Chiffrement, copyright, ICANN : les doléances de géants du Net à Donald Trump

Chiffrement, copyright, ICANN : les doléances de géants du Net à Donald Trump

Pour un Internet mondial américain

Avatar de l'auteur
Guénaël Pépin

Publié dans

Droit

15/11/2016 10 minutes
17

Chiffrement, copyright, ICANN : les doléances de géants du Net à Donald Trump

Quarante grandes sociétés américaines du numérique listent des actions à accomplir en faveur du secteur. Que ce soit sur la surveillance, le statut d'hébergeur, la gouvernance du Net ou les brevets... Parfois au détriment des positions défendues par les Européens.

À peine élu, Donald Trump est déjà approché par les géants américains des technologies. Dans une lettre publiée hier, le lobby Internet Association dresse une longue liste de demandes au prochain président des États-Unis. En fait, plus qu'une liste, c'est une feuille de route que le futur homme fort devrait suivre pour assurer l'avenir du secteur technologique de son pays. D'ailleurs, c'est « l'industrie » qui parle, à en croire le texte. Il faut dire que la liste des 40 membres est prestigieuse, comprenant notamment Amazon, Facebook, Google, PayPal et Twitter.

« L'industrie d'Internet a hâte de travailler avec vous sur des politiques qui encouragent la croissance, l'innovation et le choix du consommateur » lancent-ils d'emblée, avant de se dire responsables de 6 % du PIB. « Le moteur économique créé par les principaux services et plateformes Internet américains est fondamental pour la compétitivité des États-Unis dans une ère de l'information mondiale » complètent-ils. Que veulent donc ces sociétés ?

Protéger les intermédiaires et lutter contre un copyright trop fort

Les premières doléances concernent la responsabilité des intermédiaires, souvent ciblés pour réguler les contenus qu'ils hébergent. L'Internet Association demande donc de maintenir la protection légale des intermédiaires quant aux contenus mis en ligne par les utilisateurs, qui leur évite officiellement de les contrôler en permanence. Ils exigent aussi de maintenir ces protections sur la question du copyright, les entreprises étant considérées de bonne foi tant qu'elles suppriment rapidement les contenus litigieux signalés.

Plus que stabiliser la répartition actuelle des rôles sur le contrôle des contenus, le but semble être de rééquilibrer en faveur des plateformes les relations avec les ayants droit. Elles demandent ainsi de protéger le « fair use », d'abord pour permettre aux internautes de produire des contenus dérivés d'œuvres commerciales, mais aussi pour protéger le référencement des contenus par les services en ligne, comme l'affichage de miniatures.

Dans l'absolu, un acteur comme Google est régulièrement attaqué par les ayants droit de la musique, qui l'accusent de profiter de leurs contenus sans reversements suffisants. 

L'association propose aussi d'encourager le développement des services de musique en ligne, en imposant aux ayants droit d'établir des accords de licence avec les acteurs qui le demandent, et de contrôler l'application de ces accords. Autre exigence : mettre en place une base de données de la propriété des œuvres, qui reste encore aujourd'hui « insaisissable et indisponible, exacerbant les difficultés de licence des œuvres ».

Peser dans les débats mondiaux, notamment en Europe

À des entreprises numériques puissantes doit être associée une politique étrangère agressive sur le sujet, plaident les 40 géants du Net. Ils proposent que les autorités américaines insistent sur la protection des intermédiaires en ligne (en clair, des plateformes) dans leurs discussions avec les partenaires commerciaux des États-Unis. L'Internet Association affirme que le statut d'intermédiaire, comme celui d'hébergeur en France, est attaqué de toutes parts.

Ils demandent aussi à promouvoir des règles « équilibrées » en matière de copyright, pour protéger l'innovation des sociétés d'Internet. En particulier, les États-Unis devraient mieux défendre les groupes nationaux dans la conception du marché unique numérique européen.

Ces entreprises veulent lutter contre des concepts comme « la localisation des données sur le territoire national, le droit à l'oubli et un droit d'auteur déséquilibré ». Soit des points jugés essentiels par nombre de pays européens, qui en font des questions directes de souveraineté. D'ailleurs, le marché unique numérique européen devrait être transatlantique, estiment-t-elles, quand l'échange de données entre pays devrait être facilité, pour un coût moindre. Tout un programme.

Standardiser la sécurité des données

Sur le terrain de la sécurité des données, essentielle pour la confiance dans l'économie numérique, les sociétés de l'Internet Association demandent au futur président de soutenir la réforme de l'Electronic Communications Privacy Act (ECPA). Ils veulent notamment imposer l'usage d'un mandat pour accéder aux communications d'un internaute, peu importe où elles sont stockées. Une obligation variable actuellement. « Les internautes doivent avoir la même protection pour leur boite email que pour leur boite aux lettres » écrivent-ils.

