La loi Travail entre en vigueur : on fait le point sur son volet numérique

La loi Travail entre en vigueur : on fait le point sur son volet numérique

CPA ma faute

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Xavier Berne

Publié dans

Droit

10/08/2016 9 minutes
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La loi Travail entre en vigueur : on fait le point sur son volet numérique

Publiée hier au Journal officiel, la loi Travail entre en vigueur aujourd’hui. Next INpact revient sur ses principales mesures « numériques » : droit à la déconnexion, responsabilité sociale des plateformes de type Uber, relance du télétravail, dématérialisation des bulletins de paie, etc.

Après trois recours au « 49-3 » et un passage devant le Conseil constitutionnel, le projet de loi porté par Myriam El Khomri va pouvoir être mis en œuvre. S’agissant des nouvelles technologies, le texte introduit un outil nouveau pour les travailleurs : un « droit à la déconnexion » – histoire d’éviter que certains employés « ramènent » du travail à la maison, par exemple en répondant à des emails ou à des appels à caractère professionnel depuis leur domicile, parfois tard le soir ou durant les week-ends.

Un droit à la déconnexion en débat dans toutes les entreprises dès 2017

À partir de l’année prochaine, toutes les entreprises seront tenues d’organiser avec leurs employés, au titre de la négociation annuelle sur la qualité de vie au travail, des discussions relatives à la mise en place « de dispositifs de régulation de l'utilisation des outils numériques ». L’objectif ? « Assurer le respect des temps de repos et de congé » des salariés, et protéger par la même occasion leur « vie personnelle et familiale ». De nombreuses solutions pourront alors être envisagées, en fonction des besoins de chaque organisation : blocage de mails durant certaines plages horaires, simples engagements mutuels de la part des employés et de leurs supérieurs hiérarchiques, etc.

À défaut d’accord entre salariés et employeur, c’est ce dernier qui aura le dernier mot. La loi El Khomri lui imposera simplement d’élaborer « une charte, après avis du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel », pour préciser noir sur blanc quelles sont les modalités d’exercice du droit à la déconnexion dans son entreprise. Ce document devra également prévoir « la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d'encadrement et de direction, d'actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques ».

Les trêves de mails, voulues notamment par une députée PS, sont donc encore loin d’être généralisées... Le seul véritable changement opéré au fil des débats par le législateur concerne l’édiction obligatoire de chartes en cas de désaccord entre les parties (il était auparavant question de les imposer uniquement pour les entreprises de plus de 49 salariés).

La référence au lancement d’une expérimentation nationale d’un an sur « l’articulation du temps de travail et l’usage raisonnable des messageries électroniques par les salariés et les agents publics » a été supprimée par le Sénat.

Des bulletins de paie dématérialisés accessibles via le CPA

Le futur « compte personnel d’activité », attendu pour le 1er janvier 2017, voit ses contours plus clairement définis. Chaque actif disposera ainsi d’informations personnalisées sur ses droits via un « service en ligne gratuit », dont la gestion incombera à la Caisse des dépôts et consignations.

Le CPA sera tout d'abord constitué du « compte personnel de formation », qui permet depuis 2015 de jouir de ses droits à la formation – même en cas de changement d’employeur. À cela s'ajoutera le « compte personnel de prévention de la pénibilité », qui sert depuis l'année dernière à faire valoir ses droits lorsqu’on travaille dans des conditions particulièrement difficiles (départ anticipé à la retraite, passage à un temps partiel sans perte de salaire…). On y trouvera enfin un « compte engagement citoyen », nouveau dispositif qui recensera « les activités bénévoles ou de volontariat » (service civique, réserve militaire, certaines activités associatives...), desquelles découleront des droits à la formation notamment.

Ce compte donnera également accès à :

  • Un simulateur de droits sociaux (vraisemblablement « mes-aides.gouv.fr »)
  • Un service de consultation de ses bulletins de paie, lorsqu'ils auront été transmis par l'employeur au format électronique
  • Des « services utiles à la sécurisation des parcours professionnels et à la mobilité géographique et professionnelle »

Le législateur a tenu à indiquer que le gestionnaire de cette plateforme devrait mettre en place « des interfaces de programmation permettant à des tiers de développer et de mettre à disposition ces services ». Un décret en Conseil d’État, pris après avis – purement consultatif – de la CNIL, viendra préciser ultérieurement les modalités d’application de ces dispositions.

