent à cet égard que la réutilisation des données publiques se heurte à plusieurs obstacles bien identifiés. Tout d’abord, il est question de « difficultés techniques et méthodologiques », tenant principalement au format des données - en particulier du fait de l’existence de processus de production de données différents entre les administrations. Les « réticences administratives » sont ensuite à nouveau pointées du doigt, et l’insuffisance des compétences et des moyens internes aux services mise en avant pour expliquer que certaines administrations aient du mal à sauter le pas.

 

marylise lebranchu

 

Troisième vecteur de déception : l’accès aux données et informations publiques sur Internet. Aux yeux des sénateurs, l’information disponible se révèle en effet « lacunaire », tandis que sa qualité est décrite comme «  inégale (en raison, notamment, de la tardiveté des mises à jour, d’une certaine instabilité méthodologique ou de sa grande technicité) ». Aussi, « l’identification de l’information recherchée apparaît souvent difficile » aux internautes, notent les auteurs du rapport.

Améliorer l’effectivité du droit d’accès aux documents administratifs

Face à ces différents constats, la mission commune d’information du Sénat a formulé une série de recommandations qui se veulent « pragmatiques ».

Tout d’abord, les sénateurs proposent de créer un « référé communication », qui permettrait d’obtenir du juge administratif, sous 48 heures, une ordonnance pour la divulgation d’un document. La procédure serait cependant bien particulière, puisqu'effectuée par la CADA, dès lors que celle-ci serait saisie par un particulier souhaitant obtenir un document dont « la question de la communicabilité du document a déjà été tranchée par la jurisprudence ou par la CADA, ou si le document figure sur une liste fixée par arrêté après avis de cette dernière ». Nous reviendrons plus en détails sur ces aspects dans le cadre d’un prochain article.

Garantir la qualité et l’étendue de la diffusion en ligne

Dans un second temps, les sénateurs ont élaboré à une batterie de mesures dont l’objectif serait d’assurer un « droit d’accès numérique à l’information publique ».

 

Contraindre légalement les administrations à mettre en ligne « systématiquement et immédiatement » tous les « documents d’intérêt général » étant « les plus fréquemment demandés ». Autrement dit, plus besoin d'aller devant la CADA pour réclamer la divulgation d'un tel document. Quels sont les fameux documents « d’intérêt général » qui auraient ainsi vocation à entrer dans ce champ ? Même si les sénateurs expliquent que cette liste serait fixée par décret, ils évoquent notamment les documents d’urbanisme (PLUI, plans de circulation, études d’impact en matière d’environnement, etc.), les informations relatives aux organes délibérants des collectivités territoriales (composition, indemnités,...), ainsi que les rapports d’activité des administrations.

 

« Afficher clairement et de manière uniforme le caractère officiel des sites publics. » Afin que les internautes puissent savoir en un seul coup d’œil qu’ils se trouvent sur un site officiel aux données certifiées, les auteurs du rapport demandent à ce que les sites publics « reprennent systématiquement le logo tricolore de la République française et la Marianne », mais aussi qu’ils « affichent clairement et de manière uniforme leur caractère officiel, par l’adoption d’une charte graphique commune imposant par exemple dans un bandeau visible sur chaque page ». Une proposition déjà portée dans le passé par le Conseil national du numérique notamment.

 

Les sénateurs estiment ensuite, dans le même ordre d’idées, qu’il serait « souhaitable » que les administrations « s’attachent à mieux documenter les informations qu’elles publient, en indiquant, notamment, la source ou l’auteur du document, la date de sa création ou de sa mise à jour, ainsi que, le cas échéant, les liens vers les données ouvertes utilisées pour l’élaborer ». Les élus du Palais du Luxembourg ont également songé à la mise en place d’un moteur de recherche spécifique à l’ensemble des sites publics. Mais pour cela, ils prônent l’instauration préalable d’un « référentiel unique de description des informations », qui permettrait par exemple de mieux répartir les données en fonction de catégories.

 

Toujours dans le même filon, ils demandent aux administrations de veiller dans la mesure du possible « à l’intelligibilité pour le plus grand nombre des informations publiques mises en ligne ». En clair, les sénateurs en appellent à une plus grande pédagogie, afin que les données ouvertes soient plus facilement lisibles par le public, que ce soit grâce à des commentaires explicatifs ou à des illustrations de type carte ou graphique par exemple.

