Renseignement : les recommandations de la CNCTR sur la surveillance hertzienne

Renseignement : les recommandations de la CNCTR sur la surveillance hertzienne

Quelle réaction, après la censure du CC ?

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Marc Rees

Publié dans

Droit

18/11/2016 6 minutes
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Renseignement : les recommandations de la CNCTR sur la surveillance hertzienne

[Exclusif]  Le 21 octobre dernier, le Conseil constitutionnel censurait une disposition reprise par la loi Renseignement, autorisant les services à surveiller trop librement les communications hertziennes. Nous publions l’avis de la Commission nationale de contrôle des techniques du renseignement (CNCTR) consécutif à cette décision.  

Saisis par la Quadrature du Net, French Data Network, la Fédération des fournisseurs d'accès à Internet associatifs et igwan.net, les sages de la Rue Montpensier n’ont pas eu beaucoup d’hésitations pour supprimer une disposition embarrassante du Code de la sécurité intérieure.

Scorie de la loi de 1991 sur le secret des correspondances, l’article L.811-5 exposait sans retenue que « la surveillance et le contrôle des transmissions empruntant la voie hertzienne » ne sont soumises à peu voire aucun encadrement. Il suffit que les services justifient une finalité généreuse, la défense des intérêts nationaux. Et hop ! Une telle liberté d'intrusion fait un peu brouillon alors que nos vies privées baignent justement dans les échanges hertziens (Wi-Fi, BlueTooth, téléphonie, etc.).

La censure du Conseil constitutionnel

Le Conseil a évidemment sorti sa lance à incendie : « Dès lors qu'elles permettent aux pouvoirs publics de prendre des mesures de surveillance et de contrôle de toute transmission empruntant la voie hertzienne, sans exclure que puissent être interceptées des communications ou recueillies des données individualisables, les dispositions contestées portent atteinte au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances » (On pourra relire notre analyse de la décision).

Suivant les sollicitations du gouvernement, le juge a néanmoins déporté au 31 décembre 2017 sa décision d’annulation. Pourquoi ? Il s’agit de ne pas priver « les pouvoirs publics de toute possibilité de surveillance des transmissions empruntant la voie hertzienne », puisque, parait-il, un coup de gomme immédiat « entraînerait des conséquences manifestement excessives ». Alors qu'il aurait surtout pour conséquence de placer cette surveillance dans le droit commun du renseignement... 

D’ici là, le même Conseil a imposé sa grille de lecture : ces dispositions « ne sauraient être interprétées comme pouvant servir de fondement à des mesures d'interception de correspondances, de recueil de données de connexion ou de captation de données informatiques soumises à l'autorisation » prévues par la loi Renseignement. Surtout, elles « ne sauraient être mises en œuvre sans que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement soit régulièrement informée sur le champ et la nature des mesures prises en application de cet article ». 

L’avis de la Commission de contrôle des techniques du renseignement

Cet appel du pied a été entendu par cette fameuse CNCTR. Dans un avis que nous nous sommes procuré, cette autorité indépendante donne son interprétation à la fois sur cette disposition et sur les suites à donner. Elle considère, elle aussi, que cet article doit être interprété strictement, et ne peut en aucun cas « servir de fondement à la mise en oeuvre d’interceptions de communications individualisables ».

Conséquence immédiate, écrit-elle, ce L. 811-5 « ne peut avoir pour effet de faire échapper l’une quelconque des techniques de renseignement prévues par la loi du 24 juillet 2015 au régime d’autorisation préalable et de contrôle établi par cette loi ».

Par exemple, pour « le recueil de données de connexion et des interceptions de sécurité des communications émises ou reçues par un téléphone portable », le droit commun sera la seule voie : une autorisation préalable du Premier ministre, après avis de la CNCTR, même si cette communication baigne dans l'hertzien. Et son interprétation de la loi est « partagée par les pouvoirs publics », assure-t-elle dans son avis publié ci-dessous.

Les recommandations de la CNCTR

Pour basculer dans l’opérationnel, la CNCTR recommande au Premier ministre « de demander à chacun des ministres exerçant la tutelle de services de renseignement concernés de veiller à ce que toutes les techniques de renseignement mentionnées dans la loi du 24 juillet 2015 [loi renseignement, ndlr] et dans celle du 30 novembre 2015 [surveillance internationale] ne puissent être mises en œuvre qu’après avoir été préalablement autorisées par lui, conformément à ces lois ».

Autre souhait : « que chacun des ministres définisse dans une instruction adressée aux services concernés relevant de son autorité les conditions – notamment les motifs, le champ d’application et la nature des techniques  dans lesquelles ces services pourront être autorisés à invoquer les dispositions de l’article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure ».

Enfin : « Elle recommande en outre que ces instructions soient soumises à son avis. »

En somme, la CNCTR sollicite l’impulsion du Premier ministre afin que ses chaudes suggestions soient distillées dans toutes les veines du renseignement, national ou international, avec le vœu de pouvoir en vérifier l’effectivité.

Comment la CNCTR sera-t-elle régulièrement informée ?

En écho à la décision du Conseil, qui lui a demandé d’être « régulièrement informée sur le champ et la nature des mesures prises en application de cet article », la CNCTR endosse son képi de commission de contrôle.

Seulement, le Conseil s’est bien gardé de prévoir les modalités pratiques de cette obligation, notamment sur l’agenda (une information au fil de l’eau ? Une fois par mois ? etc.) Pour la Commission, quoi qu’il en soit, « cette information doit la mettre à même de vérifier la conformité de ces mesures à la réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel ». Le cas échéant, elle recommandera l’interruption et la destruction des renseignements collectés illégalement, avec possible de saisine du Conseil d’État pour contraindre la purge.

Pour l’heure, il s’agit surtout de tracer une ligne directrice prétorienne, car la CNCTR ausculte actuellement avec ses services, les modalités pratiques de ce devoir d’information.

Enfin, elle exprime le souhait « d’être consultée sur les dispositions nouvelles que le législateur pourrait élaborer pour tirer les conséquences de la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure ». Autant de suggestions qu'on devrait retrouver dans son rapport annuel, présenté autour de la mi-décembre. 

Écrit par Marc Rees

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

La censure du Conseil constitutionnel

L’avis de la Commission de contrôle des techniques du renseignement

Les recommandations de la CNCTR

Comment la CNCTR sera-t-elle régulièrement informée ?

Commentaires (3)


Comment c’est prouvé/attesté que c’est bien appliqué par les services des ministères ?



Je me souviens vaguement d’une commission avec des députés…



Et si cette faille était utilisée et que le contrôle avait validé est-ce qu’on le saura ?


Vous n’êtes pas les seuls à avoir l’exclusivité, dirait-on :)



http://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/exclusif-surveillance-hertzienne-l-in…


Oui, je sais, j’ai découvert que le document avait été envoyé à plusieurs rédactions, mais traité selon une chronologie différenciée ;)