Concernant la remise des traditionnels bulletins de paie, le gouvernement espère qu’un maximum d’entreprises passera à la dématérialisation (l’État s’apprête de son côté à montrer l’exemple). Toujours à compter du 1er janvier prochain, celles-ci pourront opter pour le format électronique, « sauf opposition du salarié ». L’envoi de ce document devra se faire dans des conditions « de nature à garantir l'intégrité, la disponibilité pendant une durée fixée par décret et la confidentialité des données ainsi que leur accessibilité dans le cadre [du CPA] ». Un décret en Conseil d’État sera là aussi nécessaire.

Engagement d’une concertation sur le télétravail

Les partenaires sociaux sont invités à se mettre autour de la table pour ouvrir, avant le 1er octobre, une « concertation sur le développement du télétravail ». L’objectif : relancer ce mode d’organisation du travail basé sur l’exercice de ses missions à domicile (ou dans des espaces de type co-working) – et qui est désormais de plus en plus souvent possible, grâce à Internet.

Les représentants d’employeurs et de travailleurs devront commencer par dresser « un large état des lieux » faisant apparaître :

  • Le taux de télétravail par branche, selon la famille professionnelle et le sexe
  • La liste des métiers, par branche professionnelle, potentiellement éligibles au télétravail.

La loi El Khomri précise qu’à l'issue de cette concertation, un « guide des bonnes pratiques » sera élaboré afin de servir « de document de référence lors de la négociation d'une convention ou d'un accord d'entreprise ». Le gouvernement devra remettre de son côté au Parlement, avant le 1er décembre 2016, un rapport retraçant les conclusions des travaux engagés par les partenaires sociaux, ainsi que les principales évolutions envisagées (notamment sur un plan juridique).

Améliorer les conditions de travail (informatique) des personnes handicapées

De manière plus surprenante, le texte imposera à chaque employeur de veiller à ce que le poste de travail de ses salariés handicapés soit « accessible en télétravail » (à une date fixée par décret, et « au plus tard » dans trois ans). On voit cependant mal comment ces dispositions pourront être respectées dès lors que la présence du travailleur semble indispensable pour de nombreux métiers : ouvrier agricole, vendeur, hôtesse de caisse, etc. « Cette obligation va s’avérer impossible à mettre en œuvre » prévenaient d’ailleurs les rapporteurs du Sénat – qui est pourtant à l’origine de ces dispositions.

L'employeur devra en outre s'assurer, toujours à une date fixée par ce même décret, « que les logiciels installés sur le poste de travail des personnes handicapées et nécessaires à leur exercice professionnel sont accessibles ».

députés
Crédits : Assemblée nationale

« Responsabilité sociale » des plateformes recourant à des travailleurs indépendants

En écho au développement des sociétés de type Uber, le législateur a tenu à reconnaître la « responsabilité sociale » des plateformes faisant appel à des travailleurs indépendants. À partir du moment où le service d’intermédiation « détermine les caractéristiques de la prestation de service fournie ou du bien vendu et fixe son prix », il pourra notamment être contraint de prendre en charge une partie de l’assurance souscrite par le travailleur en matière d’accidents du travail, ou bien encore de contribuer financièrement à sa formation. Ces dispositions ne s’appliqueront cependant pas aux acteurs dont le chiffre d’affaires sera inférieur à un seuil, fixé ultérieurement par décret.

Les indépendants qui refuseraient de travailler (au travers d’une concertation destinée à « défendre leurs revendications professionnelles ») seront par ailleurs davantage protégés. « Sauf abus », ces mouvements ne pourront en effet ni engager la responsabilité contractuelle des travailleurs concernés, « ni constituer un motif de rupture de leurs relations avec les plateformes, ni justifier de mesures les pénalisant dans l'exercice de leur activité ». Le texte leur reconnaît au passage le droit « de constituer une organisation syndicale, d'y adhérer et de faire valoir par son intermédiaire leurs intérêts collectifs ».

Diffusion numérique des informations syndicales

Les conditions et modalités de diffusion des informations syndicales au moyen des outils numériques disponibles dans l'entreprise devront par principe faire l’objet d’un accord d’entreprise. À défaut d’entente, les syndicats en présence pourront « mettre à disposition des publications et tracts sur un site syndical accessible à partir de l'intranet de l'entreprise ». Les conditions ? Que cet intranet existe, bien entendu, mais aussi que l’utilisation qui en découle :

  • Soit compatible avec « les exigences de bon fonctionnement et de sécurité du réseau informatique de l'entreprise »
  • N’ait pas de « conséquences préjudiciables à la bonne marche de l'entreprise »
  • Préserve « la liberté de choix des salariés d'accepter ou de refuser un message »

Pas question donc de saturer de mails l’ensemble du personnel ou de ne pas respecter la demande de désinscription à une newsletter d’un salarié, par exemple.