Sans grande surprise, ils suggèrent à Trump de protéger un chiffrement fort. « Des lois qui imposent aux entreprises de créer des vulnérabilités [portes dérobées] dans des produits et services nuisent à la vie privée et mettent en danger la sécurité nationale » argumentent-ils, comme l'ont déjà fait l'ANSSI et la CNIL en France, avec des mots similaires. Cette demande suit logiquement le large débat sur le déblocage de l'iPhone d'un terroriste, lors duquel une part importante de la Silicon Valley avait soutenu Apple contre les demandes du FBI.

Le secteur demande, en outre, une nouvelle réforme de la législation sur le renseignement, dont le Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA), « utilisé de manière incohérente avec les valeurs de vie privée inscrites dans la Constitution et sans le respect dû à la vie privée des citoyens non-américains ». Il souhaite aussi multiplier les accords bilatéraux entre les États-Unis et les autres pays, pour répondre à la frustration des autorités étrangères qui ont des difficultés à accéder aux données des services en ligne américains lors de leurs enquêtes, « tout en respectant la vie privée ».

Un Internet mondial ouvert, mené par les Américains

Toujours sur l'Internet mondial, l'organisation soumet à Donald Trump le besoin de soutenir une gouvernance multi-partite. C'est ce qu'elles ont défendu via l'émancipation de l'ICANN, le gestionnaire des ressources du Net, de son contrat avec le gouvernement américain, qui a pris fin le 1er octobre (voir notre analyse).

Cette « libération » affichée s'est effectuée malgré des tentatives de dernière minute des Républicains de faire capoter l'opération préparée depuis deux ans. La demande à Trump n'est pas innocente : c'est son camp qui a demandé de maintenir l'ICANN sous contrat avec le pays, Donald Trump s'est lui-même exprimé contre le passage à ce modèle multi-partite. De plus, Trump devrait lutter contre la censure et le blocage d'Internet partout dans le monde, sur le souhait des groupes numériques.

Aux États-Unis, les services derrière l'association demandent au futur exécutif d'assurer la défense de la neutralité du Net (sous un tir nourri des opérateurs), de faciliter le déploiement et l'accès à l'Internet haut débit et de protéger l'innovation dans la commercialisation des offres télécoms. Ils souhaitent ainsi défendre le « zero rating », qui permet d'exclure un service particulier du décompte de données d'un forfait mobile. Une pratique tendancieuse, sur laquelle AT&T vient tout juste d'être épinglé par le régulateur.

Réformer les brevets et lutter contre les « patent trolls »

Autre désidérata : lutter contre les patent trolls, qui sont devenus un problème important aux États-Unis. Il s'agit de sociétés spécialisées dans l'attaque massives d'autres entreprises sur la base de brevets larges, sans elles-mêmes produire de produits. La plupart des sociétés attaquées, n'ayant pas les moyens de longues procédures judiciaires, préfèrent simplement céder et payer. 

Cette réforme concerne deux éléments. Le premier est la restriction du nombre de juridictions compétentes en matière de brevets, ce qui devrait aller dans l'intérêt des défenseurs. Selon les géants du Net, les juridictions locales habituellement en charge des dossiers agissent (de gré ou non) en faveur des « trolls ». Le second concerne les procédures elles-mêmes, que l'Internet Association souhaite rendre plus transparentes, et plus difficile à engager. Il ne devrait, par exemple, plus être possible d'attaquer sur la base d'un concept commercial vague. La validation et le contrôle des brevets devraient, eux, être rendus plus contraignants, estime le lobby.

Ces demandes sont, au fond, un constat d'échec pour l'administration Obama. Le président américain s'est largement épanché sur le sujet, décrétant que les trolls de brevets étaient un réel problème pour l'économie américaine. Malgré une loi censée lutter contre ces entreprises, elles semblent toujours bien inquiéter les principales sociétés du numérique.

Défendre un secteur numérique « divers »

Concernant les emplois dans le numérique eux-mêmes, l'association demande à ce que les formations en sciences et informatiques soient améliorées. Le nouveau président, connu pour son projet de mur avec le Mexique, devrait d'ailleurs soutenir des politiques d'immigration plus ouvertes en matière de main-d'œuvre numérique. Les représentants de l'industrie proposent, par exemple, la création d'une green card dédiée. Ils souhaitent aussi améliorer la diversité dans le milieu technologique, même si le problème actuel semble loin de se limiter à une question gouvernementale.

À propos de l'économie « du partage », le mot d'ordre est la flexibilité, avec une régulation qui doit être adaptée, pour ne pas imposer à cette nouvelle industrie les mêmes contraintes que celles d'employés de bureau classiques. Une vision qui plaira aux tenants de l'« uberisation », mais peut-être pas aux défenseurs du droit du travail américain.