Identifier toutes les données publiques, pour mieux prioriser leur ouverture

Recenser l’ensemble des bases de données détenues par les administrations. Il s’agit là d’une mesure de très grande envergure, visant à se doter à terme d’une « cartographie détaillée de l’ensemble des bases de données publiques ». Les auteurs du rapport proposent que l’administration identifie chaque base de données, en précisant au passage sa nature, son statut juridique et ses caractéristiques techniques.

 

À terme, l’objectif est clair : évaluer l’opportunité et le coût de l’ouverture de chaque jeu de données, voire, pour ceux qui sont déjà en ligne, celui de leur amélioration ou de leur mise à jour. À l’appui d’une telle cartographie détaillée de l’ensemble des bases de données publiques, les sénateurs affirment que l’on disposera « d’une évaluation précise de l’état d’avancement de la démarche d’ouverture, administration par administration ».

 

Et, très logiquement, le rapport explique qu'il faudrait se servir de cet outil pour « prioriser l’ouverture des données publiques : identifier les jeux de données à rendre prioritairement disponibles ou, s’ils sont déjà en ligne, à enrichir, en fonction des coûts et des attentes exprimées par la société civile ou les administrations ». Cette priorisation devrait pouvoir être décidée par l’administration concernée, éventuellement avec l’aide de la mission Etalab (l’institution chargée du développement de l’Open Data en France).

 

data.gouv.fr

 

Mais comment faire pour inciter les administrations à ouvrir certaines données précisément identifiées, alors que celles-ci sont justement épinglées pour leur inertie ? Les sénateurs ont leur petite idée : ils plaident pour que « les objectifs et le calendrier d’ouverture des bases de données publiques » soient inscrits dans les contrats d’objectifs conclus entre les services et leur autorité de rattachement. Ces engagements pourraient porter à la fois sur un calendrier, ainsi que sur des modalités d’ouverture des données (format retenu, fréquence de mise à jour envisagée, enrichissement éventuel,...).

 

Pour veiller au respect de ces objectifs, le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) et la mission Etalab pourraient être chargés d’effectuer « un suivi centralisé de la progression, administration par administration, de l’ouverture des données publiques ».

Préparer un terrain favorable à l’ouverture des données

« Anticiper l’ouverture des données », et ce dès le stade de leur production ou de leur recueil. Les sénateurs pensent ici qu’il serait judicieux de prévoir, dès la passation d’appels d’offre par exemple, le recueil des données et la structuration de leur enregistrement. Cela devrait selon eux passer par « l’utilisation systématique de formats d’enregistrement et de traitement ouverts et réutilisables ». À terme, l’idée est bien d’assurer « l’automatisation de la production des jeux de données diffusés en Open Data ».

 

Établir un « référentiel général de réutilisabilité des données », afin que chacun puisse s’approprier plus facilement les jeux mis en ligne. Plus concrètement, il serait question de mettre en place des règles que l’administration devrait impérativement respecter d’un point de vue technique, dès lors qu’un nouveau jeu de données serait ouvert : choix de format, anonymisation des données, granularité, nomenclature des API, documentation et de constitution des métadonnées...

 

Les auteurs du rapport estiment en outre qu’une harmonisation similaire devrait avoir lieu sur un plan juridique. En effet, alors que les licences de réutilisation s’avèrent assez nombreuses, ils demandent à l’administration de préférer « la licence ouverte, créée par l’État, et la licence ODbL (open database license) ».

 

Former à l’Open Data certains acteurs précisément identifiés au sein des administrations centrales et déconcentrées, dans les collectivités territoriales et chez les grands opérateurs publics. La mission d’information du Sénat affirme qu’il est « nécessaire à la fois de renforcer les compétences des services techniques chargés de mettre en œuvre l’open data et de former certains personnels administratifs aux enjeux de l’ouverture des données publiques, afin que ceux-ci puissent jouer le rôle de référents en la matière pour tous les autres ». Ceux-ci mériteraient d’être plus clairement mis en avant au sein des organigrammes internes.