Vers une base Open Data des accords de branche, de groupe...

Afin d’améliorer l’accès au droit, la loi Travail prévoit enfin que les conventions et accords de branche, de groupe, interentreprises, d'entreprise et d'établissement auront dorénavant vocation à être « rendus publics et versés dans une base de données nationale, dont le contenu [sera] publié en ligne dans un standard ouvert aisément réutilisable » – conformément aux principes de l’Open Data. Les signataires pourront toutefois décider qu'une partie de la convention ou de l'accord sur lequel ils viennent de s’entendre ne doit pas être publiée.

Un décret en Conseil d’État viendra préciser les modalités de mise en œuvre de ces dispositions. Le gouvernement devra présenter un rapport sur leur application avant le 30 septembre 2018.

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Écrit par Xavier Berne

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

Un droit à la déconnexion en débat dans toutes les entreprises dès 2017

Des bulletins de paie dématérialisés accessibles via le CPA

Engagement d’une concertation sur le télétravail

Améliorer les conditions de travail (informatique) des personnes handicapées

« Responsabilité sociale » des plateformes recourant à des travailleurs indépendants

Diffusion numérique des informations syndicales

Vers une base Open Data des accords de branche, de groupe...

Commentaires (22)


Améliorer les conditions de travail (informatique) des personnes handicapées



De manière plus surprenante, le texte imposera à chaque employeur de veiller à ce que le poste de travail de ses salariés handicapés soit « accessible en télétravail » (à une date fixée par décret, et « au plus tard » dans trois ans).



Cela risque d’être difficile à faire en matière administrative (secrétariat, comptabilité, …) si on est chez soi et que toute la paperasse est aux bureau.<img data-src=" />


« accessible en télétravail » = papiers dématérialisés


Je pense que “poste de travail” désigne uniquement l’ordinateur. Autrement ca risque d’être compliqué pour un artisan en fauteuil, un(e) hôte(sse) de caisse etc…


Le jour ou le tout dématérialisé sera accepté totalement, peut-être, mais en l’état actuel, jamais.


«&nbsp;Cette obligation va s’avérer impossible à mettre en œuvre » prévenaient d’ailleurs les rapporteurs du Sénat – qui est pourtant à l’origine de ces dispositions….



&nbsp;“no comment” !!!&nbsp;<img data-src=" />








Krogoth a écrit :



Je pense que “poste de travail” désigne uniquement l’ordinateur. Autrement ca risque d’être compliqué pour un artisan en fauteuil, un(e) hôte(sse) de caisse etc…





Tu peux aussi faire tes courses, charger la voiture sans payer et aller chez la caissière.



Ca c’est sur, tous les boulots ne seront pas possible en télétravail.



&nbsp;Je ne parle même pas du problème sociétal si cela était possible : les seules personnes qui sortiraient de chez elles entre 9h et 17h seraient les livreurs &nbsp;<img data-src=" />)


Les accords et convention de branche en accès libre seront un plus.



Je comprends mal pourquoi on doit payer pour y avoir accès (ou demander à son patron où elles sont rangées dans l’entreprise).








martin230389 a écrit :



Ca c’est sur, tous les boulots ne seront pas possible en télétravail.



&nbsp;Je ne parle même pas du problème sociétal si cela était possible : les seules personnes qui sortiraient de chez elles entre 9h et 17h seraient les livreurs &nbsp;<img data-src=" />)





C’est pas mieux actuellement quand c’est des personnes épuisés par une journée de taff qui veulent juste rentrer chez elle ou qui sont pas encore bien reveillées. Au contraire les personnes qui sortiront seront dehors parcequ’elles ont réellement envie de sortir…









Soriatane a écrit :



Les accords et convention de branche en accès libre seront un plus.



Je comprends mal pourquoi on doit payer pour y avoir accès (ou demander à son patron où elles sont rangées dans l’entreprise).







La plupart sont accessibles sans payer, c’est plus pour coller à la réalité du terrain. Mais c’est vrai que c’est surréaliste : des textes qui s’appliquent à des personnes ne sont pas en accès libre pour ces mêmes personnes !