Dans l'ensemble, les membres de l'Internet Association demandent à Trump de maintenir les défenses actuelles des entreprises du numérique, de revoir les rapports de force avec le monde de la culture, de garantir un Internet ouvert... Mais toujours au bénéfice des États-Unis, et des sociétés américaines qui les portent sur le numérique.

La liste des demandes est longue, mais reprend essentiellement les positions déjà défendues publiquement par Barack Obama. Celui-ci avait d'ailleurs résumé sa pensée début 2015 : « Internet était à nous. Nos entreprises l’ont créé, l’ont étendu et l’ont perfectionné de manière à ce que d’autres ne puissent pas rivaliser. Et souvent, ce qui est présenté comme de nobles positions sur ces problèmes découle simplement de leurs intérêts économiques ». C'est cette vision que les membres de l'Internet Association semblent vouloir revoir avec Donald Trump. L'avenir dira s'ils ont été entendus.

Écrit par Guénaël Pépin

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

Protéger les intermédiaires et lutter contre un copyright trop fort

Peser dans les débats mondiaux, notamment en Europe

Standardiser la sécurité des données

Un Internet mondial ouvert, mené par les Américains

Réformer les brevets et lutter contre les « patent trolls »

Défendre un secteur numérique « divers »

Fermer

Commentaires (17)


Donc c’est bien ils ont pondu une todo liste de tout ce que Trump ne fera pas ou fera le contraire ! Awesome !


Envoyé à un candidat qui a demandé de boycotter les produits Apple tant qu’ils ne fourniraient pas une porte dérobée dans leurs produits, je dois dire que la liste parait “optimiste” <img data-src=" />


Ces entreprises&nbsp;veulent lutter contre des concepts comme «&nbsp;la localisation des données sur le territoire national….&nbsp;

&nbsp; &nbsp; &nbsp;Réponse de Trump : Elles seront localisé aux USA !


haha y a vraiment de tout.

J’ai hâte de voir comment la mainmise des USA sur internet sera envisagée par le nouveau gouvernement US face aux pressions des autres pays.


Make internet great again <img data-src=" />


Putain, 4 8 ans…




permettre aux internautes de produire des contenus dérivés d’œuvres commerciales





et palper les brouzoufs des revenus publicitaires <img data-src=" />


Ces entreprises veulent lutter contre des concepts comme « la localisation des données sur le territoire national, le droit à l’oubli et un droit d’auteur déséquilibré ». Soit des points jugés essentiels par nombre de pays européens, qui en font des questions directes de souveraineté. D’ailleurs, le marché unique numérique européen devrait être transatlantique, estiment-t-elles, quand l’échange de données entre pays devrait être facilité, pour un coût moindre. Tout un programme.



Qui aillent TOUS se faire … <img data-src=" /> : réponse simple.




« Internet était à nous. Nos entreprises l’ont créé[…]





Euh lol? On lui dit ou pas ?


A ma connaissance (surement imparfaite) Internet découle des travaux de la DARPA avec leur réseau ARPANET, 1965.

source :https://fr.wikipedia.org/wiki/Internet

&nbsp;

Donc ils n’ont pas totalement tort, même s’ils omettent lachement les travaux de mise au point des protocole et des langages qui font les internets actuels.


Je ne nie pas qu’une bonne partie des technologies du net proviennent des USA, ainsi que les services actuels, mais dire “internet est à nous”, c’est un peu comme dire “l’air est à nous”.


Au temps pour moi, je réagissais surtout à la seconde partie de la citation :” Nous l’avons créé”.

&nbsp;

Et comme ils disent “Internet était à nous.”, je pense surtout qu’ils regrettent amérement de ne pas avoir su le conserver.



&nbsp;Ce qui explique leurs doléances sur la préférence étatsunienne quand aux prochains choix.



Mais sur le fond je suis completement d’accord que Internet n’est à personne.








Charly32 a écrit :



Je ne nie pas qu’une bonne partie des technologies du net proviennent des USA, ainsi que les services actuels, mais dire “internet est à nous”, c’est un peu comme dire “l’air est à nous”.





Nop, ils partagent l’air avec la Chine et l’Inde <img data-src=" />

Les autres ne comptent pas à ce niveau là…



Du délire : “net neutrality is a principle that underpins a free and open internet”.



On paye tous pour une connexion déjà.


free = libre ici (et pas gratuit).



Edit : différence entre free speech et free beer.


Le réseaux, mais son succès est dû au standard w3c qui, lui est européen au départ… Sans ça, internet resterait un truc inaccessible au commun des mortels.

Par ailleurs, à la même époque de nombreux pays se sont mis aux réseaux télématiques. C’est le réseau américain qui l’a emporté, ça aurait pu en être un autre.


Pas forcément.

Gopher a été créé en même temps que le web et utilisait aussi les liens hypertexte.

Usenet

le mail

ftp

le p2p

irc





Tout ça permet(ait) déjà pas mal de choses.



Bref, le Web n’est qu’une application d’Internet, il n’est pas Internet.