 

Les élus du Palais Bourbon font à cet égard valoir qu’il conviendrait de sensibiliser davantage les administrations et les agents publics en général « aux enjeux d’intérêt général de l’open data et aux gains d’efficacité susceptibles d’en résulter pour l’action publique, y compris dans l’exercice de leur activité ».

Repenser l’écosystème de production des données

Alors que le gouvernement a annoncé qu’il n’y aurait plus de redevance à payer pour les futurs jeux de données ouverts par l’administration, se pose plus que jamais la question de la prise en charge des coûts relatifs à l’Open Data. Face à cela, les auteurs du rapport recommandent aux producteurs de données d’anticiper la réduction de leurs ressources propres, en « poursuiv[ant] le mouvement de rationalisation de leurs coûts de fonctionnement », ainsi qu’en « développ[ant] des services complémentaires susceptibles de générer des ressources fiables ». En clair, ils sont invités à s’adapter à cette nouvelle donne.

 

Mais, de son côté, l’État est également prié de ne pas laisser tomber les administrations participant au mouvement d’ouverture des données publiques - mais aussi celles dont les redevances sont appelées à être supprimées. Les pouvoirs publics sont ainsi invités à garantir « le maintien du budget d’exploitation de l’opérateur, à mesure que ses recettes seront rognées par la disparition des redevances ou la suppression du monopole dont il bénéficie ».

 

D’une manière plus large, l’État est invité à mener « des recherches de haut niveau sur les retombées de l’ouverture des données publiques, l’appréhension de la valeur ainsi créée et les modalités alternatives de financement de la production, par l’État, de ces données ». Les sénateurs s’appuient ici tout particulièrement sur le rapport Trojette, qui préconisait notamment d’étudier la piste des financements participatifs afin de compenser le manque à gagner inhérent à la gratuité des données publiques.

 

Le principe même de la gratuité est au passage hautement remis en question par les élus du Palais du Luxembourg. Ces derniers disent en effet n’avoir pu constater que le « caractère très succinct des travaux disponibles » sur cette question. Si les « intuitions » selon lesquelles l’État profitera, in fine, des retombées économiques l’ouverture des données publiques leur paraissent « sensées », elles demeurent d’après eux « rarement étayées ». Avec l’avertissement suivant : il est « important que de telles études soient effectivement engagées, afin de ne pas s’avancer à l’aveugle sur le chemin de la gratuité ». 

 

verdier Audition d'Henri Verdier, directeur d'Etalab, pressenti pour être le futur « chief data officer » de la France.

En attendant la nomination du « chief data officer » français...

L’ensemble de ces recommandations, qui marquent avant tout un soutien fort des sénateurs concernés à l’ouverture des données publiques, intervient quelques semaines après que le gouvernement a promis de nommer prochainement un « administrateur général des données » - ou, en anglais, « chief data officer ». Une première (voir notre article).

 

Si le texte venant officialiser cette évolution n’a pas encore été publié, l’exécutif a promis que cette personne serait autorisée « à connaître les données détenues par l’administration de l’État et ses opérateurs ». Il s’agirait en quelque sorte d’un premier pas vers la cartographie des données publiques souhaitée par la mission commune d’information du Sénat. Au-delà, ce futur « administrateur général des données » pourrait bien être doté de pouvoirs concordant avec les récentes recommandations sénatoriales.

Écrit par Xavier Berne

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Sommaire de l'article

Introduction

Une mention « peut mieux faire » malgré de réels progrès

L’inertie et les réticences de l’administration pointées du doigt

L’Open Data, un mouvement encore « largement inachevé »

Améliorer l’effectivité du droit d’accès aux documents administratifs

Garantir la qualité et l’étendue de la diffusion en ligne

Identifier toutes les données publiques, pour mieux prioriser leur ouverture

Préparer un terrain favorable à l’ouverture des données

Repenser l’écosystème de production des données

En attendant la nomination du « chief data officer » français...

Commentaires (1)


Sur le fond, cela montre la difficulté des administrations à rendre compte largement et en toute transparence de leurs actions.

Nous sommes encore loin d’un service public au service des citoyens. Nous restons de simples “administrés”.



Il est à noter toutefois que de nombreuses collectivités locales fournissent de l’open data à ce jour, par contre il est difficile de savoir quelles usages en sont fait.