Les signataires pourront toutefois décider qu’une partie de la convention ou de l’accord sur lequel ils viennent de s’entendre ne doit pas être publiée.





“Bon évidement, les salaires supplémentaires que l’on touchera doivent rester secret hein, donc on ne le publie pas”



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Je dois avoir le malheur de travailler dans un secteur où cela ne l’es pas.



Pour être exact, une portion est accessible au journal officiel, mais pour connaitre les textes applicables à l’instant t, il retrouver tout les modifications éparpillés façon puzzle.


Sur la dématérialisation de la fiche de paie. Aujourd’hui, l’employeur et l’employé sont tenu de conserver l’ensemble de leur fiche de paye, pour faire valoir leurs droits.

&nbsp;

Dans le cas de la dématérialisation et du CPA, cette responsabilité sera-t-elle transférer à la Caisse des dépôt ?

Ou l’employé devra se démerder pour stocker ces feuille de paie dématérialiser (en les imprimant ou en les stockant ailleurs) ?


Le droit à la déconnexion m’interpelle quand même,

cela voudrait dire qu’en l’absence de ce nouveau droit pour les actifs, contraindre un salarié à travailler hors des heures “de travail” était (et le sera toujours faute d’accord) quelque chose de toléré ?

ça n’est pas contradictoire avec les lois qui définissent le temps de travail ?



Ce fameux nouveau droit était quand même un des principaux arguments mis en avant dans la communication des ministres et des médias du grand Parti. Depuis la rédaction du texte nous savions qu’il s’agissait d’une invitation à en discuter mais pas trop non plus.


Résumé du deal:





  • le patronat accepte le compte pénibilité.

  • le salariat accepte l’inversion de la hiérarchie des normes.







    Le reste de la loi étant de vagues promesses et des plans sur la comète.


Un employeur n’a qu’une obligation de les garder sur 5 ans.


Tu oublies la facilité de licenciement économique mais en gros tu as raison oui


Le problème des lois concernant le travail c’est que pour les faire appliquer il faut un rapport de force dans les entreprises et qu’avec les niveau de syndicalisation et/ou de combativité des salariés en France ce rapport de force n’existe pas.



Cette loi (ces lois du travail) n'est donc généralement pas appliquée.       






Le plus triste étant que la plupart du temps c'est juste parce que les salariés font les fayots que ça n'est pas appliqué, les chefs d'entreprise et cadres sups divers ont eux aussi envie de déconnecter en famille etc. donc ce n'est pas forcément la pratique la plus difficile à instaurer.       

D'autant qu'il y a foultitude d'études qui prouvent que l'hyper connectivité sert plus de cataplasme à des défauts d'organisation qu'à augmenter significativement les rendements. Après il y a des métiers spécifiques avec de grosses contraintes d'exploitation mais dans la plupart des cas les gens font chez eux des trucs qu'ils pourraient faire le lendemain au taf.

Et pas du tout l’obligation de les communiquer au salarié/ex salarié qui en ferait la demande.



Donc dans tous les cas il faut garder une copie de ses salaires/contrats oui.


au final, on est la crémière… ils ont pris le beurre, l’argent du beurre et notre cul… <img data-src=" />








Soriatane a écrit :



Je dois avoir le malheur de travailler dans un secteur où cela ne l’es pas.



Pour être exact, une portion est accessible au journal officiel, mais pour connaitre les textes applicables à l’instant t, il retrouver tout les modifications éparpillés façon puzzle.







Je suis côté métallurgie, c’est assez facile à trouver, mais comme dans beaucoup de branches, il y a une convention par département ou presque, il faut ajouter les mises à jour annuelles des barêmes, le tout couvrant un code du travail obèse. Tout celà n’évolue guère car ça rend la vie pénibles aux salariés et aux représentants du personnel, qui ne sont pas juristes, alors que le patron s’en fout : le bazar lui permet de noyer le poisson, et lui peut se payer un juriste.





des discussions relatives à la mise en place «&nbsp;de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques&nbsp;». L’objectif&nbsp;? «&nbsp;Assurer le respect des temps de repos et de congé&nbsp;» des salariés, et protéger par la même occasion leur «&nbsp;vie personnelle et familiale&nbsp;».

ça sent quand même la grosse&nbsp;quenelle&nbsp;type travail dissimulé pour les cadres qui même durant leur&nbsp;vacances&nbsp;répondent&nbsp;aux e-mails…&nbsp;